Le Voleur d'Or (Золотой вор) - Сувестр Пьер 10 стр.


— Monsieur Juve, articula le directeur de la Monnaie, vous commencez à m’inquiéter sérieusement. Je comprends où vous voulez en venir, vos observations ne tendent-elles pas à conclure que ces certificats étaient faux ?

— Je n’affirme rien ! fit Juve, mais à vous parler franchement, ma conviction est faite, ces certificats sont faux, la seule chose intéressante d’ailleurs, c’est de savoir qui les a fabriqués…

— Ce ne peut être que le domestique lui-même, articula Léon Drapier.

— Ce que vous dites semble logique au premier abord, poursuivit Juve, malheureusement l’observation démontre le contraire !

« Je suis un peu graphologie, monsieur Drapier ; à mes moments perdus, j’étudie, comme cela, les écritures. C’est une science à laquelle je crois et je ne suis d’ailleurs pas le seul !

« Or, il ressort de mon examen que ces certificats ont été rédigés par une main féminine, et que la personne qui les a écrits, sans avoir une éducation bien extraordinaire, possède néanmoins une bonne petite instruction…

« Elle ne manque pas d’une certaine ambition – un bon sentiment –, elle aime l’argent, le luxe, elle professe pour tout travail matériel une paresse irréductible… Mais voilà que je m’emballe, monsieur Drapier, sur la graphologie, or, nous sommes ici pour autre chose !

« Mon Dieu, monsieur Drapier, que c’est remarquable d’avoir de l’ordre comme vous en avez ! Les tiroirs de votre bureau sont rangés à merveille ; vous m’excuserez, n’est-il pas vrai, de les fouiller comme s’ils m’appartenaient ? Mais c’est un usage consacré par la loi qui permet aux inspecteurs de la Sûreté de visiter les objets personnels de leurs clients, or j’ai l’honneur de vous compter comme client et même, à ce propos, je solliciterai de votre obligeance une faveur…

Drapier était de plus en plus interloqué par l’attitude de son interlocuteur.

Vraiment, ce Juve était un original, avec qui il ne fallait s’étonner de rien !

— Que va-t-il me demander encore ? songea Drapier.

Or la requête de Juve était si simple que le directeur de la Monnaie en fut presque désappointé.

— Je voudrais avoir, fit Juve, votre carte de visite.

— Vraiment ? il y en a dans mon tiroir de gauche.

— Pas celle-là, interrompit vivement le policier, une de celles que vous avez certainement dans votre portefeuille ?

— Soit ! fit Drapier, qui ne savait pas où Juve voulait en venir.

Comme il sortait son portefeuille de sa poche pour en retirer le carton demandé, une enveloppe tomba.

Juve, avec une soudaine rapidité, se précipitait, la ramassait.

La lettre était adressée : M. Léon Drapier. Juve tressaillit légèrement en apercevant la suscription de l’enveloppe !

Toutefois, avec une incorrection parfaite, il sortait de cette enveloppe la lettre qui s’y trouvait…

Drapier redevenait tout rouge.

— Monsieur ! commença-t-il.

Juve l’interrompait encore d’un sourire.

Affectant de ne point regarder la lettre, il la tendait au bout de son bras à Drapier.

— Reprenez ceci qui vous est absolument personnel, monsieur, et permettez-moi simplement de conserver l’enveloppe ! Oui, je collectionne les vieux timbres ! même les plus communs !

« Mais revenons, si vous voulez bien, car tout ceci n’a aucune importance, à la question de ces certificats…

« Il est véritablement étrange que ce domestique que vous avez engagé fût porteur de deux certificats, que nous sommes disposés l’un et l’autre à considérer comme faux.

« Entre nous, M. Drapier, voyons, ce Firmin avait-il bien l’allure d’un domestique ? D’après vous, était-il de la partie ? Ça se voit tout de suite, ces choses-là.

La question que venait de poser Juve, après tant de circonlocutions en apparence inutiles, tombaient évidemment dans un très bon terrain, car M. Drapier poussa une sorte de soupir de soulagement.

— Eh bien, fit-il, je ne suis pas fâché de vous donner mon opinion. Dès la première heure, dès le premier instant où je vis cet homme, ce Firmain, j’ai eu l’impression qu’il avait quelque chose de louche et qu’il était chez moi pour un tout autre motif que le simple but d’y gagner soixante-dix francs à faire mes bottines, brosser mes vêtements et me servir à table !

— C’était, d’après vous, fit Juve, un cambrioleur, un bandit ?

— À vous dire vrai, répliqua M. Drapier, je ne le crois pas ! Et je me suis demandé même si ce n’était pas un policier… un espion !

— Un policier ! un espion ! Pourquoi ?

Juve, sincèrement, dès lors, interrogea du regard son interlocuteur qui se rapprocha de lui et articula à voix basse :

— Voyez-vous…, je me méfie de ma femme et surtout de sa tante, je me défie de tante Denise qui habite Poitiers et qui devait arriver ces jours-ci, pour passer comme d’ordinaire le printemps avec nous…

« Ma femme est la meilleure personne qui existe au monde, elle est incapable de soupçonner quoi que ce soit, et surtout qui que ce soit, mais il n’en est pas de même de sa tante !

« C’est une personne inquiète, méfiante, vindicative, qui est capable d’employer tous les moyens pour se renseigner !

— Ah ! ah ! fit Juve, mais cependant, monsieur Drapier, vous n’avez rien à cacher ?

— Moi ! monsieur Juve ! absolument rien !

— C’est bien ce que je pensais. Vous êtes un haut fonctionnaire, officier de la Légion d’honneur, directeur de la Monnaie, marié à une femme charmante, vivant très retiré avec elle, soit seul, soit en compagnie de votre parente, la tante Denise, lorsque celle-ci vient à Paris, c’est parfait, parfait, je vous félicite vivement…

Tout d’un coup, Juve changea de ton :

— Dites-moi, monsieur Drapier… une simple question encore.

Le directeur de la Monnaie posa son regard perplexe, inquiet, sur celui du policier.

— De quoi s’agit-il ?

— Dites-moi, monsieur Drapier, est-elle brune ou blonde ?

Le directeur de la Monnaie se leva :

— Brune ou blonde ? De qui voulez-vous parler ? de la tante Denise ?

— Non pas ! fit Juve, je ne connais pas votre tante Denise, mais je suis convaincu qu’elle doit avoir une chevelure grisonnante, des cheveux très tirés et quelque peu jaunis à la naissance de la raie… qu’elle doit porter au milieu de la tête, ainsi qu’au bout du chignon. Je ne me permettrais point de vous demander au surplus des détails de ce genre sur quelqu’un de votre famille…

« Voyons, monsieur Drapier, répondez-moi, est-elle brune ou blonde ?

Drapier demeurait perplexe, ne répondait point. Juve insista :

— Eh bien, je vais vous le dire ! Elle est blonde, et lorsqu’elle vous écrit elle rédige ses lettres dans son cabinet de toilette avant d’être coiffée et, cependant qu’elle écrit, ses cheveux épars sur ses épaules font à son visage un cadre fort seyant !

Cependant que Juve parlait, M. Drapier haletait, son visage devenait blême.

— Monsieur, jusqu’à présent, vous m’avez parlé sur un ton d’ironie persifleuse que j’ai toléré, eu égard à votre situation, mais n’oubliez pas que je suis moi-même un fonctionnaire, un haut fonctionnaire, et que vos insinuations peuvent paraître du plus mauvais goût. Où voulez-vous en venir et que signifient ces propos ?

Juve ne s’émotionnait pas, bien au contraire !

— Je voulais dire simplement ceci, monsieur Drapier, et, je vous en supplie, ne vous en formalisez pas ! Je veux dire que vous avez une petite amie, une maîtresse, que cette maîtresse, vous sortez fréquemment avec elle et que vous allez dîner en sa compagnie dans les restaurants à la mode… mais en ayant soin de prendre un cabinet particulier pour n’être point reconnu !

« Je veux dire, chose que vous ignorez certainement à l’heure actuelle, qu’il y a un lien indiscutable entre l’assassinat de Firmain, votre valet de chambre ou soi-disant tel, et vos relations amoureuses ! Voilà, monsieur, ce que je puis vous révéler pour le moment !

« J’aurai l’honneur de vous revoir bientôt. En attendant, je vous invite à vous tenir à la disposition de la justice !

Juve proférait ces dernières paroles sur un ton très sec. Il se levait. M. Drapier se précipita vers lui.

— Je vous prie de m’excuser, monsieur Juve. Je viens d’avoir à votre égard un mouvement de vivacité que je regrette profondément, car je sais avec quelle conscience et avec quelle correction vous menez votre enquête, mais vous m’avez désespéré, car ce que je croyais absolument secret, je vois que vous le saviez déjà !

« J’imaginais que nul n’était au courant de la liaison avec Paulette, et je suis désespéré !…

Juve interrompait son interlocuteur :

— Vous étiez dans le vrai, monsieur, dit-il, votre liaison n’est pas connue, étant donné que je l’ignorais il y a encore cinq minutes… et si cela peut vous tranquilliser, je n’ai aucune raison de vous le dissimuler, je l’ai apprise en causant avec vous !

— En causant avec moi !…

— Oui, monsieur ! Oh ! la chose est très simple. Dans ce petit vide-poche, où vous mettez le soir avant de vous coucher les menus objets que vous retirez de vos vêtements, se trouvent quelques cure-dents enveloppés dans du papier, lesquels portent la suscription, l’adresse des restaurants à la mode. Ceci me prouva que vous alliez parfois dîner au restaurant…

« Pas avec M me Drapier ! m’avez-vous dit ! Elle ne sort jamais ! J’ai insinué que vous étiez populaire dans ces établissements, vous m’avez répondu qu’au contraire, nul ne vous y rencontrait !…

« C’était donc que vous alliez dans les cabinets particuliers !

« On ne va pas seul dans un cabinet particulier, on y va toujours à deux, quel était l’autre ? Je vous ai demandé votre carte de visite pour vous inciter à sortir votre portefeuille, c’est là d’ordinaire qu’on met les lettres qui ne doivent point traîner…

« Précisément, l’une de ces lettres est tombée de votre poche, je vous l’ai rendue… Son contenu ne m’intéresse pas, mais j’ai gardé l’enveloppe et j’ai trouvé, à l’endroit où la fermeture porte de la gomme, un cheveu qui s’est intercalé… C’est en mouillant avec ses lèvres cette gomme que M lle Paulette a pris un de ses cheveux qui est resté dans l’enveloppe !

« Il y a en outre, sur cette enveloppe, quelques taches très caractéristiques, provenant de l’eau dentifrice qu’emploie votre charmante amie, car je ne doute pas qu’elle ne soit charmante, c’est ce qui m’a permis de conclure que M lle Paulette, puisque Paulette il y a, a l’habitude d’écrire sa correspondance dans son cabinet de toilette avec ses cheveux étendus sur ses épaules… Et voilà !

Léon Drapier restait abasourdi devant les logiques déductions de Juve.

Il abandonnait son air arrogant et il se fit très humble désormais, pour murmurer à voix basse :

— Monsieur Juve, je vous admire, et je m’excuse encore une fois de l’attitude que j’ai eue à votre égard. Écoutez-moi bien. Je vous jure que je ne sais ce qui s’est passé… Je vous jure que je ne suis pour rien dans cette mystérieuse affaire… Un seul point au surplus me préoccupe et m’inquiète, surtout qu’on ne sache jamais chez moi que j’ai une maîtresse et que je suis en relation avec Paulette de Valmondois !

Juve souriait aimablement.

— Vous pouvez compter sur moi, déclara-t-il d’un ton sincère, pour être la discrétion même ; puisque nous voici en confiance, et pour m’éviter des recherches inutiles, ayez donc l’obligeance de me donner l’adresse exacte de M lle Paulette ?

Léon Drapier sursauta :

— Et vous voudriez aller la voir ?

— Oui ! fit Juve.

— Et que lui direz-vous ?

— Ceci me regarde.

— Mais qu’a-t-elle à faire dans tout ce drame ? Paulette n’est aucunement mêlée au malheur qui s’est produit…

— Peu importe !… J’aurai plaisir à la connaître !

— Monsieur Juve, je vais vous accompagner chez elle.

— J’irai seul, je vous en prie !

— Monsieur Juve…

Juve était déjà sur le pas de la porte, et c’était en lui prenant sa main dans les deux siennes, que Léon Drapier le retenait.

— Monsieur Juve… monsieur Juve…

— Quoi, monsieur ?

— Vous disiez tout à l’heure, il me semble, qu’il y avait peut-être, entre ma maîtresse et la mort de Firmain, un lien quelconque. Je vous en supplie… fournissez-moi une explication, qu’est-ce que cela signifie ?

— N’ayez pas peur ! déclara Juve d’un ton rassurant, et ne prenez point pour parole d’évangile chacune des idées que j’émets ! Jusqu’à présent je ne peux rien vous dire, mais comptez que je ferai l’impossible pour savoir la vérité, et que, d’autre part, je la dirai discrètement. Alors ? nous disions que M lle Paulette de Valmondois habitait, habite du moins… ?

Résigné, subjugué par l’ascendant de Juve, Léon Drapier articula :

— 187, rue Blanche, au premier au-dessus de l’entresol !

Juve, posément, prenait note de l’adresse, et il se retirait. Il était déjà dans la galerie, lorsque, rebroussant chemin, il s’en vint demander à Léon Drapier en le fixant dans les yeux :

— Vous avez fait des déclarations formelles à cet égard, vous avez signé deux procès-verbaux bien nets et bien précis, de votre nom, de votre titre de directeur de la Monnaie, de votre grade d’officier de la Légion d’honneur, procès-verbaux dans lesquels vous aviez affirmé avoir passé chez vous la nuit à l’issue de laquelle s’est produit le crime…

— J’ai signé cela, en effet, fit Léon Drapier, qui visiblement pâlissait.

— C’est donc que c’est la vérité ? insista Juve.

Après un instant de silence, Léon Drapier articula en hésitant :

— C’est bien la vérité !

— Merci, monsieur !

— Au revoir, monsieur !

Quelques instants après, Juve descendait l’escalier.

Le policier paraissait fort joyeux.

— Elle se présente de façon bizarre, cette affaire, songeait-il, tandis qu’en réalité elle est fort simple !

« Voyons, j’imagine que cet homme ne tardera pas à dire la vérité. J’ai déjà sa confiance, il ne me ment plus qu’à moitié. Et encore, par pudeur… parce qu’il est gêné d’avouer qu’il a fait un mensonge…

« Tout va bien !

VI

Maîtresse infidèle

Paulette de Valmondois téléphonait.

— Bien sûr, mon gros chéri, que ça me fera plaisir de te voir… mais oui, très plaisir !… Tu le sais bien, grande bête ! Seulement voilà… comprends donc… Faut surtout pas t’amener avant cinq heures ce soir… Tu me demandes pourquoi ?… Ah ! par exemple, ça c’est pas ordinaire !…

Si l’interlocuteur, à l’autre bout du fil, avait pu voir Paulette à ce moment, il aurait remarqué que la jolie fille esquissait un geste instinctif d’ignorance absolue.

Mais l’interlocuteur, le « gros chéri », ne pouvait qu’entendre ce que lui disait son interlocutrice.

Or, Paulette venait de trouver une explication plausible au délai qu’elle sollicitait à l’heure qu’elle imposait au « gros chéri ».

— C’est rapport à mon père, dit-elle, tu sais bien que c’est son jour, le mardi, qu’il vient me voir tous les mardis, et si jamais papa te rencontrait, ça ferait une histoire épouvantable… Oui, c’est entendu, tu seras gentil, tu ne viendras qu’à cinq heures… Je t’embrasse de tout mon cœur… Tiens, là ! sur le cornet du téléphone ! Je t’envoie mes baisers par le fil… Il ne faut pas plaisanter ? Ce sont des choses graves que tu as à me dire ? C’est toujours des choses graves !… Allô, allô, allons bon ! c’est coupé !…

Paulette Valmondois raccrochait le récepteur, l’appareil était posé sur la table de la petite salle à manger où se trouvait la demi-mondaine qui déjeunait en tête à tête avec sa bonne.

Celle-ci, une petite Normande aux yeux tout ronds, avait écouté avec la plus grande attention l’entretien de sa patronne au téléphone, elle s’en arrêtait de manger.

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