Dès que je fus descendue dans la plaine, je n'aperçus plus le clocher; je n'avais pour me guider que la forêt, et je commençai dès lors à croire que l'éloignement dont j'avais oublié de m'informer était bien autre que l'estimation que j'en avais faite; mais rien ne me décourage, j'arrive au bord de la forêt, et voyant qu'il me reste encore assez de jour, je me détermine à m'y enfoncer, m'imaginant toujours pouvoir arriver au couvent avant la nuit. Cependant nulle trace humaine ne se présente à mes yeux… Pas une maison, et pour tout chemin un sentier peu battu que je suivais à tout hasard. J'avais au moins déjà fait cinq lieues et je ne voyais encore rien s'offrir, lorsque l'astre ayant absolument cessé d'éclairer l'univers, il me sembla ouïr le son d'une cloche… J'écoute, je marche vers le bruit, je me hâte; le sentier s'élargit un peu, j'aperçois enfin quelques haies, et bientôt après le couvent. Rien de plus agreste que cette solitude, aucune habitation ne l'avoisinait, la plus prochaine était à six lieues, et des bois immenses entouraient la maison de toutes parts; elle était située dans un fond, il m'avait fallu beaucoup descendre pour y arriver, et telle était la raison qui m'avait fait perdre le clocher de vue, dès que je m'étais trouvée dans la plaine. La cabane d'un jardinier touchait aux murs du couvent; c'était là que l'on s'adressait avant que d'entrer. Je demande à cette espèce de portier s'il est permis de parler au supérieur; il s'informe de ce que je lui veux; je fais entendre qu'un devoir de religion m'attire dans cette pieuse retraite, et que je serais bien consolée de toutes les peines que j'ai prises pour y parvenir si je pouvais me jeter un instant aux pieds de la miraculeuse Vierge et des saints ecclésiastiques dans la maison desquels cette divine image se conserve. Le jardinier sonne, et pénètre au couvent; mais comme il est tard et que les Pères soupaient, il est quelque temps à revenir. Il reparaît enfin avec un des religieux:
– Mademoiselle, me dit-il, voilà dom Clément, l'économe de la maison; il vient voir si ce que vous désirez vaut la peine d'interrompre le supérieur.
Clément, dont le nom peignait on ne saurait moins la figure, était un homme de quarante-huit ans, d'une grosseur énorme, d'une taille gigantesque, le regard sombre et farouche, ne s'exprimant qu'avec des mots durs et lancés par un organe rauque, une vraie figure de satyre, l'extérieur d'un tyran; il me fit trembler… Alors, sans qu'il me fût possible de m'en défendre, le souvenir de mes anciens malheurs vint s'offrir en traits de sang à ma mémoire troublée…
– Que voulez-vous? me dit ce moine, avec l'air le plus rébarbatif, est-ce là l'heure de venir dans une église?… Vous avez bien l'air d'une aventurière.
– Saint homme, dis-je en me prosternant, j'ai cru qu'il était toujours temps de se présenter à la maison de Dieu; j'accours de bien loin pour m'y rendre, pleine de ferveur et de dévotion, je demande à me confesser s'il est possible, et quand l'intérieur de ma conscience vous sera connu, vous verrez si je suis digne ou non de me prosterner aux pieds de la sainte Image.
– Mais ce n'est pas l'heure de se confesser, dit le moine en se radoucissant; où passerez-vous la nuit? Nous n'avons point d'hospice… il valait mieux venir le matin.
A cela je lui dis les raisons qui m'en avaient empêchée, et, sans me répondre, Clément alla en rendre compte au supérieur. Quelques minutes après, on ouvre l'église; dom Sévérino s'avance lui-même à moi, vers la cabane du jardinier, et m'invite à entrer avec lui dans le temple.
Dom Sévérino, duquel il est bon de vous donner une idée sur-le-champ, était un homme de cinquante-cinq ans, ainsi qu'on me l'avait dit, mais d'une belle physionomie, l'air frais encore, taillé en homme vigoureux, membru comme Hercule, et tout cela sans dureté; une sorte d'élégance et de moelleux régnait dans son ensemble, et faisait voir qu'il avait dû posséder, dans sa jeunesse, tous les attraits qui forment un bel homme. Il avait les plus beaux yeux du monde, de la noblesse dans les traits, et le ton le plus honnête, le plus gracieux, le plus poli. Une sorte d'accent agréable dont pas un de ses mots n'était corrompu faisait pourtant reconnaître sa patrie, et, je l'avoue, toutes les grâces extérieures de ce religieux me remirent un peu de l'effroi que m'avait causé l'autre.
– Ma chère fille, me dit-il gracieusement, quoique l'heure soit indue, et que nous ne soyons pas dans l'usage de recevoir si tard, j'entendrai cependant votre confession, et nous aviserons après aux moyens de vous faire décemment passer la nuit, jusqu'au moment où vous pourrez demain saluer la sainte Image qui vous attire ici.
Nous entrons dans l'église; les portes se ferment; on allume une lampe près du confessionnal. Sévérino me dit de me placer; il s'assied et m'engage à me confier à lui en toute assurance.
Parfaitement rassurée avec un homme qui me paraissait aussi doux, après m'être humiliée, je ne lui déguise rien. Je lui avoue toutes mes fautes; je lui fais part de tous mes malheurs; je lui dévoile jusqu'à la marque honteuse dont m'a flétrie le barbare Rodin. Sévérino écoute tout avec la plus grande attention, il me fait même répéter quelques détails avec l'air de la pitié et de l'intérêt; mais quelques mouvements, quelques paroles le trahirent pourtant: hélas! ce ne fut qu'après que j'y réfléchis mieux; quand je fus plus calme sur cet événement, il me fut impossible de ne pas me souvenir que le moine s'était plusieurs fois permis sur lui-même plusieurs gestes qui prouvaient que la passion entrait pour beaucoup dans les demandes qu'il me faisait, et que ces demandes non seulement s'arrêtaient avec complaisance sur les détails obscènes, mais s'appesantissaient même avec affectation sur les cinq points suivants:
1° S'il était bien vrai que je fusse orpheline et née à Paris. 2° S'il était sûr que je n'eusse plus ni parents, ni amis, ni protection, ni personne enfin à qui je pusse écrire. 3° Si je n'avais confié qu'à la bergère qui m'avait parlé du couvent le dessein que j'avais d'y venir, et si je ne lui avais point donné de rendez-vous au retour. 4° S'il était certain que je n'eusse vu personne depuis mon viol, et si j'étais bien sûre que l'homme qui avait abusé de moi l'eût fait également du côté que la nature condamne, comme de celui qu'elle permet. 5° Si je croyais n'avoir point été suivie, et que personne ne m'eût vue entrer dans le couvent.
Après avoir satisfait à ces questions, de l'air le plus modeste, le plus sincère et le plus naïf:
– Eh bien! me dit le moine en se levant, et me prenant par la main, venez, mon enfant, je vous procurerai la douce satisfaction de communier demain aux pieds de l'Image que vous venez visiter: commençons par pourvoir à vos premiers besoins. Et il me conduit vers le fond de l'église…
– Eh quoi! lui dis-je alors avec une sorte d'inquiétude dont je ne me sentais pas maîtresse… eh quoi! mon père, dans l'intérieur?
– Et où donc, charmante pèlerine? me répondit le moine, en m'introduisant dans la sacristie… Quoi! vous craignez de passer la nuit avec quatre saints ermites!… Oh! vous verrez que nous trouverons les moyens de vous dissiper, cher ange; et si nous ne vous procurons pas de bien grands plaisirs, au moins servirez-vous les nôtres dans leur plus extrême étendue.
Ces paroles me font tressaillir; une sueur froide s'empare de moi, je chancelle; il faisait nuit, nulle lumière ne guidait nos pas, mon imagination effrayée me fait voir le spectre de la mort balançant sa faux sur ma tête; mes genoux fléchissent… Ici le langage du moine change tout à coup, il me soutient, en m'invectivant:
– Catin, me dit-il, il faut marcher; n'essaye ici ni plainte, ni résistance, tout serait inutile.
Ces cruels mots me rendent mes forces, je sens que je suis perdue si je faiblis; je me relève…
– Ô ciel! dis-je à ce traître, faudra-t-il donc que je sois encore la victime de mes bons sentiments, et que le désir de m'approcher de ce que la religion a de plus respectable aille être encore puni comme un crime!…
Nous continuons de marcher, et nous nous engageons dans des détours obscurs dont rien ne peut me faire connaître ni le local, ni les issues. Je précédais dom Sévérino; sa respiration était pressée, il prononçait des mots sans suite; on l'eût cru dans l'ivresse; de temps en temps, il m'arrêtait du bras gauche enlacé autour de mon corps, tandis que sa main droite, se glissant sous mes jupes par-derrière, parcourait avec impudence cette partie malhonnête qui, nous assimilant aux hommes, fait l'unique objet des hommages de ceux qui préfèrent ce sexe en leurs honteux plaisirs. Plusieurs fois même la bouche de ce libertin ose parcourir ces lieux, en leur plus secret réduit; ensuite nous recommencions à marcher. Un escalier se présente; au bout de trente ou quarante marches, une porte s'ouvre, des reflets de lumière viennent frapper mes yeux, nous entrons dans une salle charmante et magnifiquement éclairée; là je vois trois moines et quatre filles autour d'une table servie par quatre autres femmes toutes nues: ce spectacle me fait frémir; Sévérino me pousse, et me voilà dans la salle avec lui.
– Messieurs, dit-il en entrant, permettez que je vous présente un véritable phénomène: voici une Lucrèce qui porte à la fois sur ses épaules la marque des filles de mauvaise vie, et dans la conscience toute la candeur, toute la naïveté d'une vierge… Une seule attaque de viol, mes amis, et cela depuis six ans; c'est donc presque une vestale… en vérité, je vous la donne pour telle… d'ailleurs le plus beau… Oh! Clément, comme tu vas t'égayer sur ces belles masses!… quelle élasticité, mon ami! quelle carnation!
– Ah! s…! dit Clément, à moitié ivre, en se levant et s'avançant vers moi; la rencontre est plaisante, et je veux vérifier les faits.
Je vous laisserai le moins longtemps possible en suspens sur ma situation, madame, dit Thérèse, mais la nécessité où je suis de peindre les nouvelles gens avec lesquelles je me trouve m'oblige de couper un instant le fil du récit. Vous connaissez dom Sévérino, vous soupçonnez ses goûts; hélas! sa dépravation en ce genre était telle qu'il n'avait jamais goûté d'autres plaisirs; et quelle inconséquence pourtant dans les opérations de la nature, puisque avec la bizarre fantaisie de ne choisir que des sentiers, ce monstre était pourvu de facultés tellement gigantesques, que les routes mêmes les plus battues lui eussent encore paru trop étroites!
Pour Clément, son esquisse est déjà faite. Joignez, à l'extérieur que j'ai peint, de la férocité; de la taquinerie, la fourberie la plus dangereuse, de l'intempérance en tous points, l'esprit satirique et mordant, le cœur corrompu, les goûts cruels de Rodin avec ses écoliers, nul sentiment, nulle délicatesse, point de religion, un tempérament si usé qu'il était depuis cinq ans hors d'état de se procurer d'autres jouissances que celles dont la barbarie lui donnait le goût, et vous aurez de ce vilain homme la plus complète image.
Antonin, le troisième acteur de ces détestables orgies, était âgé de quarante ans; petit, mince, très vigoureux, aussi redoutablement organisé que Sévérino et presque aussi méchant que Clément; enthousiaste des plaisirs de ce confrère, mais s'y livrant au moins dans une intention moins féroce; car si Clément, usant de cette bizarre manie, n'avait pour but que de vexer, que de tyranniser une femme, sans en pouvoir autrement jouir, Antonin, s'en servant avec délice dans toute la pureté de la nature, ne mettait le flagellant épisode en usage que pour donner à celle qu'il honorait de ses faveurs plus de flamme et plus d'énergie. L'un, en un mot, était brutal par goût, et l'autre par raffinement.
Jérôme, le plus vieux de ces quatre solitaires, en était aussi le plus débauché; tous les goûts, toutes les passions, toutes les irrégularités les plus monstrueuses, se trouvaient réunis dans l'âme de ce moine; il joignait aux caprices des autres celui d'aimer à recevoir sur lui ce que ses confrères distribuaient aux filles, et, s'il donnait (ce qui lui arrivait fréquemment), c'était toujours aux conditions d'être traité de même à son tour; tous les temples de Vénus lui étaient d'ailleurs égaux, mais ses forces commençant à faiblir, il préférait néanmoins, depuis quelques années, celui qui, n'exigeant rien de l'agent, laissait à l'autre le soin d'éveiller les sensations et de produire l'extase. La bouche était son temple favori, et pendant qu'il se livrait à ces plaisirs de choix, il occupait une seconde femme à l'échauffer par le secours des verges. Le caractère de cet homme était d'ailleurs tout aussi sournois, tout aussi méchant que celui des autres, et sous quelque figure que le vice pût se montrer, il était sûr de trouver aussitôt des sectateurs et des temples dans cette infernale maison. Vous le comprendrez plus facilement, madame, en vous expliquant comme elle était formée. Des fonds prodigieux étaient faits pour ménager à l'ordre cette retraite obscène existant depuis plus de cent ans, et toujours remplie par les quatre religieux les plus riches, les plus avancés dans l'ordre, de la meilleure naissance, et d'un libertinage assez important pour exiger d'être ensevelis dans ce repaire obscur, dont le secret ne sortait plus, ainsi que vous le verrez par la suite des explications qui me restent à faire. Revenons aux portraits.
Les huit filles qui se trouvaient pour lors au souper étaient si distantes par l'âge qu'il me serait impossible de vous les esquisser en masse; je suis nécessairement contrainte à quelques détails. Cette singularité m'étonna. Commençons par la plus jeune, je peindrai dans cet ordre.
A peine cette plus jeune des filles avait-elle dix ans: un minois chiffonné, de jolis traits, l'air humiliée de son sort, chagrine et tremblante.
La seconde avait quinze ans: même embarras dans la contenance, l'air de la pudeur avilie, mais une figure enchanteresse, beaucoup d'intérêt dans l'ensemble.
La troisième avait vingt ans: faite à peindre, blonde, les plus beaux cheveux, des traits fins, réguliers et doux; paraissant plus apprivoisée.
La quatrième avait trente ans: c'était une des plus belles femmes qu'il fût possible de voir; de la candeur, de l'honnêteté, de la décence dans le maintien, et toutes les vertus d'une âme douce.
La cinquième était une fille de trente-six ans, enceinte de trois mois; brune, fort vive, de beaux yeux, mais ayant, à ce qu'il me sembla, perdu tout remords, toute décence, toute retenue.
La sixième était du même âge: grosse comme une tour, grande à proportion, de beaux traits, un vrai colosse dont les formes étaient dégradées par l'embonpoint; elle était nue quand je la vis, et je distinguai facilement qu'il n'y avait pas une partie de son gros corps qui ne portât l'empreinte de la brutalité des scélérats dont sa mauvaise étoile lui faisait servir les plaisirs.
La septième et la huitième étaient deux très belles femmes d'environ quarante ans.
Poursuivons maintenant l'histoire de mon arrivée dans ce lieu impur.
Je vous l'ai dit, à peine fus-je entrée que chacun s'avança vers moi; Clément fut le plus hardi, sa bouche infecte fut bientôt collée sur la mienne; je me détourne avec horreur, mais on me fait entendre que toutes ces résistances ne sont que des simagrées qui deviennent inutiles, et que ce qui me reste de mieux à faire est d'imiter mes compagnes.
– Vous imaginez aisément, me dit dom Sévérino, qu'il ne servirait à rien d'essayer des résistances dans la retraite inabordable où vous voilà. Vous avez, dites-vous, éprouvé bien des malheurs; le plus grand de tous pour une fille vertueuse, manquait pourtant encore à la liste de vos infortunes. N'était-il pas temps que cette fière vertu fît naufrage, et peut-on être encore presque vierge à vingt-deux ans? Vous voyez des compagnes qui, comme vous, en entrant, ont voulu résister et qui, comme vous allez prudemment faire, ont fini par se soumettre, quand elles ont vu que leur défense ne pouvait les conduire qu'à de mauvais traitements. Car il est bon de vous le déclarer, Thérèse, continua le supérieur, en me montrant des disciplines, des verges, des férules, des gaules, des cordes et mille autres sortes d'instruments de supplice… Oui, il est bon que vous le sachiez: voilà ce dont nous nous servons avec les filles rebelles; voyez si vous avez envie d'en être convaincue. Au reste, que réclameriez-vous ici? L'équité? nous ne la connaissons pas; l'humanité? notre seul plaisir est d'en violer les lois; la religion? elle est nulle pour nous, notre mépris pour elle s'accroît en raison de ce que nous la connaissons davantage; des parents… des amis… des juges? Il n'y a rien de tout cela dans ces lieux, chère fille; vous n'y trouverez que de l'égoïsme, de la cruauté, de la débauche, et l'impiété la mieux soutenue. La soumission la plus entière est donc votre seul lot; jetez vos regards sur l'asile impénétrable où vous êtes; jamais aucun mortel ne parut dans ces lieux; le couvent serait pris, fouillé, brûlé, que cette retraite ne s'en découvrirait pas davantage: c'est un pavillon isolé, enterré, que six murs d'une incroyable épaisseur environnent de toutes parts, et vous y êtes, ma fille, au milieu de quatre libertins, qui n'ont sûrement pas envie de vous épargner et que vos instances, vos larmes, vos propos, vos génuflexions ou vos cris n'enflammeront que davantage. A qui donc aurez-vous recours? Sera-ce à ce Dieu que vous veniez implorer avec tant de zèle, et qui, pour vous récompenser de cette ferveur, ne vous précipite qu'un peu plus sûrement dans le piège? à ce Dieu chimérique que nous outrageons nous-mêmes ici chaque jour en insultant à ses vaines lois?… Vous le concevez donc, Thérèse, il n'est aucun pouvoir, de quelque nature que vous puissiez le supposer, qui puisse parvenir à vous arracher de nos mains, et il n'y a ni dans la classe des choses possibles, ni dans celle des miracles, aucune sorte de moyen qui puisse réussir à vous faire conserver plus longtemps cette vertu dont vous êtes si fière; qui puisse enfin vous empêcher de devenir dans tous les sens, et de toutes les manières, la proie des excès libidineux auxquels nous allons nous abandonner tous les quatre avec vous… Déshabille-toi donc, catin, offre ton corps à nos luxures, qu'il en soit souillé dans l'instant, ou les traitements les plus cruels vont te prouver les risques qu'une misérable comme toi court à nous désobéir.
Ce discours… cet ordre terrible ne me laissait plus de ressources, je le sentais; mais n'eussé-je pas été coupable de ne pas employer celle que m'indiquait mon cœur, et que me laissait encore ma situation? Je me jette donc aux pieds de dom Sévérino, j'emploie toute l'éloquence d'une âme au désespoir, pour le supplier de ne pas abuser de mon état; les pleurs les plus amers viennent inonder ses genoux, et tout ce que j'imagine de plus fort, tout ce que je crois de plus pathétique, j'ose l'essayer avec cet homme… A quoi tout cela servait-il, grand Dieu! devais-je ignorer que les larmes ont un attrait de plus aux yeux du libertin? devais-je douter que tout ce que j'entreprenais pour fléchir ces barbares ne devait réussir qu'à les enflammer?…
– Prenez cette g…, dit Sévérino en fureur, saisissez-la, Clément, qu'elle soit nue dans une minute, et qu'elle apprenne que ce n'est pas chez des gens comme nous que la compassion étouffe la nature.
Clément écumait; mes résistances l'avaient animé; il me saisit d'un bras sec et nerveux; entremêlant ses propos et ses actions de blasphèmes effroyables, en une minute il fait sauter mes vêtements.
– Voilà une belle créature, dit le supérieur en promenant ses doigts sur mes reins; que Dieu m'écrase si j'en vis jamais une mieux faite! Amis, poursuit ce moine, mettons de l'ordre à nos procédés; vous connaissez nos formules de réception, qu'elle les subisse toutes, sans en excepter une seule; que pendant ce temps les huit autres femmes se tiennent autour de nous, pour prévenir les besoins, ou pour les exciter.