La mort de Juve (Смерть Жюва) - Сувестр Пьер 27 стр.


Et il montrait au prisonnier un poing menaçant. Mais,  malgré les  épouvantables souffrances  qu’il endurait, Fantômas ricana :

— Eh, oui, Prosper, c’est moi qui ai fait cela. Mais ce dont tu ne te doutes pas, c’est que c’est encore moi qui ai allumé l’incendie. Oui, avant de venir trouver Juve, j’ai imbibé de pétrole tout l’escalier, j’ai vidé de l’essence dans les tuyaux du calorifère, puis j’ai mis le feu à une mèche d’amadou qui devait, d’après mes calculs, allumer l’incendie une heure après mon arrivée. Mon but était d’anéantir Juve et tout ce qui l’entoure, et de le faire périr calciné, au milieu des flammes.

— Tandis que c’est toi et moi aussi, s’exclama Prosper, qui allons être enfumés comme des renards dans leur terrier.

— La mort me sera plus douce, hurla Fantômas, quand je te verrai souffrir. Canaille, traître, tu n’as pas voulu m’écouter, brigand qui as voulu me trahir et que je punis tout de même. Car tu es pris, bien pris. Prosper, regarde les flammes qui te brûlent, elles commencent à t’atteindre aussi. Je souffre peut-être, mais je ne sens plus rien puisque je te vois souffrir.

Mais Prosper, comme une bête enragée, bondissait à travers la pièce, ne sachant où se poser, ne sachant que faire.

— Ah, Fantômas, cria-t-il, tu crois jouir du spectacle de mon agonie, ce serait trop beau de te donner ce plaisir. Tu as voulu que nous crevions ensemble, soit. Mais, s’il en est un qui a quelque chance de s’en tirer, c’est moi. Écoute. N’entends-tu pas ?

Du lointain, en effet, arrivait une clameur, sourde, confuse, facile à reconnaître. Évidemment, l’incendie ne passait pas inaperçu et les gens s’attroupaient au dehors, organisaient le sauvetage. On entendit un instant la corne à deux notes des pompiers. Fantômas poussa un cri de rage et Prosper un cri de triomphe.

— Je m’en tirerai, hurla ce dernier, et toi, Fantômas, ajoutait-il, il faut que tu y restes. Fantômas, tu as encore une seconde à vivre, remercie-moi de t’épargner les terribles souffrances d’être rôti vivant.

— Canaille, hurla Fantômas, qui devinait l’intention de Prosper.

L’ancien cocher, en effet, venait d’aviser au milieu de la fumée, dans le brouillard âcre et épais qui obscurcissait la pièce, simplement éclairée par moments par les flammes, le revolver qu’il avait quelques instants auparavant déposé sur un fauteuil.

Prosper, comme un fou furieux, saisit l’arme, la braqua sur la poitrine de Fantômas et tira à bout portant.

Deux fois, trois fois, Prosper pressa sur la détente, mais, après un instant de stupeur, il rejeta l’arme en arrière, et celle-ci vint s’abîmer sur le plancher calciné, avec un bruit sourd.

— Malédiction.

En effet, aucune détonation ne s’était fait entendre, aucun coup n’était parti.

Fantômas, sous la menace du canon du revolver braqué sur sa poitrine, n’avait pas même tressailli.

C’est qu’en effet, depuis quelques instants, depuis qu’elle avait séjourné dans l’eau destinée à calmer l’incendie, l’arme était devenue inoffensive, les cartouches avaient été mouillées.

Prosper, un instant abasourdi, reprenait conscience de lui-même. Désormais, il ne s’inquiétait plus de Fantômas, et il allait, au risque de se tuer, s’élancer par la fenêtre, car la position était de plus en plus intenable. La chaleur se faisait suffocante, un coin du plancher venait de s’effondrer, une partie du plafond s’écroulait.

Mais, au moment où Prosper traversait la pièce en se glissant sur les meubles, un cri terrible de menace et de triomphe retentit derrière lui. Puis, une vive douleur lui fit exhaler un râle effroyable. Son regard devint vitreux, son souffle s’arrêta. Prosper défaillit. Une seconde après, une odeur âcre montait du plancher, odeur abominable. C’était le corps de Prosper qui, perdant tout son sang par une blessure béante, rôtissait dans la fournaise.

Que s’était-il donc passé ?

À peine Fantômas avait-il essuyé les coups de feu inoffensifs du revolver de Prosper qu’une brûlure plus vive lui prenant les chevilles et les mains l’avait spontanément obligé à une contraction dans laquelle il avait développé une vigueur surhumaine…

Mais, à ce moment précis, Fantômas reprenait la libre disposition de ses membres.

Avec le plancher calciné, ses liens avaient été brûlés aussi, et les cordes s’étaient rompues, et les courroies s’étaient déchirées. Fantômas, quoique fort endolori par de cuisantes brûlures, était libre, dès lors, et son premier acte avait été de fouiller sa ceinture, d’y prendre un poignard et de le plonger dans le dos de Prosper jusqu’à la garde, car, avant tout, Fantômas voulait se venger, punir le traître, cet acte de vengeance dut-il lui coûter l’existence.

— Crève donc, canaille, avait-il hurlé, cependant que Prosper exhalait son dernier soupir.

Puis Fantômas, satisfait de son œuvre, s’efforçait de se protéger lui-même de l’incendie.

Ce n’étaient autour de lui que ruines et décombres, flammes et fumée.

L’air devenait de plus en plus irrespirable, il n’était plus possible de poser le pied sur un seul coin du parquet sans risquer de s’y brûler affreusement, mais cependant Fantômas se rendait compte qu’à toute force il lui fallait traverser la pièce pour gagner la fenêtre, seule issue possible, sinon certaine.

Le cadavre de Prosper, couvert de sang, noir de brûlures, duquel s’exhalait déjà une épouvantable odeur de chair grillée, gisait sur ce parquet transformé en brasier.

Fantômas n’hésita pas. Se servant de ce corps comme d’une passerelle, il bondit jusqu’à l’autre extrémité de la pièce, parvint jusqu’à la fenêtre, enjamba la balustrade.

À ce moment, un cataclysme épouvantable se produisit, le plafond de l’étage supérieur dégringolait sur le plancher du cabinet de travail qui, lui-même, s’effondrait, entraînant avec lui les meubles et le cadavre de Prosper.

Quant aux murs extérieurs dans lesquels s’encadrait la fenêtre, ils s’écroulaient dans la cour de l’immeuble, avec un tapage infernal.

Qu’était devenu Fantômas ?

26 – MORT DU POLICIER JUVE

Pour la vingtième fois peut-être, Jérôme Fandor tirait sa montre. Il n’avait pas jeté les yeux sur le cadran, il ne s’était pas assuré qu’il était près de cinq heures du soir, qu’il tapait du pied, haussait les épaules, bougonnait, en proie à la plus violente des fureurs.

— Mais qu’est-ce qu’il fait, nom d’un chien ? Qu’est-ce qui peut lui être arrivé ? Juve m’a quitté à minuit et il est maintenant cinq heures du soir, c’est incompréhensible, c’est inimaginable. Il faut qu’il soit arrivé quelque cataclysme, quelque catastrophe imprévue, car enfin il n’est pas naturel qu’il mette un si long espace de temps à faire ce qu’il devait faire.

Jérôme Fandor était toujours au fond de la champignonnière. Il montait toujours la garde devant Nalorgne et Pérouzin qui, de blêmes qu’ils étaient, étaient devenus jaunes, puis verts, tant les émotions par lesquelles ils passaient décomposaient leurs traits, les jetaient dans une mélancolie profonde.

Jérôme Fandor, d’ailleurs, n’était pas moins de mauvaise humeur que ses deux prisonniers. À vrai dire, même, ce n’était pas la mauvaise humeur qui le faisait nerveux et agité, c’était bel et bien l’inquiétude, car il commençait à se demander avec une angoisse de minute en minute grandissante ce qui pouvait retarder Juve et empêcher son retour.

Juve était parti bien tranquillement la veille au soir, en affirmant à Fandor qu’il allait livrer Fantômas, maintenu immobile sur le parquet de son appartement où il l’avait cloué. Juve avait annoncé qu’il passerait à la Préfecture pour y obtenir des paperasses nécessaires aussi bien à la libération de Fandor qu’à l’arrestation légale de Nalorgne et Pérouzin, et Juve ne revenait pas.

Les heures de la nuit s’étaient traînées, interminables et monotones, le petit matin, s’insinuant par les soupiraux de la champignonnière, avait éclairé la cave d’un jour indécis, puis était venu le grand jour, puis midi avait carillonné à des clochers lointains, et des heures, de mortelles heures s’étaient écoulées depuis, insipides et lentes, qui n’avaient amené aucun changement dans la situation de Jérôme Fandor ni dans celle de Nalorgne et Pérouzin.

Juve parti, Fandor s’était naturellement conformé aux instructions précises de son ami. Le revolver au poing, il avait monté une garde farouche devant Nalorgne et Pérouzin, qui, atterrés, anéantis par la nouvelle que Fantômas était prisonnier, demeuraient sans mouvements, ligotés sur le sol.

Fandor, d’abord, avait été tout à la joie des nouvelles extraordinaires que Juve lui avait communiquées. Il riait tout seul en songeant que l’avenir était maintenant lumineux : Fantômas était pris, il allait être livré à la justice française. C’en était fini des luttes épouvantables qui depuis des années, ne laissaient aucun repos à Juve et à Fandor. Le policier même avait ajouté, n’insistant point sur ce sujet, car il était d’une discrétion exemplaire, qu’Hélène allait mieux, que la jeune fille, toujours détenue à Saint-Lazare, était en voie de guérison.

Et cela avait causé une telle joie à Fandor que les premières heures de sa captivité, ou plutôt de sa garde, avaient passé assez vite.

Fandor, toutefois, après avoir fait des réflexions joyeuses, après avoir envisagé l’avenir sous toutes ses faces, s’être congratulé lui-même à l’idée que Fantômas était pris, qu’Hélène allait mieux et que le bonheur parfait qu’il rêvait n’était plus qu’une question de jours, Fandor s’était mis à s’ennuyer profondément.

— C’est monotone en diable, pensait-il, la station que je fais dans cette champignonnière, en face de ces deux bonshommes ligotés, de ce maigre Nalorgne et de ce gros Pérouzin dont la conversation manque d’autant plus d’intérêt qu’étant étroitement bâillonnés ils ne peuvent articuler un mot.

Fandor, par compassion, autant que par ennui, avait fini par se dire qu’il était inutile et méchant de ne point soulager un peu les deux misérables qu’il gardait. Le journaliste s’était alors approché des captifs, avait donné quelque peu de lâche à leurs liens, les avait même affranchis des bâillons qui les étouffaient, tout en les avertissant qu’il agissait ainsi par pure compassion, mais qu’il ne se ferait aucun scrupule de leur casser la figure si d’aventure il leur prenait fantaisie de crier ou d’appeler au secours.

Nalorgne et Pérouzin s’étaient tenus cois. Les deux bandits étaient demeurés longtemps silencieux, puis enfin Nalorgne avait rompu son mutisme pour interroger Fandor :

— Quelle heure est-il, s’il vous plaît ? Allez-vous bientôt nous emmener d’ici ?

Fandor avait répondu, aimablement, presque, qu’il était à peu près quatre heures du soir et qu’il ignorait tout à fait quand on s’en irait de la champignonnière, mais qu’il souhaitait lui-même que ce fût le plus vite possible, car il avait l’estomac dans les talons…

Fandor, à cet instant, aurait certes bien engagé la conversation avec Nalorgne tant il s’ennuyait, et puis il aurait peut-être appris des complices de Fantômas quelques détails intéressants, mais Nalorgne, renseigné, s’était à nouveau tu et les minutes encore s’écoulaient sans que Fandor eût pu trouver une autre distraction que celle qui consistait à se promener de long en large dans l’étroite cave, bordée d’un côté par un tas de fumier et de l’autre par un monceau de détritus.

— Très joli, le paysage ! se répétait Fandor, qui commençait à s’énerver d’autant plus qu’il venait de griller sa dernière cigarette.

À six heures, Jérôme Fandor soudain, prit une décision.

À bout de patience, il alla se camper en face de Nalorgne et Pérouzin, et interrogeait les deux crapules avec cette extraordinaire gouaillerie un peu gavroche mais vraiment originale qui faisait le fond de son caractère :

— Dites donc, est-ce que vous trouvez qu’on s’amuse ici ?

C’était Pérouzin qui se décidait à répondre :

— C’est abominable, murmurait l’agent, c’est abominable de souffrir ce que nous souffrons. Monsieur Fandor, pour ma part, j’aimerais mieux encore être en prison, au dépôt, être n’importe où, que de rester ici. Est-ce que M. Juve va revenir ?

Fandor ne répondait point à l’agent, mais interrogeait son deuxième prisonnier :

— Et vous, Nalorgne, est-ce que l’endroit vous plaît ? vous trouvez-vous parfaitement bien ?

Nalorgne avait une réponse farouche ; pour une fois, le bonhomme perdait sa mine chafouine d’agent d’affaires véreux, il répondait presque avec une brutalité propre à émouvoir tout autre que Fandor.

— Je ne sais pas ce que vous allez faire de nous, monsieur Fandor, mais je crois que, quand vous étiez notre prisonnier, Pérouzin et moi, nous n’avons jamais eu la lâcheté de vous imposer une attente pareille. Si vous voulez nous tuer, tuez-nous tout de suite. Si vous voulez nous remettre aux mains de la justice, faites-le, mais, bon Dieu, par pitié, ne restons pas plus longtemps ici.

— Ouais, grommela Fandor, qui, les deux mains dans ses poches, contemplait la pointe de ses souliers à la façon d’un homme cherchant une inspiration, ouais, je vois, mes deux amis, que vous pensez exactement comme moi. Ça ferait plaisir d’aller prendre un peu l’air. Je ne dis pas que vous n’avez pas raison, seulement vous comprendrez que je ne me soucie point de vous donner la clé des champs. Et dame, comme j’imagine que vous n’allez pas m’accompagner de bonne grâce…

Nalorgne interrompait le journaliste :

— Vous plaisantez, demandait-il, voyons, monsieur Fandor, qu’avez-vous à craindre ? Juve nous a mis les menottes, nous sommes liés à ne pouvoir faire le moindre geste. M. Juve est parti à pied, certainement, car nous ne sommes pas éloignés d’une gare. Donc, vous avez le taxi-auto à votre disposition, eh bien…

Fandor, à son tour, ne laissait pas à son interlocuteur le temps d’achever :

— Ça n’est pas bête, ce que vous dites là, Nalorgne, remarquait le journaliste, et, ma foi, puisque Juve ne revient pas, nous allons aller au-devant de lui. Vous avez raison, vous êtes solidement liés, donc je n’ai rien à craindre. Et en tous les cas je vous avertis que si vous bougez pieds ou pattes, j’ai six balles blindées dans mon revolver qui me suffiraient à vous convaincre qu’il importe de rester tranquille. Ceci dit, écoutez-moi : je m’en vais vous hisser là-haut, dans le terrain vague. Le taxi auto est rangé sous le hangar abandonné près de la champignonnière. Je vous ferai monter à l’intérieur. Pour moi, je me mettrai sur le siège. Et ma foi, je vous emmènerai tout droit à la Préfecture. Cela vous va-t-il ?

Acceptez-vous de vous prêter docilement à ce plan d’opération ?

Que pouvaient répondre Nalorgne et Pérouzin ?

Il leur était évidemment bien impossible de refuser quoi que ce fût à ce que voulait leur demander Fandor, et puis ils étaient convaincus tous deux que mieux valait en finir tout de suite, et ils préféraient l’un et l’autre être rapidement livrés à la Préfecture plutôt que de supporter plus longtemps l’angoisse de l’attente dans ces conditions.

— Faites de nous ce que vous voudrez, firent-ils, nous n’essayerons pas de fuir.

Fandor, de son côté, se frottait les mains :

— Ça va, alors. Nous allons nous tirer d’ici. Ah, mais, j’y songe, et Juve ? Si jamais il revenait, il pourrait s’inquiéter de ne plus nous trouver.

Le journaliste tira son portefeuille, écrivit en hâte quelques mots destinés à renseigner Juve, si par hasard le policier survenait après leur départ. Il attacha cette feuille de papier bien en vue sur l’un des barreaux de l’échelle de la champignonnière.

Cela fait, Fandor, en moins de cinq minutes, hissa Nalorgne et Pérouzin au moyen de la benne jusque dans le champ désert. Il alla quérir le taxi-auto abandonné par Juve, y jeta les deux agents de police, mit le moteur en marche, sauta sur le siège.

Fandor, à cet instant, était joyeux, respirait à pleins poumons.

— Bougre, se disait-il à lui-même, je n’aurais jamais cru qu’il fût si pénible de passer une nuit et une journée enfermé dans une cave à champignons. Ah, que c’est beau, la nature et les petits oiseaux.

Fandor devait évidemment faire appel à sa puissante imagination pour s’extasier devant la nature, car le paysage qu’il avait devant les yeux ne prêtait guère au lyrisme. Il traversait en effet les quartiers épouvantables, mal famés et laids du Petit-Bicêtre, du Grand-Bicêtre, tous ces faubourgs qui entourent Paris d’une ceinture de misère et de puanteur.

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