La main coupée (Отрезанная рука) - Сувестр Пьер 20 стр.


— Hélène, gémit Fandor dont la conscience était à la torture, Hélène, puis-je faire autrement ? vous qui êtes droite, noble, sincère, ne mépriseriez-vous pas Jérôme Fandor et Juve si l’un ou l’autre accédait à votre désir ?

— Jérôme Fandor, reprit sur le même ton, de sa voix grave et convaincante, la fille de Fantômas, puis-je faire autrement ? et que penseriez-vous d’une fille, d’un enfant qui trahirait son père ?

Il y eut un silence : ces deux êtres si sincères, si touchants l’un et l’autre, courbaient le front sous les coups brutaux de la Destinée.

Ils demeurèrent longtemps silencieux, immobiles, puis lentement la fille de Fantômas appuya sur le bouton électrique : un domestique apparut.

— Reconduisez monsieur, fit-elle.

Fandor, comme s’il sortait d’un rêve la considéra un instant, abasourdi de son calme imperturbable.

— Vous reverrai-je ?

— Dans une heure, je serai partie d’ici. Ne cherchez pas à me rejoindre. Vous ne me retrouveriez pas.

Fandor, ému, silencieux, ne quittait pas Hélène des yeux, puis, il se rapprocha d’elle et à voix très basse :

— Vous ne dites pas la vérité, je sais que je vous retrouverai, mais dites-moi quand ? où ? je veux le savoir.

— Qui sait, dit Hélène.

Puis, jugeant que l’entretien avait assez duré, trop duré peut-être, elle s’inclina cérémonieusement devant Fandor :

— Adieu, monsieur.

— Adieu, mademoiselle Denise.

***

Dans le modeste appartement qu’ils occupaient à l’hôtel de la Bonne Chance, Juve et Fandor demeuraient prostrés l’un en face de l’autre, assis dans des fauteuils.

Juve avait les traits tirés, semblait d’une humeur massacrante, Fandor se rongeait les ongles jusqu’au sang.

— C’est plus que de la sottise, grognait Juve, c’est de l’incohérence, presque de la trahison.

— Juve, vous employez des mots qui ne traduisent pas votre pensée.

— Prends-les comme tu voudras, répliqua le policier, lorsqu’on tient à sa merci quelqu’un comme la fille de Fantômas, on ne se laisse pas berner par un regard de ses beaux yeux, on l’empoigne, on l’amène de gré ou de force. La gaillarde est très forte. Elle t’a roulé.

Fandor n’avouait pas qu’au sortir de la maison Héberlauf il avait éprouvé un instant, lui aussi, la crainte d’être dupé par la fille de Fantômas.

Mais il s’était ravisé aussitôt, il connaissait le caractère intransigeant, net, catégorique et profondément honnête de l’enfant du bandit et il savait que ses grands yeux ne mentaient pas.

Fandor répondit :

— Je ne suis ni une brute, ni un malotru, Juve, mais j’étais chez elle, je ne pouvais rien.

— Il fallait l’empoigner tout de même, on se serait expliqué ensuite.

— Juve, vous raisonnez comme un argousin.

— Toi, Fandor, tu te conduis comme un imbécile.

Les deux hommes, un instant, se regardèrent avec des yeux chargés de colère, puis le silence reprit. Il plana longtemps sur eux, sans que les deux amis fassent quoi que ce soit pour le rompre. La rage, en effet, bouillonnait dans leur cœur.

— Juve, appela enfin Fandor.

— Quoi ?

Le journaliste poursuivit perfidement :

— Rien ne vous empêche, si le cœur vous en dit, de courir après la fille de Fantômas, de vous lancer à sa poursuite, de faire arrêter l’officier. Vous avez eu toute la nuit et la matinée pour vous en préoccuper. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

Juve blêmit :

— Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que je ne l’ai pas voulu. Libre à moi d’occuper mon temps comme il me plaît.

— Libre à vous, surtout, Juve, interrompit Fandor, de courtiser la dame de pique.

— Cela vaut peut-être mieux que de se laisser berner par la dame de cœur.

Juve, en effet, tandis que Fandor était allé voir la fille de Fantômas, était resté au Casino. D’abord, il avait joué à la roulette pour s’efforcer d’étudier les tricheries possibles, pour savoir si quelque nouvelle combinaison de son énigmatique adversaire n’allait pas lui permettre de découvrir les complots ourdis contre le Casino. Mais Juve, s’il avait été de bonne foi, aurait certainement reconnu que c’était là un prétexte. Juve avait joué parce qu’il devenait joueur. Parce qu’il était pris dans l’engrenage, parce que, malgré lui, lorsqu’il entendait le bruissement des pièces d’or sur les tapis verts des roulettes ou du trente et quarante, il éprouvait comme un vertige, comme un besoin, de tenter, lui aussi, la chance et cela, non pas uniquement par cupidité ou par avarice, par désir de gagner de l’argent, mais pour le plaisir, pour le charme, pour la jouissance du jeu en soi. Or, cette nuit-là, jusqu’à l’aube, Juve avait joué la petite fortune que le Casino lui avait octroyée généreusement la veille au soir, pour le récompenser de sa découverte du truquage de la roulette. Et voici que Juve avait tout perdu et c’est à peine s’il lui restait un peu de menue monnaie.

Après s’être invectivés durement, les deux hommes se regardèrent avec des yeux chargés de haine :

— Juve.

— Fandor.

— Retirez ce que vous venez de dire ?

— Retire toi-même, je ne commencerai pas.

Les deux amis qui, jusqu’alors avaient vécu dans une parfaite communion de pensée, se tournèrent le dos.

Juve prit son chapeau et, sans un regard pour Fandor, il quitta leur chambre.

Fandor s’habilla également pour sortir. Il descendit sur les pas de Juve, puis, lorsqu’ils furent parvenus dans la rue, tandis que l’un tournait à droite, l’autre tournait à gauche. Juve et Fandor étaient brouillés.

Si telle était la solution qu’avait rêvée Fantômas, – en admettant que ce fût lui l’auteur de tous ces mystérieux crimes, – il avait fait un coup de maître en attirant à Monaco, Juve et Fandor.

17 – À L’ENTRÉE DES COFFRES-FORTS

Par la route sinueuse qui mène au col de la Turbie, un couple cheminait lentement sous la morsure du soleil.

Ce couple, un homme et une femme, se tenait par le bras. Ils se serraient de près, ils échangeaient des mots tendres.

Parfois, ils arrêtaient leur ascension et se retournaient pour contempler derrière eux le superbe panorama du Rocher de Monaco dont les constructions pittoresques et variées s’étageaient en-dessous d’eux et derrière lequel, à l’horizon, s’étendait comme en nappe d’azur, les flots de la Méditerranée.

— Que c’est beau, comme l’on voudrait vivre ici, disait la femme, à quoi l’homme répondait, plus froid :

— Bah, c’est toujours la même chose, il n’est pas mauvais de voir du pays.

— Louis, interrogea alors la promeneuse, auriez-vous quelques soucis ?

— Je m’ennuie, voilà tout, répondit Louis Meynan, le caissier du Cercle de Monaco, j’en ai assez de cette existence.

Isabelle de Guerray eut un sourire de ravissement. Elle considéra avec une douceur attendrie le visage du jeune homme :

— Tout cela changera bientôt, mon ami, murmura-t-elle, lorsque nous serons mariés.

Puis elle ajoutait, câline :

— Nous irons où vous voudrez, où tu voudras, selon ton gré, l’un à l’autre, étroitement unis.

— Vous êtes bien poétique, aujourd’hui, ma chère Isabelle.

Et Isabelle, rappelée à l’ordre, se tut.

Elle avait cru réaliser son rêve : se marier, conquérir la respectabilité qui lui faisait envie. Ce rêve s’appelait Louis Meynan.

Mais tout à coup, les choses s’étaient gâtées. Si le caissier du Casino acceptait tacitement de vivre d’une fortune gagnée il ne voulait pas savoir comment, il s’affolait en revanche à l’idée que sa future épouse pût être compromise dans une affaire judiciaire. Or il y avait cette main de mort qui portait l’anneau offert à l’un des amants d’Isabelle.

La rupture avait failli se produire.

Isabelle de Guerray avait résolu d’en avoir le cœur net.

Précisément Louis Meynan était libre jusqu’à sept heures du soir. Ils s’expliqueraient au cours d’une promenade en tête à tête.

Ils étaient partis à pied dans la direction de la Turbie.

Après une demi-heure de silence, pendant laquelle les deux fiancés avaient réfléchi sur tous ces événements et envisagé diverses solutions, Isabelle de Guerray prit la parole :

— Louis, déclara-t-elle, nous ne pouvons plus vivre dans ces conditions, il faut en finir au plus vite, changer notre existence. Nous devions nous marier dans six mois, dans un an peut-être. Faisons-le de suite. Quittez le Casino, je pars aussitôt de Monaco !

— Quoi ? interrogea Louis Meynan avec une nuance de surprise, vous seriez disposée à rompre brusquement avec toutes vos belles relations, à quitter Monte-Carlo dans quelques heures ? On jaserait. On se demanderait certainement ce qu’est devenue la belle Isabelle de Guerray ?

La demi-mondaine eut un léger sourire d’amertume :

— Ce que je vous propose, Louis Meynan, dit-elle, n’est pas une proposition faite au hasard, j’ai mûrement réfléchi. Peu importe ce que l’on pourra dire et mon existence prochaine de femme mariée ne doit ressembler en rien à celle que je menais, célibataire. Tant pis pour les relations.

Louis Meynan demeurait perplexe.

Les promeneurs étaient arrivés à l’entrée d’un petit bois où se trouvait un cabaret champêtre. Ils avaient chaud, un ruisseau passait à proximité d’une auberge rustique.

— Arrêtons-nous ici, suggéra Isabelle de Guerray…

Et comme le couple s’installait à l’ombre d’une tonnelle, Isabelle commanda une grande tasse de lait. Louis Meynan éclata de rire :

— Décidément, ma chère, dit-il, vous êtes de plus en plus poétique aujourd’hui. À quand la houlette et les bergeries ? Pour moi, dit-il à la servante qui attendait le complément de la commande, pour moi, ce sera une absinthe, et bien tassée.

Cependant Isabelle de Guerray prêtait l’oreille, elle regardait tout autour d’elle et se préoccupait de voir se dissimuler dans les fourrés voisins deux ou trois individus aux allures suspectes qui, lui semblait-il, l’avaient suivie de loin, ainsi que son ami, alors que tous deux partaient en promenade.

Louis Meynan s’aperçut de l’inquiétude d’Isabelle de Guerray.

Il regarda à son tour, découvrit l’un des hommes qui, en effet, rôdaient dans le voisinage, puis il haussa les épaules :

— Ce sont des agents, déclara-t-il.

— Des agents ?

— Tranquillisez-vous, ces agents n’ont rien à voir dans les affaires d’assassinat qui vous préoccupent, ce sont tout simplement mes agents à moi, mes suiveurs.

— On vous suit donc, Louis ?

— Hé, sans doute, poursuivait-il en frisant sa moustache, je suis, moi, comme les grands personnages, comme les têtes couronnées, un être que l’on surveille, que l’on protège constamment. Nulle existence n’est plus épiée que la mienne et je ne puis faire un pas dans la Principauté sans que l’on s’imagine que je cherche la direction de Bruxelles. Dame, un caissier, l’homme qui porte sur lui la clé des caisses et qui connaît le secret du coffre-fort, c’est quelqu’un.

— Vraiment, on vous espionne ?

— On m’espionne, et ça n’est pas le plus drôle, je vous assure, de la vie que je mène. Les premiers jours on s’en amuse, la semaine suivante on y fait moins attention. Un beau matin on oublie, on s’efforce de ne plus y penser, mais chaque fois que l’on s’en souvient, que l’on s’en aperçoit, cela vous énerve, vous agace, vous exaspère.

— Veux-tu, demanda Isabelle, veux-tu que tout cela finisse ? Veux-tu que nous partions tous deux, demain, ce soir, quand il te plaira, je suis prête à tout abandonner.

Isabelle de Guerray attendit la réponse avec une mine douloureuse et inquiète. Puis, soudain, son visage se transfigura :

Louis Meynan, gagné peu à peu par la tendresse de cette femme, un peu mûre, sans doute, au passé regrettable, évidemment, mais éprise de lui, répondit tendrement :

— Qu’il soit fait selon ton désir, Isabelle, préparons-nous à partir. D’ici huit jours nous serons loin, nous aurons jeté les bases d’une existence libre et nouvelle, cependant que nous jetterons aussi l’un et l’autre un voile sur le passé.

Insoucieuse de l’escorte importune des agents qui, à peine dissimulés dans le feuillage voisin, épiaient les moindres de leurs gestes, s’ils n’entendaient pas leurs paroles, Isabelle de Guerray se jeta au cou de son compagnon et appuya tendrement la tête sur sa poitrine.

Puis leurs lèvres s’unirent dans un long baiser et ce baiser scellait la réconciliation définitive, scellait l’entente de ceux qui allaient être bientôt mari et femme.

***

Une heure après, cependant qu’Isabelle de Guerray retournait à sa villa et lançait des coups de téléphone à la plupart de ses intimes pour annoncer qu’elle ne recevrait pas le lendemain, car elle avait décidé de quitter Monaco dans le plus bref délai, Louis Meynan était revenu au Casino pour prendre son service.

Mais avant d’entrer en fonctions il avait avisé son chef de sa prochaine démission, que l’on accueillait sans surprise, car l’administration du Casino était renseignée et connaissait les projets de mariage du modeste employé et de la demi-mondaine sur le retour.

Le sous-directeur, toutefois, avait demandé à Louis Meynan :

— J’espère que vous nous resterez encore quarante-huit heures, le temps de passer le service à votre remplaçant ?

— Assurément, avait répondu le caissier.

Puis, comme huit heures sonnaient, Louis Meynan était parti pour se rendre à la caisse où il devait effectuer d’importants prélèvements.

***

Sous l’escalier se trouvait une sorte de pièce à laquelle on accédait par deux grandes portes. L’une donnait sur ce que l’on appelait la galerie Nord, l’autre, sur l’autre galerie, désignée sous le nom de galerie Sud. .

Ceux qui passaient là pour la première fois ne remarquaient pas cette disposition.

Certes le dessous de l’escalier était hermétiquement clos, mais cela ne prouvait rien, et il n’y aurait eu aucune raison, à part peut-être des motifs d’esthétique, pour que ce dessous d’escalier fût à jour.

Si par hasard les passants dans l’une ou l’autre des galeries Nord ou Sud, voyaient entrebâillée l’une des portes aménagées dans la muraille placée sous les marches, ils s’apercevaient qu’elle accédait dans une salle absolument obscure et dont le sol était sablé. Si quelque indiscret voulait se renseigner sur le but de ce local, on ne se gênait pas pour dire que c’était là l’entrée des nouvelles caves de sûreté où l’administration du Casino accumulait ses réserves d’or, d’argent et de papier-monnaie.

Assurément les portes étaient robustes, mais elles ne semblaient pas dignes de protéger les immenses fortunes que contenaient les souterrains dont elles commandaient l’entrée. Vraisemblablement il devait y avoir d’autres obstacles à franchir pour parvenir jusqu’au trésor qu’eussent envié les princes dont on parle dans les Mille et Une Nuits, ou simplement les fabuleux rois des Indes.

Il y avait, en effet, d’autres obstacles et ceux-là, nul ne les connaissait.

Les gardiens, lorsqu’on les interrogeait sur les mystères de cette chambre noire, répliquaient que rien n’étaient dangereux comme de s’y aventurer, car elle comportait de nombreuses installations électriques. Il passait dans la pièce, assurait-on, des multitudes de courants dont le moindre suffisait à foudroyer son homme. On parlait aussi d’oubliettes, de planches à bascule, de guillotine, de tout un arsenal de tortures et de défenses dont la seule énumération eût épouvanté les plus audacieux.

Cela toutefois était-il vraisemblable ?

Pouvait-on s’imaginer que dans ce Casino si élégant, si doré, si mondain, pouvait exister un semblable repaire de terreur ? Et cela non pas dans un endroit écarté et désert, mais bien dans la partie la plus élégante de l’établissement, sous le grand escalier à double révolution, dont la rampe en fer forgé faisait l’admiration des connaisseurs, au beau milieu du hall, entre les deux galeries Nord et Sud où défilait pendant la saison tout ce que le monde civilisé compte d’élégants et de riches ?

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