Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель) - Сувестр Пьер 3 стр.


— Je ne comprends plus, Maxime, que voulez vous dire ?

— On vient de nous les voler.

Et Maxime de Tergall montrait à sa femme son vêtement tout fripé, la poche intérieure de son veston veuve du portefeuille qu’elle contenait habituellement, arrachée.

— Je vous en prie, Maxime, calmez-vous. Dites-moi ce qui est arrivé.

Tergall raconta sa journée, jusqu’à l’arrestation de l’abbé Jeandron.

— Ensuite ? demanda-t-elle presque rudement, lorsque Maxime de Tergall eut raconté que, vu l’heure tardive, il avait dîné à l’ Hôtel Européenà Saint-Calais, avant de rentrer.

— J’ai quitté Saint-Calais vers dix heures. Il faisait nuit noire comme vous le savez et ma lanterne éclairait mal. Il n’y avait pas assez de pétrole dedans. J’ai songé un instant à en remettre, mais j’étais en retard et je me suis figuré que le carburant durerait jusqu’à mon arrivée ici. Erreur fatale. J’étais à peine à cinq minutes de Saint-Calais que la mèche s’est éteinte. J’ai continué dans le noir. Après la ferme de Pierre-Marie, dans la descente, je marchais à bonne allure, lorsque soudain ma bicyclette s’est arrêtée net et j’ai été projeté sur le sol. Je n’étais pas blessé grièvement, mes mains et mes genoux avaient seuls porté. Je me suis relevé aussitôt pour prendre ma machine restée en arrière et dont je voyais scintiller le métal. J’étais à peine relevé que je suis retombé. Je venais de me prendre le pied dans une corde tendue au travers de la route. Oh, je n’ai pas eu le temps de réfléchir longtemps. Comme je me relevais pour la seconde fois, on m’a pris par derrière, aux épaules. Un coup de poing formidable sur la tempe m’a étourdi à moitié, mais j’ai senti qu’on défaisait mon veston, fouillait dans ma poche, enlevait mon portefeuille qui contenait les billets de banque. Quand j’ai pu me relever, le voleur était loin. Je suis rentré lentement, avec ma bicyclette à moitié démolie et me voilà. Deux cent cinquante mille francs. Cette aventure nous coûte deux cent cinquante mille francs.

— Et alors ?

— Alors, gémit Maxime de Tergall, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ? Le fait est là, indiscutable, brutal, certain, nous sommes volés.

Changeant brusquement d’attitude, Antoinette de Tergall se jeta au cou de son mari, l’embrassant longuement :

— Mon pauvre, pauvre chéri, fit-elle, c’est épouvantable ce qui t’est arrivé, quel bonheur que tu ne sois pas blessé.

Insensible, le marquis serra les poings, grinça des dents :

— Il me le paiera, grommela-t-il sourdement, il me le paiera cher.

— Qui donc ? interrogea Antoinette.

— Parbleu, Chambérieux, cette crapule de Chambérieux, il n’y a pas le moindre doute à cet égard, mon agresseur, c’est sûrement Chambérieux. Furieux du vol dont je ne suis pas responsable, il a voulu rattraper son argent coûte que coûte. Au lieu de repartir pour le Mans, hier soir, comme il devait le faire, il est venu m’attendre sur la route.

— L’avez-vous donc reconnu ?

— Non, s’écria son mari, il est bien trop habile. Mon agresseur avait dissimulé son visage sous un masque derrière un loup. C’est donc qu’il savait que j’aurais pu identifier sa figure découverte. Tout accuse Chambérieux dans cette affaire, et vous verrez que l’avenir prouvera combien j’ai raison.

— Qu’allez-vous faire ? demanda la châtelaine.

— C’est bien simple, je vais d’abord mettre opposition sur les billets de banque. Le Comptoir d’Escompte, qui me les a versés ce matin, en connaît sûrement les numéros. Je vais aussi porter plainte, à la première heure, et j’accuserai formellement Chambérieux. D’ailleurs, voici le jour. Je vais dire qu’on attelle.

Pas une minute à perdre.

Le marquis repartait pour la ville.

***

— Alors, fit M. Morel, qui, tout en s’efforçant de s’éveiller, avait écouté le récit que le marquis de Tergall était venu lui faire à son domicile, vous êtes convaincu que celui qui vous a volé votre portefeuille, n’est autre que M. Chambérieux ?

— J’en suis convaincu, monsieur le juge.

Le magistrat s’étira longuement, se frotta les yeux, regarda curieusement son interlocuteur.

— Nous allons savoir, dit-il au marquis de Tergall qui, semblable à un ours en cage, allait et venait dans la pièce, nous allons savoir à quelle heure M. Chambérieux a quitté Saint-Calais.

Le juge obtint rapidement la communication. Il raccrocha au bout de quelques instants le récepteur et annonça au marquis de Tergall :

— Votre voleur n’est pas M. Chambérieux. Je viens d’apprendre que ce dernier n’est pas sorti de l’hôtel hier soir. Il est monté se coucher vers onze heures. Il a sonné à minuit pour demander une tisane. Il est encore à l’hôtel dans sa chambre. Il dort toujours.

— Si ce n’est pas Chambérieux, s’écria Maxime de Tergall, alors c’est un complice. Je suis sûr, Monsieur le juge, que ce misérable usurier s’est entendu avec quelqu’un pour me dévaliser.

— C’est possible, dit le juge, c’est vraisemblable si vous voulez, c’est même trop vraisemblable pour être vrai. Je tiens M. Chambérieux pour un homme intelligent, et si jamais il est prouvé qu’il a conçu semblable plan, il apparaîtrait comme étant un imbécile.

— Que croyez-vous donc, alors ?

— Oh, s’écria le juge, je ne crois rien et ne veux rien croire. Notre rôle, à nous autres magistrats, n’est point d’avoir une opinion préconçue, mais de nous former un avis d’après les interrogatoires.

— Monsieur Morel, que comptez-vous faire ? Le temps presse.

— En matière judiciaire, monsieur, on a toujours le temps. Mieux vaut ne rien faire qu’une bêtise. Je ne vous cache pas que l’agression et le vol dont vous avez été l’objet me confirment dans mon opinion première, à savoir qu’il y a dans toute cette affaire un tiers mystérieux, et responsable, que nous ne connaissons pas. Cette conviction que je vous exprime sans chercher à la dissimuler, doit avoir pour résultat la mise en liberté immédiate de ce pauvre abbé Jeandron, arrêté hier pour donner satisfaction aux deux plaignants, que vous étiez, M. Chambérieux d’une part, et vous, monsieur le marquis, de l’autre. Je ne sais pas quel est le coupable dans toute cette affaire, mais je suis de plus en plus certain que l’abbé Jeandron est parfaitement innocent. Je me ferais donc scrupule de le retenir plus longtemps en prison.

4 – LA BANDE DES TÉNÉBREUX

— Bonno, bonno nougat, pas cher, moussié, moi donner à toi joli tapis aussi pas cher. Pas cher.

Deux consommateurs attardés vers onze heures et demie, à la terrasse d’une paisible brasserie de la place Denfert-Rochereau, finirent par écarter du geste, le marchand de nougat et de tapis de chèvre qui les importunait.

Après avoir été ainsi rabroué par les deux consommateurs, le marchand s’éloigna tout en se déclarant à lui-même :

— Pauvre Mahamoud, pauvre moi, jamais réussir de bonnes affaires, toujours dans la dèche et toujours content.

S’étant convaincu qu’il n’aurait plus de clientèle éventuelle à solliciter, Mahamoud prit brusquement une résolution et, tournant les talons, il rebroussa chemin dans la direction de l’avenue de Montsouris.

Il parcourut rapidement les grands boulevards plantés d’arbres, puis s’arrêta quelques secondes devant une bicoque de très modeste apparence, au-dessus de laquelle flamboyait une inscription :

« Hôtel meublé. On loge à la nuit. »

Ce devait être sinon le domicile de l’Algérien, du moins un asile où il était connu, car Mahamoud, en passant devant cet établissement, frappa au carreau de la fenêtre du rez-de-chaussée. Celle-ci s’entrebâilla, et la tête hirsute d’un gamin apparut.

— Toi prendre mon paquet, déclara Mahamoud, qui, joignant le geste à la parole, se débarrassa rapidement de ses tapis et de ses nougats.

Puis il ajoutait :

— Pas manger la marchandise quand je ne suis pas là. Moi revenir très tard cette nuit, peut-être demain matin.

— Ça va bien, Peau-de-Zébi, on a compris, répliqua le garçon qui semblait faire fonction de concierge.

Mahamoud s’enfonça dans la nuit, à grands pas et rapidement il atteignit l’extrémité de l’avenue.

Il s’arrêta à la petite grille qui empêche, sitôt la nuit venue, l’accès du Parc de Montsouris. Mahamoud quelques instants regarda autour de lui, pour s’assurer que nul ne l’épiait. Puis s’étant rendu compte qu’il était seul, avec la souplesse d’un chat ou pour mieux dire, d’un acrobate exercé, il bondit par-dessus cette grille et s’introduisit dans le jardin. Là, Mahamoud se mit à longer les massifs, marchant précautionneusement sur l’herbe et la terre, évitant les allées sablées, pour ne point faire de bruit, et sans doute ne pas éveiller l’attention des gardiens, si d’aventure il s’en trouvait dans le jardin public. L’Algérien marcha pendant quelques minutes, puis, avisant un bouquet d’arbres au milieu d’une pelouse, il le gagna sans la moindre hésitation. Tandis que le marchand de nougat effectuait cette étrange promenade, la receveuse de la gare du chemin de fer de Sceaux délivrait pour le dernier train, deux billets de troisième classe à un grand diable d’individu flanqué d’un vieillard, à longue barbe blanche.

Ce voyageur avait demandé s’il pourrait obtenir à Sceaux-Ceinture la communication avec le train circulaire qui passait en gare de Montrouge, à minuit cinquante.

— Je le crois, monsieur. Mais vous savez que la correspondance n’est pas garantie.

Quelques instants plus tard, le train venant de la station souterraine du boulevard Saint-Michel entrait en gare, prenait ces deux voyageurs et s’engageait sur le remblai qui traverse le parc de Montsouris.

Avant d’arriver à Sceaux-Ceinture, au moment où le convoi ralentissait, les deux hommes se laissèrent glisser de leur compartiment, à contre-voie, puis, bénéficiant de l’obscurité, se glissèrent le long des rails et partirent en courant dans la direction opposée à celle du train. Ils n’allèrent pas loin. Soudain ils obliquèrent à gauche, enjambèrent la clôture qui sépare la voie du chemin de fer des fourrés du parc de Montsouris et s’introduisirent dans le jardin obscur.

— Ça va-t-il, père Grelot ? interrogea le plus jeune des deux hommes.

— Ça va toujours, l’Élève, répliqua en grommelant le vieillard à la grande barbe blanche. N’empêche, poursuivit-il, que sur ces sales cailloux du « balastre » j’ai failli me tourner le pied. Enfin, pour mes soixante-douze ans, car c’est aujourd’hui mon anniversaire, je ne suis pas encore trop « ingambe ».

— Soixante-douze ans ? père Grelot, tu dois nous monter le cou. Probable que tu comptes doubles les années passées à Londres.

— T’as toujours le mot pour rire, fils, mais tu pourras causer lorsque tu en auras vu autant que moi. Il y a vingt-trois ans, lorsque j’étais à la prison de Montpellier…

Mais, d’un « chut » énergique, l’Élève interrompit son maître.

Il avait entendu du bruit dans les feuillages, et les deux hommes, inquiets, redoutant sans doute d’être surpris, s’étaient arrêtés net, se taisaient, retenaient leur souffle.

Le père Grelot prit son compagnon par le bras :

— Fils, dit-il, tu n’es qu’un imbécile de m’avoir fait peur. C’est un copain qui fait signe. Il doit déjà y avoir du monde à l’entrée du trou.

L’Élève, en avançant d’un pas, fit craquer sous son poids quelques brindilles de bois sec.

— Animal, maladroit, tu ne seras jamais qu’un apprenti. C’est pas la peine d’être mon élève, pour faire plus de bruit qu’un régiment ou qu’un autobus.

— Ça va bien père Grelot. Je comprends ces précautions lorsqu’il s’agit de s’installer dans une tôle, mais ici, on est tranquilles. Pas de danger qu’on rencontre des flics.

— Vaut toujours mieux se méfier.

Au moment où les deux hommes pénétraient sous les arbres, quelque chose s’agita à côté d’eux et, aux modulations du sifflet, succéda une voix qui disait :

— Salut vous autres, c’est Mahamoud.

Le vieillard et le jeune homme se nommèrent simultanément :

— Père Grelot.

— L’Élève, dit le fils.

Les trois hommes se serrèrent les mains, silencieusement. Puis, le père Grelot, toujours inquiet, interrogea :

— Pas de mouche, dans le voisinage ?

— Non, répondit l’Algérien, moi ai pu installer toute la mécanique pour descendre sans être dérangé.

Ils avancèrent encore de quelques pas avant de se pencher sur un trou noir creusé à fleur de sol et dont les bords étaient entourés de robustes parois métalliques.

Mahamoud, très leste, enjambait déjà le bord de la fosse, comme s’il allait se précipiter dedans. Mais sa main courut au préalable le long de la paroi métallique, et rencontra fixée à l’une des saillies du métal, une grosse corde solidement assujettie. Il la désigna à ses deux compagnons et leur fit palper dans l’obscurité le nœud robuste qui maintenait la corde à son point d’attache.

— Ça beau travail, déclara-t-il, porter dix hommes et jamais casser.

— Es-tu bien sûr ?

Mais l’élève se mit à rudoyer son maître :

— Dirait-on pas, père Grelot, que t’as les foies blancs à c’t’heure et que c’est le premier soir que tu dégringoles dans la salle de bal en passant par la cheminée ? Allons-y, Mahamoud, les aminches doivent se faire du mauvais sang à nous attendre.

Les trois hommes alors se livrèrent à une manœuvre aussi périlleuse qu’inattendue.

L’Algérien, le premier disparut dans le trou, s’agrippa à la corde et se laissa glisser. Au bout de quelques instants, on entendit sa voix très atténuée, semblant sortir des entrailles de la terre, qui disait :

— Amenez-vous, moi suis arrivé.

Le père Grelot, malgré ses soixante-dix ans, empoigna le cordage à son tour et, tout en grommelant, se laissa descendre dans la fosse, puis ce fut le long et maigre Élève qui lui succéda.

Quel était cet orifice étrange et où conduisait-il ? N’était-il donc pas connu des gardiens du parc et se pouvait-il qu’il existât en plein Paris, dans une promenade fréquentée, un tel repaire sans que l’administration en eût connaissance ? La chose eût été en effet impossible, si ce trou avait été clandestin. Mais il était connu, officiel, car la fosse par laquelle les trois bizarres personnages avaient disparu n’est autre que le tunnel creusé dans la terre et communiquant d’une part avec le parc de Montsouris, tandis que de l’autre il vient déboucher au sommet de la voûte de chemin de fer creusée dans le même parc.

Mahamoud, le père Grelot et l’Élève savaient, connaissant les heures, que le dernier train était passé. Désormais, ils étaient tranquilles jusqu’à cinq heures du matin. Ce tunnel, d’ailleurs, devait être un lieu de rendez-vous, car les trois hommes ne s’y trouvaient pas seuls.

De part et d’autre, par les deux extrémités, venaient de nouveaux personnages, qui sans doute, avaient emprunté tels ou tels itinéraires prescrits et prévus à l’avance, pour éviter, en un point quelconque, un encombrement qui aurait pu paraître suspect.

Le tunnel de Montsouris.

Ce passage souterrain servait en effet de lieu de rendez-vous à une certaine bande dont l’organisation encore ignorée de la police, était soumise à des règles très sévères.

Les membres de cette bande se rencontraient rarement ensemble, mais lorsque d’aventure ils étaient convoqués, si on leur ordonnait de se réunir dans le tunnel de Montsouris, c’était avec l’obligation de venir y tenir séance en pleine obscurité, de là le nom que les associés s’étaient donné : « Les Ténébreux ».

Qui donc dirigeait cette association, dont le but n’était évidemment pas de concourir pour le prix Montyon, mais, bien au contraire, de s’entendre pour accomplir toute la gamme des exploits, depuis d’insignifiants chapardages jusqu’aux plus épouvantables forfaits, et de s’arranger, de s’entendre, afin d’échapper dans toute la mesure du possible aux poursuites de la Justice ?

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