La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса) - Сувестр Пьер 30 стр.


Des lèvres exsangues de Hans Elders, un seul mot sifflait encore. Une seule phrase qui semblait contenir à elle seule toute la terreur qui, manifestement, s’était emparé de l’âme du directeur de Diamond House :

— Fantômas, c’est vous, Fantômas. Ah, pourquoi ?

— Vous demandez pourquoi je suis revenu, Hans ?… Allons donc ! Avez-vous perdu l’esprit ? Faut-il que j’évoque à vos yeux les conventions que nous avions passées jadis ?

— Non.

— Alors, je vous le répète, d’où vient votre étonnement ?

— On vous disait mort.

— Mort ? Allons donc. Est-ce que Fantômas peut mourir ? Est-ce que Fantômas est mortel ?

Puis quittant le ton de la plaisanterie :

— Rappelez-vous Hans Elders, nous étions les meilleurs amis du monde. Et nous aurions eu des destinées pareilles si votre esprit, Hans ne s’était montré, en somme, que faible et de peu d’envergure. Car, tandis qu’alors déjà je me savais promis aux plus hautes destinées, vous, d’une ambition moins haute, vous vous estimiez satisfait de votre sort. C’est à ce moment, Hans, que je vous fis la proposition qui nous lie, que nous avons signé le contrat qui faisait de vous mon premier lieutenant et de moi l’artisan de votre fortune. C’est moi, Hans Elders, c’est moi Fantômas, qui vous ai donné l’idée géniale de cette fausse chercherie de diamants. Je m’engageais à vous trouver des pourvoyeurs, je vous promettais que les gemmes afflueraient dans vos coffres. Ai-je manqué à mes serments ? Ai-je trahi mes promesses ? Ai-je été en-dessous de la tâche que j’avais librement adoptée ? Répondez, Hans Elders.

Le malheureux directeur de Diamond House avait peine à ressaisir ses esprits.

Et Fantômas s’en apercevait si bien que, dans une attitude qui se mélangeait de compassion et de défi, c’était lui qui avait avancé un siège vers celui qu’il venait de traiter de complice.

— Asseyez-vous, dit-il, calmez-vous, Hans. Si, en effet, vous me croyiez mort, je comprends que vous ayez pu être surpris de ma réapparition et je ne vous en veux pas. Mais aussi bien, il est temps que vous redeveniez maître de vous-même, nous avons à travailler.

— À quoi ?

— Oui, poursuivit Fantômas, qui maintenant se promenait de long en large dans le bureau du directeur de Diamond House, nous avons à travailler. Mais avant, répondez-moi, ai-je été pour vous le fidèle associé que j’avais juré d’être ? Votre chercherie de diamants a-t-elle prospéré ? Vous ai-je fait gagner les millions que je vous avais promis ? En vous assurant en même temps une parfaite impunité ?

Hans Elders ne put que faire « oui » de la tête :

— Alors, mon camarade, reprit de sa même voix railleuse Fantômas, dans ce cas, il me semble que c’est maintenant à vous de tenir vos promesses ? Décidez-vous. Rendez-moi des comptes, dites-moi le montant de ma part.

Le montant de sa part… Jadis, quand dans le veld sauvage, Fantômas et Hans Elders étaient tous les deux des pillards comme en traînent à leur suite toutes les armées qui font campagne, Hans Elders avait été heureux d’accepter les propositions du bandit. Il avait vu dans l’offre que Fantômas lui faisait de lui fournir régulièrement des pierreries destinées à amorcer la fausse chercherie un moyen de faire fortune. Hans avait reçu, par la suite, la visite de pourvoyeurs louches que Fantômas, Fantômas disparu, lui adressait. La chercherie, alimentée par des courtiers qui n’étaient en réalité que des receleurs, par Gérard, par Ribonnard et tant d’autres avait prospéré. Et comme Fantômas ne donnait toujours pas de ses nouvelles, comme il devenait légendaire, comme à maintes reprises on avait annoncé sa mort, Hans Elders avait imaginé que son redoutable associé ne viendrait jamais lui demander de comptes, ne se présenterait jamais pour réclamer son dû.

Or, cette échéance que ne redoutait plus Hans Elders, voici qu’elle avait sonné, voici que Fantômas était devant lui, voici qu’il disait d’une voix dédaigneuse :

— Partageons.

Hans déjà s’affolait.

Il n’était pas au bout de ses peines, car soudain Fantômas avait changé d’attitude.

Ce n’était plus seulement un homme railleur que Hans Elders avait devant lui, c’était bien le Roi du Crime, c’était un maître, un maître qui menaçait.

Oui, Fantômas, soudain, en comédien expert qu’il était, quittait le ton badin, prenait une mine grave. C’était frissonnant qu’il s’avançait vers Hans Elders, les mains tendues, l’œil injecté, fou furieux :

— Misérable, hurla-t-il, traître, abject individu, renégat ! Oh, crois-tu que j’ignore aucune de tes vilenies ? Écoute. Il y a six mois que je t’épie. Il y a six mois que je suis au courant, jour par jour, de tes actes et de tes lâchetés. Il y a six mois que je sais que tu me crois mort, que tu dis à chacun que je suis mort, que tu prétends voler, à moi, à ton bienfaiteur, à ton maître, au maître de tous, à Fantômas, la part qui me revient légitimement de l’exploitation de cette chercherie que mon industrie seule a créée, que mon industrie seule maintient productive.

— Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai !

Mais Fantômas s’était ressaisi.

Il maîtrisait sa colère.

D’une voix redevenue froide, implacable, il interrogea :

— Mais tu as fait pis. Tes larcins, ta lâcheté, ta duplicité de traître, je te les pardonnerais encore. Ce que je ne te pardonnerai pas, Hans Elders, c’est d’avoir voulu dérober le coffret, le coffret que j’avais confié à Laetitia, et où étaient enfermés les papiers de ma fille.

Hans Elders, devant la colère du maître, devant la colère de Fantômas, était hors de lui, hagard, affolé.

Il présentait le spectacle lamentable d’un homme qui se sent perdu, qui sue la peur.

Il savait que Fantômas ne faisait pas grâce.

Hans Elders, pourtant, si lâche qu’il était, était plus encore avide d’or.

Au moment même où il s’agissait d’obtenir son pardon de Fantômas, il voulut encore mentir :

— Je n’ai pas volé le coffret, affirma-t-il.

Mais il se tut.

Un tel éclair de colère avait brillé dans les yeux de Fantômas que déjà, il n’osait plus soutenir le mensonge qu’il venait d’inventer.

Et Hans Elders fut lâche jusqu’au bout…

Il se releva du fauteuil où il s’était écroulé…

Il se jeta à genoux sur le sol.

Et se traînant vers Fantômas, il râla :

— Maître, pitié, je te croyais mort. C’est pour cela…

Fantômas l’interrompit d’un mot :

— Si j’étais mort, dit-il, ma fille était encore vivante, n’est-il pas vrai ? En volant le coffret tu voulais voler sa fortune, c’était elle que tu cherchais à dépouiller ?

Oh ! ces paroles que Fantômas prononçait furent pour Hans Elders un trait de lumière.

Fantômas disait : « Ma fille était encore vivante, sans doute… » Il n’en était donc pas sûr ? peut-être pouvait-il douter à ce sujet ?

Affolé et conservant encore une vague espérance de se sauver, Hans Elders affirma solennellement :

— Tu te trompes, Fantômas, et je frémis moi-même en songeant à l’horrible nouvelle que tu vas apprendre, puisque tu sembles l’ignorer…

Fantômas avait blêmi :

— Ma fille ?

— Ta fille est morte.

Et comme Fantômas ne tressaillait même point, Hans, jouant le tout pour le tout, se hâtait d’ajouter :

— Ta fille est morte, Fantômas, je te croyais mort, toi aussi. C’est pour cela que j’avais volé ce coffret, c’est pour cela que je voulais m’approprier les parchemins qui faisaient ta fille riche, mais, puisque te revoilà, la situation change, et je n’ai plus de raisons d’agir ainsi.

Et, tout en parlant, Hans Elders surveillait l’effet de ses déclarations sur le visage de Fantômas.

Fantômas était impassible.

Croyait-il réellement que sa fille était morte, ou ne le croyait-il pas ?

Impossible de le deviner à son regard…

Hans Elders vit le bandit sourire d’un sourire énigmatique.

Fantômas tira de sa poche un revolver dont il menaça la poitrine du directeur de Diamond House :

— Il y a, disait-il froidement, des mensonges et des vérités dans ce que tu dis, Hans. Sois bien persuadé que je ne suis point ta victime et que je sais lire dans tes paroles et dans ton cœur. Écoute. Regarde. Je suis armé, prêt à tout. Tu sais que je n’ai jamais manqué mon but ? que, s’il me plaît de t’abattre, je t’abattrai comme un chien s’il te prenait fantaisie d’essayer de fuir ? Voici mes ordres : Lève-toi. Viens. Guide-moi vers l’endroit où tu as caché, non pas le coffret, mais le crâne qui contient les parchemins que je suis venu te réclamer. Il faut à tout prix que je rentre en leur possession. Ce que je ferai de toi, après que tu m’auras rendu ce dépôt, je te dirai alors.

Et telle était la sombre volonté, telle était l’énergie qui se lisait dans l’attitude de Fantômas que, n’osant pas lui résister, n’osant pas tenter un nouveau mensonge, Hans Elders se leva, s’apprêta à guider Fantômas vers l’ossuaire où, quelques jours auparavant, il avait caché lui-même la tête de mort mystérieuse.

27 – QUI ME TOUCHE A LA PESTE

Fantômas et Hans Elders venaient de pénétrer dans l’ossuaire élevé au centre du cimetière qui se trouvait enclos dans les bâtiments de l’usine.

Hans Elders livide, tremblant, n’osait faire un geste, n’osait dire une parole et semblait agir automatiquement, sans même avoir le sentiment de ses actes.

Pour Fantômas, la mine sombre, un éclair d’énergie dans les yeux, il paraissait en proie à une colère furieuse et prêt, au moindre mouvement suspect, à se débarrasser du misérable qu’il accusait de l’avoir trahi.

— C’est ici, interrogea le bandit que tu avais caché ce crâne ?

— Ici, maître, et je ne sais si je vais le retrouver facilement.

Cette dernière défense de Hans Elders, cette dernière tentative qu’il faisait pour essayer d’abuser encore celui qui lui commandait de façon si hautaine, eût été grotesque, n’eussent été les circonstances.

Fantômas répondit :

— Sur ta vie, Hans Elders, tu as cinq minutes pour me restituer ce qui m’appartient, ce que tu as eu l’audace insensée de voler.

Hans Elders, dès lors, ne pouvait plus hésiter. Il se jeta à genoux sur le sol dallé de l’ossuaire.

 Ses mains qu’agitait un tremblement convulsif renversaient, en mouvements saccadés, les piles de crânes qui s’étageaient en pyramide contre la muraille. Bientôt, dans la pénombre du lieu, le crâne phosphorescent apparut, épouvantable à voir, avec la grimace, le rictus sardonique que dessinaient les trous d’ombre des orbites et de la mâchoire.

— Maître, maître, râla Hans Elders, tu vois que je ne t’avais pas menti ? voilà la tête de mort dont tu avais fait ta cachette.

Fantômas n’avait pas attendu les explications de son complice. Il s’était penché sur Hans Elders et l’écartant brutalement, le renversant à demi sur les dalles, il s’était emparé avidement du crâne mystérieux.

Le bandit, qui jadis avait inventé cette ruse infernale de dissimuler à l’intérieur d’un crâne humain les parchemins qui présentaient pour lui une si haute importance, ne put s’empêcher de frémir en rentrant en possession de ces ossements qui sans doute, depuis près de douze ans, lui hantaient l’esprit.

Fantômas en oubliait presque la présence de Hans Elders qui le fixait maintenant avec des yeux hagards…

Nerveusement, il retourna dans ses doigts la tête de mort.

Oui, il le reconnaissait, oui, c’était bien ce qu’il était venu chercher au Natal. C’était bien ce crâne qui contenait les papiers de sa fille, de cette Hélène qui, lui disait-on, était morte et qu’il voulait croire en vie dans la formidable incrédulité que mettait en son cœur le sentiment paternel.

Incapable de réprimer son impatience, et alors qu’il n’eût pas voulu, pourtant, opérer devant Hans Elders, Fantômas qui connaissait, lui, pour les avoir machinés, les secrets de ces ossements, cherchait le ressort mystérieux. Le crâne s’ouvrit.

Mais alors qu’enfin Fantômas pensait atteindre le but que depuis de longs jours il poursuivait, un cri de rage lui échappa.

À l’intérieur du crâne, il ne retrouvait rien. Les parchemins qu’il cherchait n’étaient pas là. On les avait volés. On l’avait trahi. Il était joué. Ce fut alors une scène abominable… Fou de colère, Fantômas se précipita sur Hans Elders. Il prit au collet le directeur de Diamond City, il lui cria :

— Misérable. Où sont mes parchemins ? Traître, deux fois traître, qu’en as-tu fait ?

Hans Elders qui ne pouvait comprendre, lui qui n’avait jamais su découvrir le ressort ouvrant le crâne, comment les papiers que lui demandait Fantômas avaient disparu, eut à peine le temps de balbutier :

— Je ne sais pas.

Fantômas, cette fois, n’était plus maître de lui.

C’était d’un mouvement tout instinctif qu’il repoussait violemment Hans Elders qui tournoya sur lui-même, étourdi, trébuchant, prêt à s’écrouler.

Et c’était encore instinctivement que Fantômas tira de sa ceinture son revolver, et sans même prendre le temps d’ajuster Hans, tendit le bras et presque à bout portant fit feu sur celui qu’il accusait de trahison.

— Misérable, tu paieras de ta vie d’avoir voulu te jouer de moi.

Hans, atteint en plein cœur, tomba sans un cri, tué roide, sur le sol du caveau.

Puis un silence effroyable, un silence où l’on n’entendait guère que le souffle haletant, rauque de Fantômas, de Fantômas si indifférent au sort de Hans Elders qu’il avait déjà presque oublié ce complice inutile, qu’il devait s’appuyer à la muraille tant il était lui-même anéanti, désespéré par la disparition des parchemins auxquels il tenait avant tout.

Quelques minutes passèrent…

Soudain, Fantômas releva la tête.

Une sueur froide lui coulait du front.

Un tressaillement convulsif agitait tout son être. Qu’était-ce encore ?

Fantômas croyait qu’il venait d’entendre marcher. Il était alors au fond du caveau, où ne se trouvait qu’une seule porte. Allait-il se laisser prendre dans ce petit bâtiment comme dans une souricière ?

Une voix jeune, fraîche, claire, cria dans le silence :

— Pas un mouvement, ou vous êtes mort.

Fantômas avait bondi vers la porte de l’ossuaire, prêt à se frayer un passage… Il devait reculer…

Dans l’encadrement de la porte, il apercevait, en effet, la silhouette mince et fine d’un jeune homme, d’un tout jeune homme, qui, un fusil à l’épaule, le couchait en joue, se tenait prêt, au plus petit mouvement, à faire feu sur lui.

— Qui êtes-vous ? râla Fantômas. Que me voulez-vous ? Faites-moi place. Ne vous mêlez pas de choses qui ne vous concernent pas.

Mais il s’interrompit…

Le jeune homme, à nouveau, venait de répéter sur un ton auquel on ne pouvait se tromper :

— Pas un mouvement, ou vous êtes mort.

Fantômas vécut alors une seconde abominable. Que faire ?

Quel était cet inconnu ?

Et, voulant risquer le tout pour le tout, ainsi qu’il en avait l’habitude, en une seconde Fantômas décida de bondir sur l’inconnu, d’essuyer un coup de feu, au besoin, mais de se frayer un passage coûte que coûte.

Le bandit, toutefois, n’eut pas le temps de mettre ce plan de fuite à exécution.

Une foule d’ouvriers, de serviteurs, se précipitait en effet vers l’ossuaire…

Le coup de revolver de Fantômas, résonnant sous la voûte du petit bâtiment avait fait un vacarme de tous les diables, on l’avait entendu, on accourait.

Fantômas comprit qu’il était perdu.

Parbleu, les arrivants apercevraient à ses pieds le cadavre de Hans et ce jeune homme qui le tenait en joue, qui allait le dénoncer… Ils étaient cinquante contre un, il ne pourrait même pas lutter.

Mais brusquement, Fantômas, dans son infernal génie, trouva une ruse.

Comme ceux qui accouraient parvenaient près de l’ossuaire, Fantômas hurla :

— À l’aide, au secours, on m’assassine.

Fantômas, après avoir tué Hans Elders, avait jeté au loin le revolver dont il s’était servi. Il était sans armes. Il était à côté de la victime. On pouvait s’y tromper.

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