Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Сувестр Пьер 10 стр.


Berthe, de son côté, s’attachait de plus en plus à elle, lui faisait des confidences. Elle n’avait plus l’impression de parler à une inconnue.

Une après-midi, quinze jours après l’arrivée de la mystérieuse étrangère, celle-ci et Berthe se promenaient le long de la Seine.

L’Américaine dit à la petite-fille du père Yxier :

— Mais d’où vient cette longue maladie que vous soignez chez vos grands-parents ?

— J’ai voulu mourir, dit Berthe, je me suis empoisonnée…

Berthe n’hésita pas à raconter sa vie :

— Il y a six ou sept ans, j’ai débuté à Paris comme infirmière dans une maison de santé…

— Vous étiez chez les fous ?

— En effet, déclara la jeune fille, j’avais fait quelques études préalables dans les hôpitaux. C’est dans cette maison de santé que j’ai connu une certaine femme, une malade qui a été la cause de mes ennuis.

— Elle s’appelait ?

— Son nom ne vous dira rien. Mais son fils était un journaliste… Jérôme Fandor.

— Parlez, parlez, dit l’Américaine. Vous avez connu ce journaliste ?

— Non, dit Berthe, ou du moins… C’est ce qu’il y a eu de plus abominable dans ma vie… Madame, je ne veux rien vous cacher car je vous respecte et je vous aime, mais celle que vous avez devant vous en ce moment a commis des crimes… Par ma faute, un homme est mort… Il y a de cela quatre ans… c’était un officier… Le capitaine Brocq. J’étais sa maîtresse.

La grande dame américaine pâlit affreusement :

— Berthe, murmura-t-elle, la voix troublée, Berthe, ne seriez-vous pas celle que l’on appelait Bobinette ?

La jeune fille tressaillit, ses lèvres frémirent, son front se couvrit d’une sueur froide.

Oui, c’était bien elle, M lleBerthe, que l’on avait connue sous le nom de Bobinette…

Mais quoi, tout cela était encore si familier à l’esprit du public ? Elle poursuivit l’évocation de ses souvenirs : Naarboveck, ou plus exactement le sinistre bandit Fantômas ; la gentille Thérèse Auvernois dont elle avait été la dame de compagnie…

À ce nom, machinalement, l’Américaine déclara :

— Thérèse Auvernois, l’épouse du lieutenant Henri de Loubersac ?

Berthe se tut, interdite. Quelle était cette mystérieuse personne qui connaissait si bien tous les personnages des drames où elle avait été mêlée ?

Bobinette, comme tout le monde, savait que dans l’histoire de l’insaisissable Fantômas, figurait avec un rôle des plus importants, une femme, à la fois séduisante et fatale, qui tour à tour se trouvait être, ou l’adversaire la plus acharnée du bandit, ou sa collaboratrice la plus dévouée.

Cette femme dont l’existence véritable était ignorée de tous, était à maintes reprises apparue comme une silhouette vague et floue à l’esprit de la jeune Berthe.

Pendant longtemps elle avait été accoutumée à considérer cette femme, connue sous le nom de lady Beltham, comme une véritable sainte, sans cesse préoccupée des malheureux, toujours à l’affût des infortunes à secourir, et dont l’immense fortune ne servait qu’au bien.

C’était le portrait que lui en avait fait jadis la petite Thérèse Auvernois et, à maintes reprises, Berthe était allée avec sa compagne prier au cimetière sur la tombe de la grande dame.

Longtemps Berthe n’avait eu aucune raison d’en douter, mais voici que soudain les drames auxquels elle avait été mêlée s’étaient précipités.

Bobinette convaincue d’une compromission honteuse, d’avoir voulu trahir…, avait tenté de s’empoisonner, pour échapper aux rigueurs de la Justice.

Un homme alors l’avait sauvée, tirée d’affaire. Cet homme, c’était Juve.

Or, par Juve, Berthe avait appris que lady Beltham n’était pas la sainte qu’elle croyait…, qu’elle n’était pas morte, qu’elle vivait encore…

L’Américaine paraissait de plus en plus émue.

Les deux femmes étaient arrivées à l’ombre d’un bouquet d’arbres. Elles se regardèrent les yeux dans les yeux et soudain Berthe poussa un grand cri.

Il lui sembla qu’un voile se déchirait, que ses yeux jusqu’alors aveugles, voyaient et voyaient comme il fallait voir…

La grande dame aux cheveux d’or, au regard étrange et clair, aux traits d’une merveilleuse beauté, à la démarche si majestueuse que l’on eut dit une reine, et qui se trouvait devant elle, avec qui elle vivait déjà depuis plus de deux semaines… mais elle la connaissait, elle l’avait maintes fois entendu décrire, elle avait longtemps contemplé ses portraits… son nom lui montait aux lèvres…

La grande dame ne lui laissa pas le temps de parler. Posant affectueusement ses mains sur les épaules de la jeune fille, elle répondit à l’interrogation muette :

— Oui, je suis lady Beltham.

Bobinette atterrée, stupéfaite, demeurait immobile, sans répondre.

Quel parti prendre ?

Lady Beltham était-elle une grande coupable ou une grande victime ? L’étrangère, cependant, lisait dans la pensée de Bobinette.

— Berthe, Berthe, dit-elle, ne me condamnez pas sans me connaître, n’essayez pas de comprendre des choses sur lesquelles moi-même je n’ai pas d’opinion… Nous sommes les unes et les autres, ici-bas, de pauvres épaves qui flottent au gré des flots insurmontables… ne jetez pas la pierre sans avoir entendu la confession du pécheur, ne jugez pas.

Berthe se jeta dans les bras de lady Beltham.

C’était instinctif, spontané.

Cette grande dame, sincère ou fausse, possédait l’art de séduire ou de charmer, à un point tel que nul n’était capable de s’y soustraire…

Berthe, toute secouée par l’émotion que provoquait en elle l’évocation de son terrible passé, sanglota doucement, appuyée sur l’épaule de lady Beltham. Celle-ci brusquement s’arracha à cette étreinte, courut à l’entrée du petit bois, à l’ombre duquel elles se tenaient toutes deux.

— Berthe, appela-t-elle d’une voix inquiète…

— Lady Beltham ?… Qu’y a-t-il ?

La grande dame désignait du doigt des individus qui passaient à l’horizon.

— Ces deux hommes, interrogea-t-elle, sur la route… qui sont-ils ?

— Je ne les connais pas, dit Berthe.

Cependant les individus se dissimulaient derrière un repli de terrain.

Lady Beltham, rassurée en apparence, était venue s’asseoir sur un tapis de mousse. Berthe s’installa à côté d’elle.

Les deux femmes échangèrent d’amères réflexions.

— Oui, disait lady Beltham, laissons ce passé qui m’est odieux, que je voudrais détruire… ah ! si l’on pouvait simplement refaire sa vie, anéantir…

De sa voix douce, Berthe lui demanda :

— Qui êtes-vous désormais, madame… comment vous appelle-t-on ?

Lady Beltham leva ses yeux admirables vers le ciel. Son regard s’assombrit :

— Je suis, déclara-t-elle, la femme d’un homme que j’abhorre et qui me trompe, un homme que j’ai fui, que je fuis encore, tant par dépit que par désir de vengeance.

— Restez ici, madame, restez avec nous, reposez-vous dans la paix et la tranquillité de cette campagne, je vous aime déjà tant, je ne crois pas vous déplaire, nous serons bonnes amies.

Lady Beltham, hésitante, mais séduite assurément par l’offre de la jeune fille, l’enveloppait d’un long regard affectueux, lorsqu’elle frémit à nouveau, se dressa toute droite :

— Berthe, j’ai peur, encore ces hommes, rentrons…

Lady Beltham, sur le pas de la porte acheva le récit de ses malheurs :

— Vous avez entendu parler, peut-être, de ce crime incompréhensible, en Angleterre. Il s’agit d’un docteur, d’un dentiste anglais, un certain M. Garrick, dont la femme a subitement disparu… on accuse cet homme, qui a une maîtresse, d’avoir assassiné sa femme légitime… il s’en défend, mais son épouse demeure introuvable.

— Vous savez quelque chose sur l’affaire Garrick, madame ? La femme de ce docteur Garrick, la femme disparue, si c’était…

— Eh bien ?

— Si c’était… répéta Berthe…

9 – FRANÇOISE EST INNOCENTE

En le voyant passer confortablement installé au fond de sa luxueuse limousine, qui éclaboussait les passants tout autour d’elle, les piétons, nombreux comme toujours dans les rues de Londres, et qui considéraient ce somptueux équipage, enviaient à coup sûr le propriétaire de l’automobile et ne pouvaient songer que ce riche était dévoré de chagrin.

Ce puissant qui se faisait véhiculer ainsi à l’allure souple et régulière de sa quarante HP, n’était autre que lord Duncan, bonbonnier de la reine d’Angleterre et favori du roi.

Ce matin-là, Londres s’éveillait maussade.

La grande ville était enveloppée dans ce brouillard jaune qui fait qu’en plein midi, parfois, il faut tenir les becs de gaz allumés afin de pouvoir se reconnaître.

Insensible, indifférent à cette morne torpeur, lord Duncan qui, hâtivement, avait quitté son domicile pour se rendre au Parlement dont la séance solennelle allait être ouverte par le souverain, pensait moins au discours du trône que prononcerait le roi George V qu’à ses propres affaires.

Ses affaires, c’était le mariage avec la pierreuse Nini Guinon, la menace perpétuelle qu’elle faisait planer sur son honneur et sa réputation de gentilhomme en se livrant à la pire débauche.

Une petite compensation… Il y avait l’enfant, l’héritier de la race et du nom.

Peu soucieux d’arriver en retard au Parlement, lord Duncan, détournant son chauffeur de l’itinéraire normal, l’avait fait obliquer dans la direction de Hyde Park.

Il avait arrêté sa voiture à l’entrée de la grille, ordonné au mécanicien de l’attendre, puis, s’enfonçant dans la brume légère qui demeurait humide et basse sous les arbres, il s’achemina seul, à pied, vers l’allée cavalière.

Le cœur lui battait…

Assise sur un banc, en toilette simple, Nini Guinon attendait lord Duncan.

— Navrant, pensait lord Duncan, si seulement Nini n’était pas Nini, si elle avait voulu faire un effort, nous aurions fait un bon ménage, uni, heureux de vivre à l’écart, en paix.

Duncan fut arraché à sa songerie par une apparition.

À côté de Nini, venait de surgir un bébé, que lord Duncan, jusqu’alors, n’avait pas aperçu, car il se trouvait dissimulé derrière les jupes de Nini Guinon.

Duncan ne pouvait plus y tenir, à pas précipités, il rejoignit le groupe.

Nini l’aperçut, elle se leva, une légère rougeur lui envahit les pommettes. Sous les paupières lourdes de grands cils, ses yeux brillaient.

Lord Duncan était séduit par le charme incontestable de Nini Guinon…

Et jugeant que l’ère des reproches ne pouvait s’éterniser, il sourit à sa femme :

Celle-ci, très simplement poussait vers lui l’enfant avec des gestes câlins :

— Le petit Jack, dit-elle…

Duncan, ému au dernier point, ne trouvait pas un mot à répondre : son regard humide d’émotion allait de la mère à l’enfant, et instinctivement il cherchait à retrouver dans les traits du petit garçon le rappel des traits de la mère.

Puis, brusquement lord Duncan se départant de son flegme, inclina sa haute taille, saisit l’enfant à bras le corps et le serra sur sa poitrine :

— Jack, murmura-t-il, mon petit Jack…

L’enfant, étonné, surpris regardait cet inconnu de ses grands yeux interrogateurs. Il ne souriait pas.

D’une voix plaintive, lorsque Duncan l’eut reposé à terre, il se contenta de balbutier :

— Maman !

Mais Nini Guinon, qui jusqu’alors était demeurée impassible, s’empressait auprès du petit garçon :

— Sois gentil, lui dit-elle.

Le trio abandonna les allées ombrageuses de l’allée cavalière, s’engagea sur le chemin qui borde les immenses pelouses de Hyde Park.

Le ciel peu à peu se dégageait, le brouillard allait se dissiper.

Tandis que l’enfant donnait une main à sa mère, il tendait instinctivement l’autre à lord Duncan.

Celui-ci accédant au désir du bébé éprouvait une singulière émotion, une joie tout à fait paternelle à sentir sur ses doigts aristocratiques, la douce moiteur de cette main potelée.

Un sentiment moins digne, mais très naturel, germait cependant dans l’esprit de lord Duncan : les promeneurs devenaient de plus en plus nombreux et le jeune membre du Parlement se demandait avec anxiété si, dans les passants qu’il croisait, il n’allait pas se trouver bientôt quelqu’un connu de lui ou, pis encore, quelqu’un qui le connaissait.

Hyde Park, entre onze heures et midi en était le lieu de réunion.

C’était une maladresse évidente qu’avait fait le riche seigneur d’y donner rendez-vous à sa femme.

Nini Guinon, cependant, avait pris une attitude humble et soumise pour solliciter son mari :

— Vous voyez, disait-elle, j’ai obéi… aussi n’essayez plus de me reprendre mon enfant…, vous réussirez toujours mieux avec moi en me traitant par la douceur que par la menace…

— Ah, Nini, s’écria lord Duncan, si seulement vous aviez voulu être autrement…

La jeune femme avait interrompu son mari, fronçant les sourcils, elle avait déclaré :

— Allons donc ! nous ne sommes pas bâtis l’un pour l’autre… tout ce que je vous demande, c’est de ne pas vouloir me voler mon fils…

C’était le problème, justement. Séparer l’enfant du milieu de Nini, ne pas révéler aux curieux le mariage qu’il avait fait. Et, immédiatement, brusquer les adieux.

Au reste, ce n’est pas à cela que songeait le noble jeune lord en reprenant place dans son automobile. À vrai dire, pour un peu, Duncan se serait traité de misérable. Oui, il se faisait horreur.

Il n’était pas ému. Il avait vu son fils et il était resté de glace. Il y a les gestes qu’on se doit de montrer. Mais la voix du sang ?

Eh bien, lord Duncan ne l’avait pas entendue.

Duncan était resté fermé aux appels qu’elle avait pu formuler… Et cela lui paraissait si affreux, si indigne de l’honnête homme qu’il était, que c’est à peine s’il osait le reconnaître tout bas.

Cependant que lord Duncan s’éloignait et traversait une pelouse pour regagner la grille du Park, Nini Guinon, songeuse et courroucée, était restée dans l’allée sablée à considérer son mari.

— Le mufle, grommelait-elle, dire qu’il ne m’a même pas donné d’argent pour renouveler la pelure du salé…

Mais une mauvaise pensée illuminait sa jolie figure :

— Par exemple, cela a rudement collé, l’histoire du môme, l’excellent père n’y a vu que du feu…

— Allons, dit la pierreuse en tirant le petit Jack par le bras, foutons le camp d’ici…

Mais elle venait d’apercevoir à un carrefour un groupe de musiciens qui s’installaient pour jouer. Curieuse et badaude, comme une Parisienne qu’elle était, Nini Guinon se mêla à la foule, la bouche ouverte, les yeux écarquillés. C’était une fanfare tout à fait réjouissante d’aspect composée au moins de vingt musiciens, tous armés de trombones et de flûtes. Plus un grand gaillard maigre, portant assujetti à son ventre absent, une gigantesque grosse caisse surmontée de cymbales.

Tous ces musiciens étaient revêtus d’un uniforme sombre, coiffés d’une casquette bordée de gros galon rouge…

Autour d’eux papillonnait une nuée de femmes accoutrées en cyclistes, d’ailleurs vieilles et laides, qui distribuaient des prospectus, prenaient à partie les auditeurs.

— Qu’est-ce que ça peut bien être ? se demandait Nini.

Mais ce n’était pas en vain qu’elle habitait Londres depuis un an et la jolie Française reconnut soudain la bannière qui se déployait au vent :

— Parbleu, murmura-t-elle, c’est l’Armée du Salut… chic alors, on va rigoler….

Nini avait déjà vu quelques-unes de ces cérémonies en plein vent au cours desquelles, après avoir chanté des psaumes, les plus néophytes des salutistes, les derniers enrôlés dans l’armée religieuse, montent sur un banc, un escabeau, voir même une échelle, pour faire au public à grand renfort de gestes et d’imprécations, le récit de leur conversion.

Nini Guinon se glissait déjà au premier rang de la foule, lorsqu’une des salutistes qui venait de lui tendre un papier que Nini refusait d’ailleurs, redoutant d’avoir à payer quelque chose, s’arrêta brusquement et s’inclina vers le petit Jack…

La salutiste considérait l’enfant avec une insistance si singulière que Nini Guinon, toujours sur ses gardes, en fut alarmée.

Soudain, l’épouse de lord Duncan se sentit devenir livide. Il lui semblait que la distributrice de prospectus venait de murmurer, de façon presque imperceptible d’ailleurs, un nom, un prénom et ce prénom, c’était… Daniel.

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