Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Сувестр Пьер 9 стр.


— Comment l’avez-vous su ?

— Mon cher, ma maîtresse m’apprenait dans sa lettre, qu’en rentrant de faire ses provisions, elle n’avait plus retrouvé son fils. Folle de douleur, à la suite du rapt de cet enfant, elle était partie, partie à Liverpool, pour s’embarquer à bord du Victoriapour gagner au plus vite le Canada et là mettre tout en œuvre pour reprendre son fils, son fils volé par son mari.

— Et alors ?

— Et alors, poursuivit Tom Bob, tout naturellement, vous le devinez, je me suis précipité sur les traces de Françoise, à Liverpool. Je voulais la supplier de choisir entre moi et son fils… je voulais lui demander d’attendre que j’obtienne un congé régulier, je voulais lui promettre de partir avec elle à la recherche de Daniel dès que je me serais fait mettre en disponibilité… Hélas ! Shepard, le sort était contre moi… Pendant que je discutais avec Françoise à bord du Victoria, le navire quittait le port… je pensais revenir par le bateau-pilote… j’ai perdu du temps… quand j’ai voulu me séparer de Françoise, il était trop tard, le Victoriaétait en pleine mer, j’étais embarqué de force pour le Canada, sur ce bateau, où maintenant vous venez m’arrêter…

Shepard demeurait silencieux, atterré par l’épouvantable méprise qu’il avait commise en se lançant sur la piste de son collègue Tom Bob…

— Bonté divine, fit-il enfin, mais, en ce cas, Tom Bob, si les choses se sont passées de cette façon, pourquoi, diable, vous êtes-vous donné les apparences de fuir en prenant à bord de ce steamer un nom supposé, un nouveau nom, le nom de Normand ?…

— Pour ne pas donner l’éveil au voleur de l’enfant. Shepard, pouvais-je laisser publier une liste de passagers annonçant que soit le détective Tom Bob, soit le docteur Garrick, se trouvait à bord du Victoria ?

Cette fois, le détective Shepard baissa la tête… Il demeura de longues minutes silencieux, puis enfin :

— Le pire, Tom Bob, dit-il, c’est que vous connaissez mon rigoureux devoir ?… Actuellement, mandat d’arrêt est lancé contre le docteur Garrick… je suis personnellement chargé d’arrêter le docteur Garrick, accusé d’avoir tué sa femme, et…

Tom Bob hocha la tête :

— Et, même au moment où vous vous apercevez que le docteur Garrick est votre collègue, Tom Bob, vous devez procéder à son arrestation ?… c’est bien votre devoir, en effet, Shepard… je ne le discute pas…

— C’est une fatalité. Oh ma vie, mon sang, mon âme, pour qu’une pareille aventure arrive à quelqu’un d’autre.

Mais Shepard s’était ressaisi :

— Bah ! Tom Bob… parbleu, puisque votre femme est vivante, on la retrouvera, et dans quinze jours au plus, vous serez libre…

— Mais pendant ce temps, Daniel, l’enfant de ma maîtresse, qui le recherchera comme je l’aurais recherché moi-même ?

— Écoutez, j’ai mandat contre vous, Tom Bob et je vais vous arrêter… dit Shepard, mais mes instructions me laissent libre d’inculper, ou non, de complicité votre maîtresse… je vais donc laisser libre votre amie qui va pouvoir faire les recherches nécessaires, alors que nous deux, Tom Bob, nous regagnerons l’Angleterre par le premier paquebot que nous allons croiser…

Les deux hommes causaient encore qu’un marin frappait à la porte de la cabine.

— Mister Shepard, demanda-t-il, le capitaine Hill serait désireux de vous parler ?…

— Je vous suis mon garçon… et à Tom Bob : « Venez avec moi voir le capitaine. Nous arrangerons ça. »

Mais le capitaine Hill, avant même que Shepard ait pu articuler un mot, avait tendu au policier la dépêche qu’il venait de recevoir :

«  Prière au capitaine Hill de prévenir le détective Shepard, dès qu’il aura rejoint le bord duVictoria, que des vestiges humains, lambeaux de chair, fragments d’os ayant appartenu au cadavre, soit d’une femme, soit d’un enfant, ont été retrouvés au cours d’une perquisition dans la cave du docteur Garrick, à Putney. Ordre est donné en conséquence au détective Shepard d’arrêter définitivement le docteur Garrick inculpé d’assassinat sur la personne de lady Garrick et la maîtresse du dit docteur Garrick inculpée d’assassinat sur la personne de son enfant disparu, Daniel. Il semble, en effet, que le docteur Garrick ait tué sa femme pour vivre avec sa maîtresse, et que celle-ci ait tué son enfant, Daniel, pour être plus libre. »

Et ayant lu cela, Shepard, baissant la tête, avait dit :

— Il va donc falloir, Tom Bob, que je vous arrête tous deux ?…

À quoi, stoïque, le malheureux Tom Bob n’avait pu que répondre :

— C’est votre devoir…

8 – QUI EST CETTE ÉTRANGÈRE ?

La nuit tombait.

Aux environs de Bonnières sur les rives de la Seine entre lesquelles le fleuve s’écoule large et paisible, le silence s’affirmait au crépuscule. Une brume légère et tiède succédait à la journée caniculaire qui venait affirmer les premières manifestations du printemps.

Sur la route de halage, un homme cheminait lentement.

Son pas lourd et pesant faisait crier le gravier du sol ; c’était un vieillard, un paysan qui portait sur ses robustes épaules une hotte remplie de légumes.

Après avoir remonté le cours du fleuve pendant cinq cents mètres environ, et avant d’arriver au village de Rolleboise qui au pied d’une colline borde la Seine, uniquement séparée de la rivière par la grande route nationale, le vieillard s’arrêta devant une maisonnette de modeste apparence, mais d’aspect coquet.

Trois marches de pierre permettaient d’accéder au jardinet surélevé d’un mètre environ au-dessus du niveau du chemin.

Le vieillard, après avoir frappé la pointe de ses souliers contre la première des marches pour débarrasser ses semelles de la terre glaise qu’elles avaient apportée des champs et des vergers, ouvrit la petite barrière de bois.

À peine était-il dans l’enclos qu’une voix jeune et fraîche le saluait d’un joyeux :

— Bonsoir, grand-père !

— Bonsoir, grommela le vieillard… bonsoir, ma petite Berthe… comment as-tu passé la journée ?

Puis, sans attendre la réponse, le vieux paysan poursuivait :

— Fichu temps, les petits pois étaient rares cet après-midi…

L’interlocutrice du vieillard se récriait :

— Vous osez dire, « fichu temps », grand-père …. vraiment vous êtes difficile…, jamais depuis que l’hiver s’est achevé, nous n’avons encore eu une aussi belle journée. De la chaleur, du soleil, des oiseaux qui gazouillent, du bleu plein le ciel…

— Ta ta ta… interrompit le vieillard, va toujours, petite, une jeunesse comme toi ça ne pense qu’à regarder autour de soi et ça ne voit dans les paysages qu’un objet d’amusement. Moi je dis que c’est un fichu temps parce que lorsqu’il fait beau, la terre est trop sèche et les pois ne poussent pas…

Le vieillard jeta avec dédain sur un petit carré de gazon dessiné devant la maisonnette, sa maigre récolte. Il haussa les épaules et résigné :

— Bah ! À chaque jour suffit sa peine, les vents sont d’ouest ce soir, nous aurons de la pluie demain…

Tendrement, il se pencha alors sur le front de la jeune personne qui l’avait appelé grand-père. Il déposait à la naissance de ses cheveux blonds un affectueux baiser.

— Vraiment, tu te sens mieux, fillette ?

Pour toute réponse la jeune femme embrassa l’aïeul…

***

À quelques centaines de mètres du village de Rolleboise, dans cette maisonnette entourée d’un jardin propret, vivaient deux excellents vieillards : le père Yxier et sa femme, la mère Catherine.

Ils avaient une modeste aisance, possédaient en toute propriété le lopin de terre sur lequel s’élevait leur demeure.

Leur existence durant, ils avaient travaillé, économisé. Leurs derniers jours s’achèveraient, sinon dans l’opulence, du moins dans le calme et la paix, sans le souci du lendemain.

Depuis déjà trois ou quatre ans, ils avaient avec eux leur petite-fille, jeune et jolie femme de vingt-cinq ans environ, M lleBerthe, comme on l’appelait dans le pays.

À la mort de ses parents, survenue dès son enfance, ils l’avaient élevée avec la plus grande tendresse, lui faisant donner une éducation soignée.

Puis la jeune fille partit pour Paris où elle exerçait diverses professions. Ses grands-parents ne la virent plus qu’à de rares intervalles, il leur sembla même que peu à peu elle se détachait d’eux.

Or, un certain jour, il y avait de cela près de quatre ans, Berthe leur était venue relevant, semblait-il, d’une grande maladie au cours de laquelle son existence avait été en danger.

On recommandait à la jeune fille du repos, du calme, de la campagne. Les bons vieillards, bien que n’étant pas riches, faisaient très volontiers à leur enfant chérie une place confortable et affectueuse à leur foyer.

Lentement la jeune fille s’était remise.

… Cependant une voix retentit du fond de la maison :

— À la soupe… à la soupe… il est sept heures passées…

La mère Catherine, femme du père Yxier, sortait de sa cuisine et apparut, toute rouge de la chaleur du fourneau.

Prestement, Berthe se leva de la chaise longue en osier sur laquelle elle était étendue et gagna la maison.

Son grand-père, lui, délaçant ses gros souliers maculés de boue, se déchaussait sur le seuil de la porte, puis pénétrait ensuite dans l’intérieur, ayant, pour ménager le parquet ciré, mis au préalable des chaussons de laine.

— Je t’ai fait une soupe au lait spéciale pour toi, déclara la mère Catherine à sa petite-fille, puisque ton estomac ne te permet pas de manger le pot-au-feu…

***

Soudain, dans le silence du soir, un grondement sourd se perçut.

— Une automobile qui passe, dit le père Yxier en allumant sa pipe.

— On voit bien que nous entrons dans la belle saison… la route de Paris à Rouen recommence à être fréquentée par ces machines-là… c’est au moins la dixième que j’entends aujourd’hui… dit la mère Catherine.

— Ma foi, tant mieux, grand-mère, dit Berthe, cela fera du mouvement dans le voisinage.

— Possible, grogna encore le père Yxier, mais ça fait bien de la poussière sur les fruits… et puis ce tapage qu’elles font, les mécaniques…

— Écoutez, interrompit Berthe…

Au loin on venait d’entendre une explosion.

— Ce doit être un pneu qui éclate, dit la mère Catherine, il y a quinze jours, tout près de chez la mère Denis, j’ai entendu le même bruit. C’était une grosse voiture, dont le caoutchouc trop gonflé avait crevé comme une vessie…

— Écoutez, fit Berthe, je viens d’entendre quelqu’un.

Il y eut des pas crissant sur le gravier du chemin de halage, se rapprochant, s’éloignant, s’approchant encore…

Le père Yxier se leva brusquement.

Il lui semblait que la petite barrière du jardin venait d’être ouverte.

Yxier se dirigea vers la porte, il l’entrebâilla, écouta une seconde. Tout se taisait de nouveau :

— Qui va là ? demanda le vieillard.

Berthe poussa un léger cri.

Une forme noire se projetait dans le faisceau de la lampe à pétrole. Une silhouette de femme surgit, grande, mince…

À peine eut-elle vu que l’on ouvrait la porte, qu’elle supplia :

— Monsieur… madame… je vous en prie, au secours…

Il était tard pour la campagne, huit heures et demie passées, presque neuf heures…

L’inconnue, comme une fugitive effrayée, pénétra dans l’intérieur de la pièce. Elle s’écroula sur la première chaise venue, incapable, semblait-il, de prononcer une parole.

Berthe la regardait, curieuse.

C’était une grande femme blonde aux yeux clairs, vifs et brillants, jolie, autant qu’il était possible de s’en rendre compte à travers le voile de gaze qui lui recouvrait le visage, élégamment vêtue d’une robe noire que l’on apercevait par l’entrebâillement d’un long cache-poussière qui l’enveloppait des pieds à la tête. L’inconnue tenait à la main d’épaisses lunettes d’automobiliste.

Lorsqu’elle eut repris son souffle, la visiteuse s’expliqua, à mots entrecoupés, rapides :

— Je vous demande pardon, mesdames, d’être ainsi venue chez vous, mais j’avais peur… j’ai frappé à la première maison. Je me rendais au Havre en automobile… Au Havre où j’allais embarquer… il faut vous dire que je suis étrangère, Américaine, je m’appelle M me… je m’appelle Maud… simplement. Ce mécanicien conduisait comme un fou… il allait beaucoup trop vite, nous devions avoir un accident… depuis vingt minutes je ne vivais plus. Tout à l’heure, au bas d’une descente, son pneumatique a éclaté… nous avons failli chavirer. J’ai eu trop peur. J’ai payé cet homme et je suis partie… Je ne veux plus entendre parler de remonter dans sa voiture…

— En effet, c’est dangereux, dit le père Yxier.

L’étrangère poursuivait :

— Mais je vous dérange sans doute, excusez-moi… voyons, n’y a-t-il pas un hôtel dans les environs où je pourrai passer la nuit ?

La mère Catherine se mit à rire :

— Un hôtel, vous n’en trouverez pas avant Bonnières…

— Bonnières, est-ce loin ?

— Une pièce de six à sept kilomètres.

— Mon Dieu, jamais je ne ferai cela à pied… pourrait-on trouver une voiture ? Une voiture avec un cheval, bien entendu…

— Il n’y a pas plus de voitures que d’hôtels par ici… peut-être le boucher de Rolleboise… mais non. son cheval doit être fatigué, rapport à ce qu’il est allé plus loin que Pacy-sur-Eure cet après-midi… non, vous ne trouverez rien avant demain matin…

— Que devenir ? mon Dieu, que devenir ?

— Restez ici, madame, restez avec nous…, dit Berthe.

Elle se tourna vers sa grand-mère :

— Je donnerai ma chambre à madame.

Les vieux parents approuvaient l’offre charitable de leur petite-fille.

Solennellement, le grand-père déclara :

— Vous êtes ici, madame, chez de braves gens. Le père et la mère Yxier. On nous connaît bien dans le pays, allez… et la jeunesse qui est là, devant vous, c’est notre petite-fille, Berthe, une Parisienne.

L’Américaine qui, certes, ne s’attendait pas à une aussi cordiale réception, s’était levée.

Avec une grâce, un charme qui révélaient la vraie grande dame, elle alla vers ses hôtes, serra la main de Berthe, de la vieille Catherine, remercia du regard le père Yxier :

— Vous êtes aimables, vous êtes excellents, déclara-t-elle, vous ne pouvez vous imaginer l’importance du service que vous me rendez… vous avez mis tant de simplicité, tant de bonne grâce à m’offrir l’hospitalité, que de mon côté je ne ferai pas de manière… je vous dis merci, simplement, mais de tout cœur…

***

Cela se passait dix jours avant la mort du fils de Nini Guinon.

Il faut croire que l’hospitalité des braves campagnards convenait à l’étrangère, puisque deux semaines après son arrivée, elle était encore chez eux. Dès l’aube elle avait manifesté le désir de partir. Elle semblait si défaite que Berthe l’avait retenue. On l’avait gardée jusqu’à l’après-midi, jusqu’au soir, jusqu’au lendemain. Depuis, elle était là.

Elle avait accompagné Berthe au village pour y faire des provisions et commandé à son compte des provisions qui facilitaient la préparation des repas à la mère Catherine.

Les deux jeunes femmes, l’étrangère et Berthe, s’étaient, dès le début, senties instinctivement attirées l’une vers l’autre.

La jeune Berthe qui, depuis son séjour à la campagne, était fort privée de distractions, aurait désormais éprouvé un réel chagrin si l’étrangère, son amie Maud, comme elle disait, était soudain partie. L’Américaine, d’autre part, ne paraissait plus songer qu’elle devait embarquer. Elle se laissait gagner par la quiétude de cette vie calme, en pleine campagne.

Elle aussi, paraissait éprouver pour Berthe une affection très sincère.

Les deux femmes cependant n’étaient ni de même origine, ni de même condition. On devinait, rien qu’à la regarder, qu’à l’entendre, la grande dame, en l’étrangère.

Elle avait une extrême distinction dans la tournure, dans les manières et la démarche.

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