La livrée du crime (Преступная ливрея) - Сувестр Пьер 12 стр.


— Hé, hé, déclara le gros homme, il n’est pas mal, ce coco-là. Et alors, comme ça, vous voulez entrer à mon service ?

— Ce serait pour quelle besogne, monsieur ? demanda-t-il.

Célestin Labourette leva les bras au ciel d’un air désespéré :

— Pour quelle besogne ? Ah bien, dame un peu pour tout à la fois. Moi, mon ami, je n’ai pas besoin d’un larbin rasé qui m’intimide et qui me regarde du haut de sa grandeur. Je suis riche, pas fier pour deux sous, bon copain, et les ceusses qui travaillent avec moi, si ils ne boudent pas à l’ouvrage, ne sont pas malheureux. Tout de même, voilà ce que vous aurez à faire. Ah, d’abord, voilà mon nom, Célestin Labourette, marchand de cochons. Oui, c’est pas un métier de la haute, mais c’est un bon métier. On y gagne des sous qui ne doivent rien à personne. Marchand de cochons, Célestin Labourette, rappelez-vous ça. Et vous ? comment vous appelez-vous ?

— Jérôme.

— Jérôme ? Ça me va. C’est un nom qui se retient, ça me va tout à fait. Donc, voilà ce que vous aurez à faire. D’abord, soigner mes bidets. J’en ai deux que j’attelle à un tilbury, ensuite, promener mes chiens, ça, j’en ai quatre, gentils tout plein. Enfin, mettre mon vin en bouteilles et puis balayer de temps en temps, en haut et en bas. J’habite aux Lilas, une petite maison. Ah, je vous demanderai aussi de me prêter la main pour bêcher le jardinet. C’est pas grand, c’est pas dur. Ah, et puis encore, de venir avec moi aux abattoirs. Ça, ça ne sera pas embêtant pour vous, mon garçon. Quand on va à la Villette, on en revient toujours avec du vent dans les voiles : c’est un copain qui offre un verre, faut le rendre, il vous refait la politesse, on lui refait de même, et puis on est tous comme ça, quoi, pas fier, bon copain, des sous dans le porte-monnaie, gueulard un peu. Ça vous va-t-il ?

Jérôme Fandor hésitait de moins en moins. D’abord, son futur patron l’intéressait, l’amusait, ce devait être un type et un bon type, ce gros marchand de cochons. Et puis il y avait autre chose qui intriguait Jérôme Fandor, c’était le visage renfrogné de M me Thorin…

La directrice du bureau de placement semblait fort peu goûter l’exubérante gaieté, la jovialité bonhomme du marchand de cochons. Pourtant, elle fit signe à Jérôme Fandor d’accepter les offres du gros homme. Elle semblait se porter garante de la véracité de ses dires.

Célestin Labourette cependant répétait, se tapant sur les cuisses, tirant de sa poche une poignée de sous qu’il faisait tinter dans sa main :

— Ça vous va-t-il, mon garçon ? Avec moi, faut pas que les choses traînent, et votre tête me revient. Dites oui, dites que ça vous botte et je vous donne tout de suite un petit acompte et je vous emmène bouffer des escargots. Hein ? avec un verre de vin blanc.

Jérôme Fandor ne pouvait résister vraiment à une offre pareille :

— Ma foi, monsieur Célestin Labourette, répétait-il, ça me va. J’aime les chevaux et les clebs, je ne demande pas mieux que d’entrer à votre service.

Célestin Labourette, ravi, tapa sur l’épaule de son nouveau serviteur et l’entraîna dehors.

10 – LE MILLION DISPARU

Le policier, en descendant du train, s’était immédiatement rendu au Grand-Hôtel. Malgré l’heure tardive, M. Marquet-Monnier l’attendait dans l’appartement somptueux retenu depuis le matin même.

Le banquier de la rue Laffitte n’avait plus l’attitude arrogante. M. Marquet-Monnier donnait les signes de la plus grande inquiétude et du plus parfait désarroi. Cet homme si flegmatique, ce col de fer blanc rigide, pondéré, qui jamais ne prononçait une parole plus haute que l’autre, paraissait absolument troublé, désorienté.

Il poussa un long soupir de satisfaction en voyant Juve entrer dans le salon attenant à sa chambre à coucher. Les deux mains tendues, il alla vers lui :

— Merci, monsieur, déclara-t-il, merci de tout cœur d’être venu, vous avez répondu à mon pressant appel et vous ne pouvez imaginer combien je vous en sais gré.

— J’ai répondu à votre appel, en effet, monsieur, mais je vous informe que mes instants sont comptés. Ne perdons pas notre temps, je vous en prie, en congratulations inutiles. Vous connaissez mieux que personne la valeur du temps.

— J’irai droit au but, fit-il, mais comme nous avons à causer quelque temps et que la nuit s’avance, faites-moi le plaisir, monsieur Juve, d’accepter une tasse de café. Je vous assure que nous avons, l’un et l’autre, besoin de toute notre lucidité.

— Soit.

M. Marquet-Monnier prit deux tasses sur un plateau, versa d’une cafetière le liquide fumant qu’il avait fait préparer en attendant le visiteur.

— Un, deux morceaux de sucre ? proposa-t-il.

— Pas de sucre du tout, fit Juve, qui, pour s’occuper, allumait une cigarette, non sans en avoir offert une à M. Marquet-Monnier.

Après un silence de quelques instants, les deux hommes s’installèrent l’un en face de l’autre.

M. Marquet-Monnier commença d’une voix étrange et troublée qui cependant peu à peu s’affermit :

— Vous avez pu vous rendre compte ce matin, monsieur, déclara t-il, de mon empressement à partir pour le Havre. J’avais rendez-vous, en effet, avec un correspondant américain de la Banque Marquet-Monnier et C ie, que je dirige, comme vous le savez, et dont je suis le principal, pour ainsi dire, le seul commanditaire. Ce correspondant d’Amérique, homme d’une honorabilité à toute épreuve et des mieux considérés à la Bourse de Philadelphie, a quitté New York il y a sept jours exactement, à bord du transatlantique La Touraine. Sa venue m’était d’ailleurs annoncée depuis une quinzaine de jours, et mon correspondant, M. Backefelder, codirecteur de la banque des États-Unis, s’annonçait comme apportant avec lui deux millions en billets de banque français qu’il devait verser entre mes mains, ou pour mieux dire entre celles de mon caissier, afin de liquider un compte résultant de diverses opérations effectuées entre sa maison et la mienne et qui se soldaient par la différence des deux millions en question à mon profit. M. Backefelder, par sa dernière lettre, me demandait de venir au Havre prendre possession de la somme, et cela pour deux raisons, disait-il : la première c’est qu’il ne tenait pas à s’aventurer seul sur le parcours du Havre à Paris, où il est rarement venu. M. Backefelder, en effet, connaît mal notre langue. D’autre part, il désirait me verser le plus tôt possible ces deux millions, ne disposant que de très peu de temps par suite de visites officielles qu’il devait effectuer dans notre pays. Jusqu’à présent, la chose est très claire. Mais voici où elle se complique. Le paquebot La Touraineest entré aujourd’hui, exactement à six heures du soir, dans le bassin de l’Eure. Or M. Backefelder ne se trouve pas à bord.

— Ah, c’est peut-être qu’il a manqué le bateau ? qu’il s’est embarqué sur un autre transatlantique ?

— Non, monsieur. Cela n’est pas, et voici pourquoi : non seulement, M. Backefelder figure sur la liste des passagers de La Tourainecomme s’étant réellement embarqué à New York, comme occupant effectivement la cabine 11, côté bâbord des premières classes, mais encore, il est certain que M. Backefelder a été vu sur le bateau. Mieux que cela ou pis que cela, il a été victime d’un vol. Il s’en est plaint au capitaine et depuis lors, il a disparu.

— Disparu ? comment cela, en pleine mer ?

— Oui, en pleine mer. Pendant les trois derniers jours du voyage, il est resté introuvable et, de plus, il apparaît certain qu’il n’a pas débarqué au Havre.

— Ah ! fit Juve, la situation se corse un peu. Mais elle a besoin d’être précisée. Savez-vous qu’elle a été l’importance du vol dont M. Backefelder aurait été victime ?

— Ma foi, pas exactement. Je vous avoue, monsieur Juve, que lorsque j’ai appris au débarcadère de La Touraine, qu’on ne savait ce qu’était devenu M. Backefelder, j’ai été tellement troublé que je suis rentré à mon hôtel, espérant qu’il était venu m’y rejoindre.

— M. Backefelder savait-il donc où il pourrait vous rencontrer au Havre ?

— Je l’avais avisé par radiotélégramme que je serais au Grand-Hôtel.

— Et il n’est pas venu ?

— Non.

— Qu’avez-vous fait ensuite ?

— Ensuite, monsieur Juve, je vous ai télégraphié.

— J’imagine, monsieur Marquet-Monnier, demanda-t-il, que depuis six heures du soir, jusqu’à mon arrivée, vous n’êtes pas resté inactif, vous vous êtes renseigné ?

— J’ai essayé de le faire tout au moins. J’ai vu le lieutenant de vaisseau qui commande La Touraine. Cet officier était très pressé de retourner chez lui, dans sa famille, et n’a pu que me raconter ce que je vous ai dit. Toutefois, il m’a conseillé de voir le commissaire du bord.

— L’avez-vous vu ?

— Le commissaire du bord, sitôt que La Touraineaccostait le quai, en était descendu ayant, paraît-il, des documents administratifs à transmettre d’urgence au siège de sa Compagnie. Je n’ai pas pu le joindre, mais on m’a promis qu’il serait à bord demain matin dès huit heures et qu’il me recevrait volontiers.

— Bien, si vous voulez, nous irons le voir ensemble. Ce M. Backefelder, le connaissiez-vous particulièrement ?

— Je ne l’ai jamais rencontré, déclara M. Marquet-Monnier, mais voilà déjà une dizaine d’années que ma Banque et la sienne sont en relations d’affaires. Il est un des associés de la maison de Philadelphie et très connu dans les milieux financiers, parfaitement honorable, et j’insiste sur ce point, pour sa grosse fortune. Je vois très bien quelle doit être votre pensée, monsieur Juve, et je vous demanderai d’écarter à priori l’hypothèse que M. Backefelder aurait commis une indélicatesse, un vol.

— Faudrait-il donc envisager l’éventualité d’un crime ?

— Ah, monsieur, Dieu veuille que cela ne soit pas. Nous sommes, dans ma famille, bien durement frappés depuis quelque temps.

Le banquier s’interrompit. Juve, s’étant levé, tendit la main à M. Marquet-Monnier :

— Que comptez-vous faire ? demanda le banquier.

— Je compte aller me coucher, monsieur, il est deux heures du matin et si je ne m’abuse, nous devons être demain dès huit heures précises à La Touraine. Il faut que nous prenions un peu de repos l’un et l’autre, n’est-ce pas votre avis ?

Juve, rapidement dévêtu, n’avait pas plutôt éteint l’électricité qu’il fermait les yeux et s’endormait profondément.

***

— Vous avez une autorisation, messieurs ?

— Voici, mon ami, c’est un laissez-passer pour deux personnes.

Le marin esquissa un salut militaire, puis renseigna les visiteurs :

— Pour les bureaux de M. le commissaire, il faut traverser le pont dans toute sa largeur. Vous trouverez un escalier près du manchon d’air à droite de la première cheminée. Vous descendrez deux étages, vous suivrez le couloir intérieur, quelqu’un vous renseignera lorsque vous en serez là. C’est d’ailleurs tout près.

M. Marquet-Monnier et Juve – car c’étaient les deux hommes auxquels le marin venait de s’adresser – observèrent scrupuleusement les indications qui leur étaient fournies.

Néanmoins, malgré leur attention, ils se seraient assurément perdus dans le dédale de La Touraine, si précisément, un officier aux manches galonnées d’argent n’avait entrebâillé une porte pour appeler un secrétaire.

Et Juve, à ses insignes, avait reconnu qu’il s’agissait du fonctionnaire que, dans la marine de guerre, on désigne sous le nom de « ferblantier ».

— M. le Commissaire ? demanda Juve.

— C’est moi, monsieur, répondit l’officier. À qui ai-je l’honneur de parler ?

Le fonctionnaire se doutait évidemment de la visite qu’il allait recevoir, car lorsque Juve et M. Marquet-Monnier se nommèrent, il n’éprouva aucune surprise, mais, poliment, au contraire, il les invita à pénétrer dans son bureau. Le commissariat administratif de La Touraineétait une vaste cabine, confortablement meublée et installée un peu à l’arrière, à l’extrémité du couloir des appartements réservés aux voyageurs de première classe.

— Monsieur le commissaire, dit Juve, j’ai été invité à venir ici par M. Marquet-Monnier qui est fort intrigué par la disparition de son correspondant, M. Backefelder. Il lui a été déclaré hier par M. le commandant du navire que vous seriez à même de nous documenter. Je me permets donc d’insister auprès de vous pour obtenir tous les renseignements possibles.

— Monsieur, répondit le commissaire, je suis à votre entière disposition.

— Monsieur, n’attendez pas de nous des interrogations, dites plutôt ce qui s’est passé.

— Je ne demande pas mieux, monsieur Juve.

Le commissaire alors se leva, alla à une armoire fermée à clef, en tira un gros livre, en feuilleta plusieurs pages. Puis il parla :

— Lorsque j’ai fait transcrire la liste des passagers qui prenaient place, il y a sept jours exactement, à bord de La Touraine, il m’a été donné d’enregistrer la présence à bord de la personne suivante ainsi désignée : « H. W. K. Backefelder, citoyen américain, célibataire, quarante-neuf ans, habitant Philadelphie, 74 eAvenue, associé de la Banque Nationale des États-Unis, passager de 1 reclasse, cabine bâbord n° 11. » C’est bien notre homme, n’est-ce pas ?

— C’est en effet, approuva M. Marquet-Monnier, le M. Backefelder que j’attendais et dont la venue m’avait été annoncée par lui-même.

— Bien. M. Backefelder est monté à bord deux heures avant le départ de La Touraine. Le fait est incontestable. On vous décrira M. Backefelder comme un homme très robuste, sanguin, complètement rasé, à la face ronde, un peu replète, aux yeux vifs, aux cheveux blancs coupés très ras, comme s’ils étaient passés à la tondeuse. M. Backefelder parle français, mais difficilement et avec un fort accent américain. C’est un fumeur acharné, qui a perpétuellement le cigare à la bouche et dont deux doigts de la main droite sont jaunis, brunis même par la nicotine. M. Backefelder est élégant, soigné de sa personne, sa mise est correcte, plus que correcte même, recherchée. On sent en lui non seulement l’homme d’affaires intelligent, arrivé, mais encore l’homme du monde. La cabine occupée par M. Backefelder se trouve, vous ai-je dit, côté bâbord. Mon cabinet est également à bâbord et cette coïncidence fait que, d’une façon générale, je connais mieux les voyageurs de bâbord que les autres. J’ai à plusieurs reprises rencontré M. Backefelder, mais sans avoir le moindre rapport avec lui, jusqu’au jour, jusqu’au soir plutôt, où ce passager est venu vers neuf heures frapper à mon bureau. Nous étions à ce moment à notre cinquième jour de voyage. Il faisait une mer assez dure, mais il n’y avait pas de roulis ou de tangage exagéré, et même les passagers qui n’ont pas le pied marin circulaient sans trop de difficulté dans les diverses parties du navire. Si je vous donne ces détails, c’est que j’estime qu’ils ont leur importance. À peine était-il entré dans mon bureau, que M. Backefelder, très pâle, m’a déclaré :

« — Monsieur le commissaire, je viens d’être victime d’un vol important, on m’a pris dans ma malle pour un million de valeurs en billets de banque français.

« — Un million, m’écriais-je, comme vous y allez ! mais c’est donc une fortune entière que vous transportez ?

« — C’est possible, me répondit Backefelder, toujours est-il que ce million a disparu.

« Je trouvais l’attitude de ce passager au calme imperturbable, si étonnante, si étrange, que je me méfiais aussitôt, et, pour mettre la Compagnie à couvert, j’ai dit à M. Backefelder :

« — Ce malheur qui vous frappe, monsieur, nous ne saurions en être responsables. La somme importante que vous aviez sur vous, si j’en crois votre déclaration, ne nous a été ni annoncée, ni confiée, par conséquent…

« M. Backefelder m’a interrompu d’un geste de la main :

« — Inutile d’insister, monsieur le commissaire, fit-il, je n’ai aucunement l’intention de demander à votre Compagnie le remboursement de l’argent qui m’a été volé. Je viens uniquement vous mettre au courant de ce qui s’est passé et vous demander votre précieux concours pour m’aider à découvrir le voleur.

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