Et il n’hésitait pas. C’était le jeune inconnu qui allait l’accuser qu’il accusait du meurtre de Hans.
Les arrivants, pourtant, à son appel, s’étaient presque immobilisés.
À coup sûr, nul ne comprenait, nul ne devinait pourquoi lui, que pas un d’eux ne connaissait, se trouvait dans l’ossuaire, appelant au secours, et cela près du cadavre de Hans Elders.
Que s’était-il passé au juste ?
Un ouvrier, un colosse, brusquement se saisit par derrière du jeune homme qui tenait toujours en joue Fantômas et n’avait point même répondu à son appel.
— Allo Teddy, cria-t-il, qu’est-ce qui vous prend ? Qu’avez-vous fait ?
— J’arrête le meurtrier de Hans Elders.
Mais, en même temps, Fantômas cria :
— Il vient de tuer Hans. Il veut me tuer. C’est un fou. Tenez bon.
Le même mouvement d’incrédulité qui avait suivi le premier appel au secours de Fantômas fit hésiter ceux qui maintenant se pressaient à l’entrée de l’ossuaire, qui, bloquant Fantômas dans l’intérieur du monument, s’empressaient cependant de désarmer Teddy, de lui arracher le fusil dont il menaçait toujours son adversaire.
Et, dans l’affolement d’une minute où chacun parlait à la fois, où tout le monde voulait comprendre quelque chose à un drame en apparence inexplicable, des interjections fusèrent :
— Vous accusez Teddy d’avoir tué Hans ?
— Qui êtes-vous ?
— Pourquoi Teddy veut-il vous tuer ?
— Que faites-vous là ?
Fantômas, de la main, imposait silence à ceux qui le questionnaient en désordre.
Le bandit avait recouvré son sang-froid…
— J’accuse formellement, répondait-il, ce jeune homme que vous appelez Teddy d’avoir tué Hans Elders. Je l’accuse de vouloir me tuer. Emmenez-le, je vous expliquerai tout.
Les présomptions étaient en faveur de Fantômas… On avait trouvé Teddy armé et le couchant en joue…
Teddy, de plus, ne disait rien, une flamme dans le regard, dédaigneux, méprisant les accusations portées contre lui.
Ceux qui le tenaient, car, instinctivement, les ouvriers l’avaient pris par le bras, lui demandèrent :
— Vous avez tué Hans ? Pourquoi, Teddy ?
Le jeune homme articula, sans même vouloir s’expliquer davantage :
— Mensonge, ce n’est pas moi, c’est cet homme qui est l’assassin.
Mais Fantômas trouva la réponse contre laquelle rien ne pouvait prévaloir :
— Moi qui ai tué ? Allons donc. Je n’ai pas d’armes et, vous venez de le voir, il me couchait en joue.
Alors, à cette remarque du bandit, dont nul ne pouvait nier la vérité, qui paraissait péremptoire, une excitation brutale s’empara de ceux qui assistaient à cette scène tragique.
Dans la surexcitation de la minute, ils ne raisonnaient plus, ils ne cherchaient même plus à savoir, à comprendre.
On se précipita sur Teddy, on le bouscula, on allait l’entraîner, lui faire un mauvais parti peut-être, et laisser Fantômas s’enfuir, lorsqu’un événement inouï se produisit qui figea dans l’épouvante tous les assistants.
Au fond de l’ossuaire, dans un coin d’ombre impénétrable, un bruit s’était fait entendre.
Là se trouvaient, couchés les uns à côté des autres, des squelettes encore entiers.
Et voilà qu’il semblait que ces squelettes bougeaient.
Voilà qu’ils se redressaient.
Voilà qu’ils s’écroulaient.
Un « ah » angoissé s’échappa de toutes les poitrines…
Du dessous des ossements, de l’amoncellement de squelettes, un homme sortait qui, la mine railleuse, très calme, impassible presque, s’avançait et criait :
— Lâchez Teddy. Il est innocent. L’assassin, c’est cet homme. Et cet homme, c’est Fantômas !
Juve, en effet, ne pouvait manquer d’intervenir.
Dissimulé sous son tas de squelettes, il n’avait pas eu le temps de se précipiter sur Fantômas au moment où celui-ci faisait feu sur Hans Elders.
Le geste du bandit avait été si soudain qu’il l’avait surpris.
La brusque apparition de Teddy à la porte de l’ossuaire avait encore paralysé Juve.
Le policier s’était tenu immobile pour apprendre de façon certaine si Fantômas savait qu’il était en face de sa fille. Mais, l’accusation que Fantômas lançait sur Teddy lui prouvait le contraire, et Juve n’hésita pas à intervenir.
Mais si à l’apparition inopinée du policier, ceux qui s’étaient emparés de Teddy lâchèrent presque le jeune homme, ils ne s’en précipitèrent pas pour autant sur Fantômas.
Nul ne connaissait Juve, on se concertait, on hésitait à lui faire confiance. Et Fantômas reprit :
— Ne croyez pas cet homme, qui veut sauver son complice. Vous voyez bien que je viens d’être attiré dans un guet-apens.
Juve cria alors à Fantômas :
— Mais malheureux, taisez-vous donc.
Et montrant du doigt Teddy, il ajouta à l’adresse du bandit :
— Vous n’avez donc pas vu le tatouage qu’elle porte à la nuque ?
Cela, ces mots, nul ne les comprenait, nul, même n’y prêtait attention, sauf Fantômas. Le bandit parut atterré.
— Miséricorde, fit-il tout bas.
Puis, inventant une nouvelle ruse, trouvant une ressource suprême dans son esprit fertile, et avant que Juve eût eu le temps d’intervenir à nouveau, croisant ses bras sur sa poitrine, il s’avança vers la porte de l’ossuaire, vers ceux qui lui barraient le passage :
— Parbleu, cria-t-il, qu’importe tout cela. Il me déplaît, après tout de faire condamner un innocent. Vous demandez quel est l’assassin de Hans Elders ? eh bien, c’est moi. Mais je vous défie de m’arrêter. Je suis l’échappé du British Queen, j’ai la peste. Faites-moi place. Qui me touche est condamné à mort.
Les événements alors se précipitèrent. Fantômas n’avait pas achevé son extraordinaire déclaration, qu’il s’élançait à travers la foule, riant d’un rire sardonique.
— Place, répétait-il.
Et l’on s’écartait.
Et si Juve, lui, bondissait vers Fantômas dans le dessein de l’arrêter coûte que coûte, Fantômas, devançant son mouvement, avait le temps de sortir de l’ossuaire, de franchir les quelques mètres qui les séparaient de l’enceinte du cimetière. Il cria :
— Merci Juve, vous venez de sauver ma fille. Je vous sauverai Fandor.
Le bandit, à ce moment, sauta sur le cheval que Teddy avait abandonné pour s’avancer vers l’ossuaire.
Il piqua des deux, il allait disparaître.
— Malédiction, hurla Juve, c’est Fantômas qui s’échappe.
Le policier fouilla dans sa poche, tira son revolver… s’apprêta à faire feu.
Mais à ce moment il chancela, bousculé, à moitié assommé par un formidable coup de poing.
Juve avait à peine le temps de reconnaître son agresseur.
Teddy venait de sauver la vie à Fantômas.
28 – UN DUEL AU SABRE
— Bon Dieu de bon Dieu, mais il n’y a pas moyen de dormir tranquille ? Voilà qu’on fait un raffut de tous les diables. Qu’est-ce qui se passe donc ? Est-ce à moi que l’on en veut ou bien nul ne soupçonne-t-il ma présence ? C’est dangereux de me montrer, et, d’un autre côté, je ne peux pas rester dans l’incertitude. Voilà bien dix minutes que j’entends tout ce potin, ma patience est à bout.
Tout ce potin.
Celui qui parlait exagérait, évidemment.
On entendait à peine, en effet, dans la cour de la grande ferme de Teddy, que quelques chuchotements qu’accompagnaient par moments des pas précautionneux.
Mais ces bruits, si légers fussent-ils, avaient valeur de vacarme, tant ils prenaient de sens pour le dormeur qui s’en plaignait.
Étrange dormeur, en vérité, et étrange était aussi sa chambre à coucher.
Les bâtiments composant la ferme de Teddy comportaient une série de bâtiments groupées autour de la maison d’habitation. Plus loin, un peu à l’écart, se trouvait une sorte de grand hangar, dont le rez-de-chaussée servait à remiser les machines agricoles, tandis que le premier étage, surélevé, était transformé en grenier à fourrage.
Et c’était dans ce hangar, du beau milieu d’un tas de foin, que la voix railleuse avait parlé, qu’un personnage s’était plaint.
Bientôt, d’ailleurs, ce personnage se faisait voir.
Il émergeait du fourrage, les cheveux en désordre, parsemés de brindilles dorées, les vêtements assez chiffonnés.
Ce personnage, c’était Fandor.
Fandor et Teddy, lorsqu’ils avaient quitté les berges de la rivière où le journaliste, sans l’opportune intervention de l’extraordinaire jeune fille, eût trouvé une mort tragique, s’étaient rendus à la ferme. Là, Teddy avait persuadé Fandor de se tenir coi, quelque temps au moins, caché dans le grenier.
— Je vous en supplie, avait dit Teddy, écoutez-moi, faites ce que je vous dis. Que vous échappiez aux recherches pendant quelques jours et vous serez tranquille, hors d’affaires, sauvé. Car une fois le jugement rendu au sujet de la mort de ce pauvre Jupiter, nul ne songera plus à vous poursuivre. Tandis qu’en ce moment, si l’on vous trouvait…
Il ne convenait pas au caractère de Fandor de se cacher, de se dissimuler. Courageux comme il l’était, le journaliste aurait cent fois préféré lutter face à face avec ses adversaires, mais il est évident que Teddy avait raison.
L’accusation, et même les accusations qui pesaient sur lui, si sottes qu’elles fussent, avaient leur importance. Il convenait de ne pas les négliger, d’y prendre garde et de ne pas agir en leur endroit à la légère.
Fandor s’était résigné, avait écouté les avis de Teddy, s’était caché, se cachait.
« Après tout, pensait le jeune homme, dans l’intérêt même de mes recherches, il convient que je ne me fasse pas sottement arrêter. Gagnons du temps, nous verrons ensuite comment agir.
Teddy lui avait affirmé qu’elle partait se renseigner sur l’état actuel des poursuites dirigées contre lui.
Fandor, confiant dans la parole de la jeune fille, l’avait laissé faire et, fidèle à la promesse qu’il lui avait donnée, s’était enfoui dans une botte de foin pour y sommeiller, comme en la plus tranquille des cachettes.
Malheureusement, au beau milieu de son somme, voilà que Fandor était réveillé par les allées et venues qu’il avait entendues dans la cour.
Le journaliste, ne pensant pas qu’il pouvait s’agir de ceux qui le poursuivaient et se croyant bien à l’abri de toutes espèces de recherches, venait de commettre une véritable imprudence. Avec sa bravoure tranquille et son insouciance ordinaire, il traversa le grenier et, pour se rendre compte des motifs du bruit, passait la tête à l’une des lucarnes du grenier.
Fandor était mal inspiré. Il s’en rendit compte immédiatement, car à peine était-il apparu à la lucarne que des exclamations furieuses le saluèrent.
— Là… là… le voilà… nous le tenons… hardi… fermez le hangar.
Hé, parbleu, Fandor, maintenant, comprenait à merveille la situation.
Il était pris, sottement pris, ridiculement pris.
Par la trahison, sans doute, de quelque voisin, qui l’avait vu entrer avec Teddy, les soldats, faisant office de policemen et lancés à sa poursuite, avaient dû être avertis qu’il se trouvait caché dans le hangar à fourrage.
Sans bruit, ils avaient entouré le bâtiment, et maintenant Fandor ne pouvait plus s’échapper.
Le journaliste n’était pas ému.
Il y avait longtemps qu’il s’était fait à l’idée que ses aventures finiraient mal un jour.
Et Fandor, laconiquement, se déclara à lui-même :
« Ça y est, je suis bouclé.
Instinctivement, pourtant, alors que les soldats hurlaient dans la cour de la ferme, Fandor s’était jeté en arrière, à l’intérieur du grenier.
Il chercha, jetant autour de lui un regard de bête prise au piège, si une issue s’offrait à lui.
Mais il n’en existait aucune. D’ailleurs, courant à une autre lucarne, Fandor se rendait compte que le grenier à fourrage était cerné.
Non, en vérité, il n’y avait pas moyen de fuir. On allait l’arrêter. Il serait conduit à Pietermaritzburg, il serait jugé, en tant qu’assassin de Jupiter et, selon toute vraisemblance, condamné à être fusillé ou pendu…
— Ma foi, se disait Fandor, puisqu’il faut y aller, allons-y.
Et il ne s’avoua pas qu’en dedans de lui-même, au plus profond de son cœur, un regret le faisait surtout tressaillir, une pensée l’émouvait, lui faisait regretter sa liberté, la pensée de Teddy.
Fandor revint vers la fenêtre où il avait fait sa première apparition et, gouailleur, ironique, demanda :
— C’est moi que l’on cherche ?
Des cris, encore, lui répondaient :
— À mort, à l’assassin !
Puis un homme, un chef se précipita, criant :
— Rendez-vous !
Fandor aurait bien voulu résister, mais le moyen ?
— Bon, je me rends, répondit-il. On s’expliquera plus tard.
Et, toujours plaisantant, il ajouta :
— Seulement, il n’y a pas d’escalier pour descendre de mon grenier et comme je n’ai pas envie de me rompre les jambes en sautant, je vous serais bien obligé, les uns ou les autres, d’apporter une échelle ?
L’officier encore répondit :
— On va faire le nécessaire… Mais ne tentez pas de fuir. Nous sommes armés, nous, et au moindre mouvement…
— Tiens, mais c’est vous, Wilson Drag ? Enchanté de vous rencontrer, mon lieutenant.
Le lieutenant ne répondit point. Il toisait Fandor d’un de ces regards de dédain et de mépris qui suffisent à faire naître des haines farouches.
Fandor, bien entendu, rendit coup d’œil pour coup d’œil.
Fandor dégringola rapidement, avec un sourire bon enfant, l’échelle qu’on venait d’appuyer contre la fenêtre de son grenier.
Parvenu dans la cour où les soldats, le fusil à l’épaule, le menaçaient, prêts à. tirer, Fandor s’informa, affectant de tourner le dos à Wilson Drag :
— Et maintenant, qu’est-ce qu’on me fait ? on me tue tout de suite ? non ? allons, c’est heureux. Les émotions me sont défendues et j’ai beau m’attendre à être condamné, à être exécuté, ça me fait toujours quelque chose.
Les soldats, respectueux de la discipline rigoureuse que leur imposait leur chef, semblaient ne pas l’entendre.
Pour l’officier, il affectait de ne tenir aucunement compte de ses paroles… Et comme Fandor, les mains dans les poches, attendait, faisait même mine de s’impatienter, c’est Wilson Drag qui reprit la parole.
Tourné vers ses hommes, il commanda :
— Vous allez garder cet individu à vue. Cinq d’entre vous, le revolver au poing. Au premier mouvement, feu. Les autres, venez avec moi. Il faut que nous perquisitionnions cette ferme, qui m’a l’air d’être le repaire de toute la racaille du pays.
Wilson Drag s’en alla, très digne, sanglé dans son uniforme.
— L’animal, pensait Fandor qui avait peine à se contenir. Il se fiche de moi. On ne doit jamais se fiche d’un prisonnier, pourtant, et je suis son prisonnier.
Fandor rongeait son frein. Il n’aurait convenu, pour rien au monde, qu’il était terriblement anxieux, mais en fait il n’était rien moins qu’assuré.
Comment tout cela allait-il finir ?
Jérôme Fandor suivait encore des yeux Wilson Drag qui s’éloignait vers les bâtiments de la ferme et escorté d’une vingtaine de soldats, lorsque soudain il tressaillit.
C’est qu’un nouvel arrivant faisait son apparition, un arrivant qui, certes, pouvait changer la face des choses.
Il était encore loin, on ne devinait de lui que la silhouette vague d’un cavalier galopant à vive allure que Fandor, déjà, l’avait identifié…
C’était Teddy, Teddy qui, après l’extraordinaire scène qui venait d’avoir lieu à l’ossuaire, avait, s’échappant à ceux qui le pressaient de questions, sauté sur un cheval, vainement donné la chasse au fugitif, puis, renonçant à la poursuite, s’était dirigé vers sa demeure pour mettre Fandor au courant des derniers événements.
Teddy, apercevant dans la ferme l’uniforme des soldats et, à leur tête, Wilson Drag, éperonna sa monture et arriva au grand galop jusqu’au-devant du lieutenant.
Là, brutalement, reprenant les rênes à sa bête, Teddy stoppa, sauta de sa selle et courant à Wilson Drag :