La livrée du crime (Преступная ливрея) - Сувестр Пьер 13 стр.


« — Dans ce cas, lui ai-je répondu, je suis tout à votre disposition.

« M. Backefelder m’a alors raconté une histoire étrange, que je vous résume en m’efforçant de traduire aussi exactement que possible, le sens des propos qu’il m’a tenus : …M. Backefelder était parti de New York avec deux liasses de billets de banque français, représentant chacune une valeur d’un million. Ces liasses étaient dissimulées dans le double fond d’une malle contenant des vêtements et que M. Backefelder avait fait déposer dans sa cabine avec d’autres sacs, d’autres valises. Ce passager, qui avait l’intention de repartir dans une huitaine pour l’Amérique, n’apportait pas de bagages plus importants et n’avait fait enregistrer aucun autre colis. Or, ce qui étonnait M. Backefelder, c’est qu’on lui ai volé seulement la moitié de l’argent qu’il apportait. Je me suis rendu avec lui dans sa cabine que nous avons inspectée minutieusement, mais en vain, nous n’avons trouvé aucune trace anormale, aucun indice pour nous mettre sur la piste du voleur. Le lendemain, sitôt mon travail du matin terminé, je suis allé frapper à la cabine de M. Backefelder pour savoir si il y avait du nouveau, mais mes appels sont restés sans réponse. Inquiet, redoutant quelque malheur, un accès de désespoir, j’ai fait ouvrir la porte par le serrurier. La cabine était vide, la couchette n’était pas défaite. M. Backefelder ne devait pas avoir passé la nuit chez lui. Redoutant un drame, par précaution, j’ai fait fermer à double tour la cabine en question et ordonné que l’on recherchât immédiatement le passager. Or, il nous a été impossible de le retrouver.

— Pourvu, s’écria M. Marquet-Monnier, que l’audacieux voleur qui s’est emparé des billets de banque n’ait pas aggravé sa faute en commettant un crime.

— Je ne sais pas, monsieur. Tout est possible.

Juve suggéra :

— Un accident arrive facilement… Vous parliez tout à l’heure, monsieur le commissaire, d’une soirée de gros temps, quelqu’un d’inexpérimenté se promenant la nuit sur un pont peut très bien être précipité à la mer par un coup de roulis.

Mais le commissaire interrompit le policier :

— Je vous ai précisément signalé le roulis de tout à l’heure, avec l’intention bien nette de vous répondre lorsque vous envisageriez l’hypothèse d’un accident, que la mer, quoique houleuse, n’était pas assez mauvaise pour qu’on puisse former une telle supposition. Non. Je m’arrêterai plutôt à l’hypothèse d’un crime, à un suicide. Car il est bien évident que monsieur Backefelder après avoir disparu n’a pas reparu.

— Un suicide, murmura Juve, je me demande pourquoi. M. Backefelder avait-il l’air très affecté par la perte de son argent ?

— Pas beaucoup, monsieur.

— Ah, fit Juve, qui, après avoir réfléchi quelques instants, demanda :

— Cette cabine, peut-on la voir, monsieur le commissaire ?

Après une seconde d’hésitation, l’officier y consentit :

— Vous êtes inspecteur de la Sûreté, monsieur Juve, il n’y a, je pense, aucun inconvénient à ce que je vous donne cette autorisation. Si jamais on me faisait un reproche.

— J’en prends toute la responsabilité, déclara Juve.

Accompagné du commissaire et de M. Marquet-Monnier, l’inspecteur de la Sûreté visita la cabine, étroite, basse du plafond, mais confortable néanmoins, qui avait été occupée par le mystérieux disparu.

Juve, du premier coup d’œil, avait avisé la malle, la fameuse petite malle dans laquelle le voleur – puisque voleur il y avait –, avait fouillé et de laquelle il avait extrait, aux dires de M. Backefelder, une liasse sur deux de billets de banque.

— Personne, interrogea Juve, n’est entré dans cette cabine, derrière vous, monsieur le commissaire ?

— Non, personne.

— Avez-vous vérifié, monsieur le commissaire, si la seconde liasse de billets de banque, la liasse respectée ou passée inaperçue aux yeux du voleur, se trouvait toujours dans la malle ?

— Elle y était, monsieur, lorsque j’ai fait ma perquisition.

— Et qu’en avez-vous fait, monsieur le commissaire ?

— Je l’ai laissée à sa place. J’ai loqueté la porte, nul ne pouvait l’ouvrir, sauf cependant, le titulaire de la cabine qui avait sur lui la clef du verrou de sûreté.

Juve, cependant, se pencha, renversa la malle, vérifia l’intérieur du double fond :

— C’est bien imprudent, monsieur le commissaire, déclara-t-il, ce que vous avez fait. Il est regrettable que vous ayez laissé ce million en billets de banque dans la cabine inoccupée. Car si il était là lorsque vous avez refermé soigneusement la porte, actuellement il n’y est plus.

— Mon Dieu ! s’exclama le commissaire terrorisé, que dites-vous là ?

— Je dis ce qui est, fit Juve, ou plutôt je dis ce qui n’y est pas.

— Ah, s’écria le commissaire, ce n’est pas le moment de plaisanter, monsieur, mais c’est épouvantable ce qui arrive, et pourtant ma responsabilité ne saurait être engagée. L’absence de M. Backefelder n’est pas officiellement déclarée, je n’avais aucun droit pour intervenir chez lui, pour prendre, même dans un but de protection, des objets lui appartenant. D’autre part, j’ai agi conformément au règlement du bord, j’ai fait mon rapport au commandant de La Touraine, je suis dégagé. D’ailleurs qu’auriez-vous fait à ma place ?

— Moi, fit Juve, c’est à moi que vous demandez cela, monsieur le commissaire ?

— Certainement, monsieur l’inspecteur de la Sûreté…

Mais Juve, affectant un air de parfaite innocence, se contenta de répondre :

— Je ne sais pas. Je ne sais absolument pas.

Puis se tournant vers M. Marquet-Monnier :

— Je crois, déclara-t-il, que nous abuserions désormais inutilement des précieux instants de monsieur le commissaire en prolongeant notre entretien avec lui. Voulez-vous que nous nous retirions ?

— Sans rien faire d’autre ? interrogea M. Marquet-Monnier, sans fouiller, sans examiner ?

— Sans rien faire, en effet, poursuivit Juve dont le calme devenait de plus en plus surprenant.

Quelques instants plus tard, le policier et le banquier se retrouvaient seuls sur le pont du navire, ayant laissé dans sa cabine le commissaire fort troublé.

— Eh bien ? interrogea M. Marquet-Monnier, que pensez-vous de tout cela ?

— C’est une affaire très simple.

— Vous aviez l’air de reprocher au commissaire son attitude, d’insinuer ?

— Ce commissaire est, jusqu’à preuve du contraire, le plus honnête homme du monde. C’est aussi un imbécile. On peut cumuler.

— Alors ?

— Ce malheureux Backefelder a été volé, puis assassiné. Ou alors il se sera volé lui-même ce qui est encore une hypothèse.

— Jamais je ne pourrai le supposer.

Les deux hommes étaient revenus à la passerelle qui faisait communiquer l’immense navire avec le quai. Juve s’arrêta un instant au milieu du petit pont. Il descendit, passant le premier.

***

Allant et venant dans le bassin, semblant surveiller les abords de cette passerelle, un homme apparaissait, puis disparaissait au milieu des dockers au travail.

Ce personnage, en apercevant Juve et M. Marquet-Monnier qui quittaient le bateau, s’avança catégoriquement à leur rencontre : son regard se croisa avec celui de Juve, les deux hommes s’arrêtèrent brusquement. Ce petit manège dura quelques instants, mais Marquet-Monnier ne s’en apercevait point, occupé qu’il était, la tête basse et le regard fixé sur ses pieds, à ne pas trébucher dans les barreaux de la passerelle. Juve arrivait à peine sur la terre ferme que l’inconnu qui semblait l’attendre s’approchait de lui, sans façon, lui mit la main sur l’épaule et l’interrogea d’une voix franche, catégorique, avec un fort accent étranger :

— Qui êtes-vous, monsieur ? demanda-t-il.

— Je ne vous poserai pas la même question, monsieur, et avant de vous répondre, je vous dirai moi, qui vous êtes : vous êtes « M. H. W. K. Backefelder, citoyen américain, célibataire, quarante-neuf ans, habitant Philadelphie, 74 eAvenue, associé à la Banque Nationale des États-Unis, passager de 1 reclasse, cabine bâbord n° 11. »

L’homme s’arrêta stupéfait, dévisagea son interlocuteur :

— Comment le savez-vous ?

— Parce que c’est mon métier, fit Juve, et aussi parce qu’on vient de me le dire, il n’y a pas dix minutes. Permettez-moi de vous présenter l’un à l’autre, messieurs. M. Marquet-Monnier, directeur de la Banque Marquet-Monnier et C iede Paris, rue Laffitte. M. Backefelder, votre correspondant. Et maintenant, messieurs, fit-il, voulez-vous, puisque la connaissance est faite, que nous allions causer quelque part ailleurs qu’ici ?

— Pardon, l’interrompit l’Américain, en regardant Juve, mais qui êtes-vous, vous ?

— Je m’appelle Juve, monsieur, inspecteur de la Sûreté, j’appartiens à la Préfecture de Police de Paris. Et je suis à votre entière disposition, ajoutait-il, ainsi qu’à celle de M. Marquet-Monnier, pour éclaircir l’affaire qui vous concerne tous les deux.

Juve exprima tout haut ce qu’il croyait être la pensée de M. Backefelder :

— Je vous comprends, monsieur, fit-il, votre raisonnement n’est pas maladroit. Depuis que vous êtes descendu subrepticement de La Tourainevous êtes resté dans son voisinage afin de dévisager les passagers qui quittaient le navire, afin de suivre s’il y avait lieu celui ou ceux qui vous paraîtraient suspects. Vous vous êtes dit que le voleur, se soupçonnant surveillé, attendrait que le gros de la foule soit parti, qu’il ne quitterait le bord qu’après tout le monde.

— Et si cela était ?

— Je suis certain que cela est. Ce qu’il y a de mieux, par exemple, c’est que vos soupçons s’arrêtent et se précisent désormais, sur monsieur, ici présent et sur moi. Certes, nous nous sommes nommés, mais vous doutez encore de nos identités respectives. M. Backefelder, nous sommes à votre disposition pour nous justifier.

L’Américain, enfin, sourit.

— Monsieur, fit-il, j’ai eu, en effet, cette pensée. Je constate que vous lisez en moi comme dans un livre ouvert, je n’insiste pas. Si vous voulez me quitter, quittez-moi.

— Non, nous voulons au contraire rester avec vous et éclaircir avec vous l’affaire de vol dont vous avez été victime. Il s’agit d’une grosse somme ?

— Il ne s’agit que d’un million, et un million de francs, c’est une bagatelle, en dollars.

— Une bagatelle, oui, mais elle vaut néanmoins la peine qu’on s’en préoccupe. Votre première idée était la bonne, nous allons nous rendre tous les trois chez le commissaire de police, vous ferez votre déclaration, le magistrat ouvrira une enquête.

— Non, je ne veux pas que l’on mette la justice française au courant.

— Pourquoi ? interrogèrent ensemble Juve et Marquet-Monnier, très surpris l’un et l’autre.

L’Américain s’expliqua :

— Je m’étais chargé de remettre à bon port la somme d’argent que la Banque des États-Unis doit à la Banque Marquet-Monnier. J’ai été volé de la moitié de cette somme et j’estime que je suis fautif de m’être laissé voler. Si la chose avait lieu à Philadelphie, je passerais pour un imprudent, un maladroit ou un imbécile. Or, cela ne me plaît pas du tout, j’achète volontiers un million de francs le silence.

— Vous achetez, qu’entendez-vous par là ?

— J’entends, fit l’Américain très simplement, que je m’en vais câbler à ma banque personnelle de m’envoyer d’urgence un employé porteur d’un chèque d’un million que je toucherai à Paris. En possession de cette somme, je la joindrai au million qui me reste, et la Banque Marquet-Monnier de la sorte sera intégralement remboursée. Que monsieur Marquet-Monnier veuille bien m’accorder un délai d’une semaine.

— Faites comme vous voulez, murmura le banquier, la créance reste bonne. Il va sans dire que le délai que vous demandez, monsieur Backefelder, sera productif d’intérêts. Cette histoire me semble absolument incompréhensible.

— Je suis à votre disposition, messieurs, déclara Backefelder, pour m’en aller à l’hôtel avec vous. Acceptez-vous de dîner avec moi ?

— Impossible, dit Juve, vous êtes en France, c’est-à-dire mon hôte.

Et, en disant ces mots, le policier posait lourdement sa main sur la robuste épaule de l’Américain et ce geste était si étrange, si énigmatique, qu’on se demandait s’il s’agissait d’un mouvement spontané de sympathie ou d’un réflexe professionnel.

***

— Savez-vous à quoi je pense, monsieur Juve ?

— Oui, fit le policier et je m’en vais vous le dire. Vous vous dites que vous avez devant vous un gaillard qui a toutes les allures d’un brave homme, et qui peut-être, comme il vous l’a déclaré, est inspecteur de la sûreté, mais vous n’en êtes pas bien sûr et par moments vous supposez que peut-être cet individu est très fort, que c’est l’homme qui vous a volé votre premier million et que s’il ne vous lâche pas, c’est parce qu’il a l’intention de récidiver.

— Exactement. Vous m’êtes très sympathique, mais j’aurais un plaisir immense à vous faire sauter la cervelle avec mon revolver si je ne me trompais pas.

— Bien, voilà qui est catégorique.

— Maintenant, je m’en vais vous dire aussi ce que vous pensez, vous : ce grand Américain que j’ai pris pour H. W. K. Backefelder, citoyen américain, célibataire habitant Philadelphie, et cætera, n’est peut-être pas le vrai Backefelder et il faut que je m’en assure avant de le lâcher, car son histoire me paraît invraisemblable. Il a demandé une semaine de crédit, il a l’intention de rembourser de sa poche une perte dont il n’est pas tellement responsable. C’est suspect.

— Vous avez raison, cher monsieur, c’est exactement ce que je pense.

L’Américain se versa un dernier verre de fine :

— Monsieur Juve, donnez-moi la main. Votre attitude me plaît et j’espère que la mienne ne vous répugne pas. Nous pouvons former trois hypothèses, et même quatre : vous avez raison et j’ai tort ; vous avez tort et j’ai raison ; nous avons tort tous les deux ; nous avons raison tous les deux.

— L’avenir répondra.

— Soit, à dans huit jours.

L’Américain se levait, Juve se leva de même :

— J’accepte le défi, monsieur, fit-il, mais il est entendu que pendant ces sept jours et jusqu’à la date fixée par vous pour le remboursement du million dû à ce pauvre M. Marquet-Monnier, qui est reparti voici une heure, et sans dîner, nous ne nous quittons pas d’une semelle.

— Entendu. Vous m’offrez l’hospitalité au Havre. Demain nous partons pour Paris. À mon tour de vous recevoir, je désire vivre incognito. Je viens de charger une agence parisienne, l’agence Thorin, de me retenir un appartement meublé dans un quartier voisin de l’Arc de Triomphe. Je m’appellerai pour la circonstance M. Back, tout court. Monsieur Juve, je vous reçois chez moi.

« L’agence Thorin, songea Juve, oh, oh.

Et à haute voix :

— C’est une affaire entendue, à nous deux monsieur.

11 – LE LANGAGE DES FLEURS

— Monsieur Juve, je pense que votre santé est bonne et que vous ne refuserez pas de venir un peu faire la noce avec moi ?

Juve, qui lisait le journal, déshabillé, en pantoufles, ne songeant nullement à sortir, avait regardé son hôte avec stupéfaction :

— Faire la noce avec vous, monsieur Backefelder ? mon Dieu, je ne dis ni non, ni oui. Que proposez-vous ?

— Une partie quelconque, un souper, quelque chose de bien… et après, si le cœur vous en dit… enfin, je n’insiste pas…

— Ah çà, qu’est-ce qui vous prend ?

— Rien du tout, ou peu de chose. Vous comprenez, j’ai quinze jours à rester à Paris, quinze jours tout juste pas seize, quinze, il faut que j’en profite. Je comptais remettre les fonds dont j’étais porteur le lendemain de mon arrivée en France et consacrer ensuite une huitaine de jours aux visites officielles obligatoires, puis passer le plus agréablement possible la dernière semaine de mon séjour. Les événements en décident autrement. Je n’ai plus les fonds, je ne les aurai pas avant cinq ou six jours maintenant, et par conséquent, toutes mes visites officielles sont retardées. Donc, programme modifié, on commence par la noce. Je vous demande de m accompagner à Montmartre.

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