Justine Ou Les Malheurs De La Vertu - de Sade Marquis Alphonse Francois 23 стр.


Je continue de diriger mes pas vers la ville de Vienne, décidée à y vendre ce qui me restait pour arriver à Grenoble. Je marchais tristement, lorsque, à un quart de lieue de cette ville, j'aperçois dans la plaine, à droite du chemin, deux cavaliers qui foulaient un homme aux pieds de leurs chevaux, et qui, après l'avoir laissé comme mort, se sauvèrent à bride abattue; ce spectacle affreux m'attendrit jusqu'aux larmes. Hélas! me dis-je, voilà un homme plus à plaindre que moi; il me reste au moins la santé et la force, je puis gagner ma vie, et si ce malheureux n'est pas riche, que va-t-il devenir?

A quelque point que j'eusse dû me défendre des mouvements de la commisération, quelque funeste qu'il fût pour moi de m'y livrer, je ne pus vaincre l'extrême désir que j'éprouvais de me rapprocher de cet homme et de lui prodiguer mes secours. Je vole à lui, il respire par mes soins un peu d'eau spiritueuse que je conservais sur moi: il ouvre enfin les yeux, et ses premiers accents sont ceux de la reconnaissance; encore plus empressée de lui être utile, je mets en pièces une de mes chemises pour panser ses blessures, pour étancher son sang: un des seuls effets qui me restent, je le sacrifie pour ce malheureux. Ces premiers soins remplis, je lui donne à boire un peu de vin; cet infortuné a tout à fait repris ses sens; je l'observe et je le distingue mieux. Quoique à pied, et dans un équipage assez leste, il ne paraissait pourtant pas dans la médiocrité, il avait quelques effets de prix, des bagues, une montre, des boîtes, mais tout cela fort endommagé de son aventure. Il me demande, dès qu'il peut parler, quel est l'ange bienfaisant qui lui apporte ce secours, et ce qu'il peut faire pour lui en témoigner sa gratitude. Ayant encore la simplicité de croire qu'une âme enchaînée par la reconnaissance devait être à moi sans retour, je crois pouvoir jouir en sûreté du doux plaisir de faire partager mes pleurs à celui qui vient d'en verser dans mes bras: je l'instruis de mes revers, il les écoute avec intérêt, et quand j'ai fini par la dernière catastrophe qui vient de m'arriver, dont le récit lui fait voir l'état de misère où je me trouve:

– Que je suis heureux, s'écrie-t-il, de pouvoir au moins reconnaître tout ce que vous venez de faire pour moi! Je m'appelle Roland, continue cet aventurier, je possède un fort beau château dans la montagne, à quinze lieues d'ici, je vous invite à m'y suivre; et pour que cette proposition n'alarme point votre délicatesse, je vais vous expliquer tout de suite à quoi vous me serez utile. Je suis garçon, mais j'ai une sœur que j'aime passionnément, qui s'est vouée à ma solitude, et qui la partage avec moi: j'ai besoin d'un sujet pour la servir; nous venons de perdre celle qui remplissait cet emploi, je vous offre sa place.

Je remerciai mon protecteur, et pris la liberté de lui demander par quel hasard un homme comme lui s'exposait à voyager sans suite, et, ainsi que cela venait de lui arriver, à être molesté par des fripons.

– Un peu replet, jeune et vigoureux, je suis depuis plusieurs années, me dit Roland, dans l'habitude de venir de chez moi à Vienne de cette manière. Ma santé et ma bourse y gagnent: ce n'est pas que je sois dans le cas de prendre garde à la dépense, car je suis riche; vous en verrez bientôt la preuve, si vous me faites l'amitié de venir chez moi; mais l'économie ne gâte jamais rien. Quant aux deux hommes qui viennent de m'insulter, ce sont deux gentillâtres du canton, à qui je gagnai cent louis la semaine passée, dans une maison, à Vienne; je me contentai de leur parole, je les rencontre aujourd'hui, je leur demande mon dû, et voilà comme ils me traitent.

Je déplorais avec cet homme le double malheur dont il était victime, lorsqu'il me proposa de nous remettre en route:

– Je me sens un peu mieux, grâce à vos soins, me dit Roland; la nuit s'approche, gagnons une maison qui doit être à deux lieues d'ici; moyennant les chevaux que nous y prendrons demain, nous pourrons arriver chez moi le même soir.

Absolument décidée à profiter des secours que le ciel semblait m'envoyer, j'aide Roland à se mettre en marche, je le soutiens pendant la route, et nous trouvons effectivement à deux lieues de là, l'auberge qu'il avait indiquée. Nous y soupons honnêtement ensemble; après le repas, Roland me recommande à la maîtresse du logis, et le lendemain, sur deux mules de louage qu'escortait un valet de l'auberge, nous gagnons la frontière du Dauphiné, nous dirigeant toujours vers les montagnes. La traite étant trop longue pour la faire en un jour, nous nous arrêtâmes à Virieu, où j'éprouvai les mêmes soins, les mêmes égards de mon patron, et le jour d'ensuite nous continuâmes notre marche toujours dans la même direction. Sur les quatre heures du soir, nous arrivâmes au pied des montagnes: là, le chemin devenant presque impraticable, Roland recommanda au muletier de ne pas me quitter de peur d'accident, et nous pénétrâmes dans les gorges. Nous ne fîmes que tourner, monter et descendre pendant plus de quatre lieues, et nous avions alors tellement quitté toute habitation et tout chemin frayé, que je me crus au bout de l'univers. Un peu d'inquiétude vint me saisir malgré moi; Roland ne put s'empêcher de le voir, mais il ne disait mot, et son silence m'effrayait encore plus. Enfin nous vîmes un château perché sur la crête d'une montagne, au bord d'un précipice affreux, dans lequel il semblait prêt à s'abîmer: aucune route ne paraissait y tenir; celle que nous suivions, seulement pratiquée par des chèvres, remplie de cailloux de tous côtés, arrivait cependant à cet effrayant repaire, ressemblant bien plutôt à un asile de voleurs qu'à l'habitation de gens vertueux.

– Voilà ma maison, me dit Roland, dès qu'il crut que le château avait frappé mes regards.

Et sur ce que je lui témoignais mon étonnement de le voir habiter une telle solitude:

– C'est ce qui me convient, me répondit-il avec brusquerie.

Cette réponse redoubla mes craintes: rien n'échappe dans le malheur; un mot, une inflexion plus ou moins prononcée chez ceux de qui nous dépendons, étouffe ou ranime l'espoir; mais n'étant plus à même de prendre un parti différent, je me contins. A force de tourner, cette antique masure se trouva tout à coup en face de nous: un quart de lieue tout au plus nous en séparait encore; Roland descendit de sa mule, et m'ayant dit d'en faire autant, il les rendit toutes deux au valet, le paya et lui ordonna de s'en retourner. Ce nouveau procédé me déplut encore; Roland s'en aperçut.

– Qu'avez-vous, Thérèse? me dit-il, en nous acheminant vers son habitation; vous n'êtes point hors de France; ce château est sur les frontières du Dauphiné, il dépend de Grenoble.

– Soit, monsieur, répondis-je; mais comment vous est-il venu dans l'esprit de vous fixer dans un tel coupe-gorge?

– C'est que ceux qui l'habitent ne sont pas des gens très honnêtes, dit Roland; il serait fort possible que tu ne fusses pas édifiée de leur conduite.

– Ah! monsieur, lui dis-je en tremblant, vous me faites frémir, où me menez-vous donc?

– Je te mène servir des faux-monnayeurs dont je suis le chef, rugi dit Roland, en me saisissant par le bras et me faisant traverser de force un petit pont qui s'abaissa à notre arrivée et se releva tout de suite après. Vois-tu ce puits? continua-t-il, dès que nous fûmes entrés, en me montrant une grande et profonde grotte située au fond de la cour, où quatre femmes nues et enchaînées faisaient mouvoir une roue; voilà tes compagnes, et voilà ta besogne, moyennant que tu travailleras journellement dix heures à tourner cette roue, et que tu satisferas comme ces femmes tous les caprices auxquels il me plaira de te soumettre, il te sera accordé six onces de pain noir et un plat de fèves par jour; pour ta liberté, renonces-y; tu ne l'auras jamais. Quand tu seras morte à la peine, on te jettera dans ce trou que tu vois à côté du puits, avec soixante ou quatre-vingts autres coquines de ton espèce qui t'y attendent, et l'on te remplacera. par une nouvelle.

– Oh! grand Dieu, m'écriai-je en me jetant aux pieds de Roland, daignez vous rappeler, monsieur, que je vous ai sauvé la vie; qu'un instant ému par la reconnaissance, vous semblâtes m'offrir le bonheur, et que c'est en me précipitant dans un abîme éternel de maux que vous acquittez mes services. Ce que vous faites est-il juste, et le remords ne vient-il pas déjà me venger au fond de votre cœur?

– Qu'entends-tu, je te prie, par ce sentiment de reconnaissance dont tu t'imagines m'avoir captivé? dit Roland. Raisonne mieux, chétive créature; que faisais-tu quand tu vins à mon secours? Entre la possibilité de suivre ton chemin et celle de venir avec moi, n'as-tu pas choisi le dernier comme un mouvement inspiré par ton cœur? Tu te livrais donc à une jouissance? Par où diable prétends-tu que je sois obligé de te récompenser des plaisirs que tu te donnes? Et comment te vint-il jamais dans l'esprit qu'un homme qui, comme moi, nage dans l'or et l'opulence, daigne s'abaisser à devoir quelque chose à une misérable de ton espèce? M'eusses-tu rendu la vie, je ne te devrais rien, dès que tu n'as agi que pour toi: au travail, esclave, au travail! apprends que la civilisation, en bouleversant les principes de la nature, ne lui enlève pourtant point ses droits; elle créa dans l'origine des êtres forts et des êtres faibles, avec l'intention que ceux-ci fussent toujours subordonnés aux autres; l'adresse, l'intelligence de l'homme varièrent la position des individus, ce ne fut plus la force physique qui détermina les rangs, ce fut celle de l'or; l'homme le plus riche devint le plus fort, le plus pauvre devint le plus faible; à cela près des motifs qui fondaient la puissance, la priorité du fort fut toujours dans les lois de la nature, à qui il devenait égal que la chaîne qui captivait le faible fût tenue par le plus riche ou par le plus vigoureux, et qu'elle écrasât le plus faible ou bien le plus pauvre. Mais ces mouvements de reconnaissance dont tu veux me composer des liens, elle les méconnaît, Thérèse; il ne fut jamais dans ses lois que le plaisir où l'un se livrait en obligeant devînt un motif pour celui qui recevait de se relâcher de ses droits sur l'autre. Vois-tu chez les animaux, qui nous servent d'exemples, ces sentiments que tu réclames? Lorsque je te domine par mes richesses ou par ma force, est-il naturel que je t'abandonne mes droits, ou parce que tu as joui en m'obligeant, ou parce qu'étant malheureuse tu t'es imaginé de gagner quelque chose par ton procédé? Le service fût-il même rendu d'égal à égal, jamais l'orgueil d'une âme élevée ne se laissera courber par la reconnaissance; n'est-il pas toujours humilié, celui qui reçoit? Et cette humiliation qu'il éprouve ne paye-t-elle pas suffisamment le bienfaiteur qui, par cela seul, se trouve au-dessus de l'autre? N'est-ce pas une jouissance pour l'orgueil que de s'élever au-dessus de son semblable? En faut-il d'autre à celui qui oblige? Et si l'obligation, en humiliant celui qui reçoit, devient un fardeau pour lui, de quel droit le contraindre à le garder? Pourquoi faut-il que je consente à me laisser humilier chaque fois que me frappent les regards de celui qui m'a obligé? L'ingratitude, au lieu d'être un vice, est donc la vertu des âmes fières, aussi certainement que la reconnaissance n'est que celle des âmes faibles: qu'on m'oblige tant qu'on voudra, si l'on y trouve une jouissance, mais qu'on n'exige rien de moi.

A ces mots, auxquels Roland ne me donna pas le temps de répondre, deux valets me saisissent par ses ordres, me dépouillent, et m'enchaînent avec mes compagnes, que je suis obligée d'aider tout de suite, sans qu'on me permette seulement de me reposer de la marche fatigante que je viens de faire. Roland m'approche alors, il me manie brutalement sur toutes les parties que la pudeur défend de nommer, m'accable de sarcasmes et d'impertinences relativement à la marque flétrissante et peu méritée que Rodin avait empreinte sur moi, puis s'armant d'un nerf de bœuf toujours là, il m'en applique vingt coups sur le derrière.

– Voilà comme tu seras traitée, coquine, me dit-il, lorsque tu manqueras à ton devoir; je ne te fais pas ceci pour aucune faute déjà commise par toi, mais seulement pour te montrer comme j'agis avec celles qui en font.

Je jette les hauts cris en me débattant sous mes fers; mes contorsions, mes hurlements, mes larmes, les cruelles expressions de ma douleur ne servent que d'amusement à mon bourreau…

– Ah! je t'en ferai voir d'autres, catin, dit Roland, tu n'es pas au bout de tes peines, et je veux que tu connaisses jusques aux plus barbares raffinements du malheur. Il me laisse.

Six réduits obscurs, situés sous une grotte autour de ce vaste puits, et qui se fermaient comme des cachots, nous servaient de retraite pendant la nuit. Comme elle arriva peu après que je fus à cette funeste chaîne, on vint me détacher ainsi que mes compagnes, et l'on nous enferma après nous avoir donné la portion d'eau, de fèves et de pain dont Roland m'avait parlé.

A peine fus-je seule, que je m'abandonnai tout à l'aise à l'horreur de ma situation. Est-il possible, me disais-je, qu'il y ait des hommes assez durs pour étouffer en eux le sentiment de la reconnaissance?… Cette vertu où je me livrerais avec tant de charmes, si jamais une âme honnête me mettait dans le cas de la sentir, peut-elle donc être méconnue de certains êtres, et ceux qui l'étouffent avec autant d'inhumanité doivent-ils être autre chose que des monstres?

J'étais plongée dans ces réflexions, lorsque tout à coup j'entends ouvrir la porte de mon cachot: c'est Roland; le scélérat vient achever de m'outrager en me faisant servir à ses odieux caprices: vous supposez, madame, qu'ils devaient être aussi féroces que ses procédés, et que les plaisirs de l'amour pour un tel homme portaient nécessairement les teintes de son odieux caractère. Mais comment abuser de votre patience pour vous raconter ces nouvelles horreurs? N'ai-je pas déjà trop souillé votre imagination par d'infâmes récits? Dois-je en hasarder de nouveaux?

– Oui, Thérèse, dit M. de Corville, oui, nous exigeons de vous ces détails, vous les gazez avec une décence qui en émousse toute l'horreur, il n'en reste que ce qui est utile à qui veut connaître l'homme. On n'imagine point combien ces tableaux sont utiles au développement de son âme; peut-être ne sommes-nous encore aussi ignorants dans cette science que par la stupide retenue de ceux qui voulurent écrire sur ces matières. Enchaînés par d'absurdes craintes, ils ne nous parlent que de ces puérilités connues de tous les sots, et n'osent, portant une main hardie dans le cœur humain, en offrir à nos yeux les gigantesques égarements.

– Eh bien, monsieur, je vais vous obéir, reprit Thérèse émue, et me comportant comme je l'ai déjà fait, je tâcherai d'offrir mes esquisses sous les couleurs les moins révoltantes.

Roland, qu'il faut d'abord vous peindre, était un homme petit, replet, âgé de trente-cinq ans, d'une vigueur incompréhensible, velu comme un ours, la mine sombre, le regard féroce, fort brun, des traits mâles, un nez long, la barbe jusqu'aux yeux, des sourcils noirs et épais, et cette partie qui différencie les hommes de notre sexe d'une telle longueur et d'une grosseur si démesurée, que non seulement jamais rien de pareil ne s'était offert à mes yeux, mais qu'il était même absolument certain que jamais la nature n'avait rien fait d'aussi prodigieux: mes deux mains l'enlaçaient à peine, et sa longueur était celle de mon avant-bras. A ce physique, Roland joignait tous les vices qui peuvent être les fruits d'un tempérament de feu, de beaucoup d'imagination, et d'une aisance toujours trop considérable pour ne l'avoir pas plongé dans de grands travers. Roland achevait sa fortune; son père, qui l'avait commencée, l'avait laissé fort riche, moyennant quoi ce jeune homme avait déjà beaucoup vécu: blasé sur les plaisirs ordinaires, il n'avait plus recours qu'à des horreurs; elles seules parvenaient à lui rendre des désirs épuisés par trop de jouissances; les femmes qui le servaient étaient toutes employées à ses débauches secrètes, et pour satisfaire à des plaisirs un peu moins malhonnêtes dans lesquels ce libertin pût trouver le sel du crime qui le délectait mieux que tout, Roland avait sa propre sœur pour maîtresse, et c'était avec elle qu'il achevait d'éteindre les passions qu'il venait allumer près de nous.

Il était presque nu quand il entra; son visage, très enflammé, portait à la fois des preuves de l'intempérance de table où il venait de se livrer, et de l'abominable luxure qui le dévorait. Il me considère un instant avec des yeux qui me font frémir.

– Quitte ces vêtements, me dit-il, en arrachant lui-même ceux que j'avais repris pour me couvrir pendant la nuit… oui, quitte tout cela et suis-moi; je t'ai fait sentir tantôt ce que tu risquais en te livrant à la paresse; mais s'il te prenait envie de nous trahir, comme le crime serait bien plus grand, il faudrait que la punition s'y proportionnât; viens donc voir de quelle espèce elle serait.

J'étais dans un état difficile à peindre, mais Roland ne donnant point à mon âme le temps d'éclater, me saisit aussitôt par le bras et m'entraîne; il me conduisait de la main droite: de la gauche, il tenait une petite lanterne dont nous étions faiblement éclairés; après plusieurs détours nous nous trouvons à la porte d'une cave; il l'ouvre, et me faisant passer la première, il me dit de descendre pendant qu'il referme cette première clôture; j'obéis. A cent marches nous en trouvons une seconde, qui s'ouvre et se referme de la même manière; mais après celle-ci, il n'y avait plus d'escalier, c'était un petit chemin taillé dans le roc, rempli de sinuosités, et dont la pente était extrêmement raide. Roland ne disait mot, ce silence m'effrayait encore plus; il nous éclairait de sa lanterne; nous voyageâmes ainsi près d'un quart d'heure: l'état dans lequel j'étais me faisait ressentir encore plus vivement l'horrible humidité de ces souterrains. Nous étions enfin si fort descendus, que je ne crains pas d'exagérer en assurant que l'endroit où nous arrivâmes devait être à plus de huit cents pieds dans les entrailles de la terre; de droite et de gauche du sentier que nous parcourions étaient plusieurs niches, où je vis des coffres qui renfermaient les richesses de ces malfaiteurs: une dernière porte de bronze se présente enfin, Roland l'ouvre, et je pensai tomber à la renverse en apercevant l'affreux local où me conduisait ce malhonnête homme; me voyant fléchir, il me pousse rudement, et je me trouve ainsi, sans le vouloir, au milieu de cet affreux sépulcre. Représentez-vous, madame, un caveau rond, de vingt-cinq pieds de diamètre, dont les murs tapissés de noir n'étaient décorés que des plus lugubres objets, des squelettes de toutes sortes de tailles, des ossements en sautoir, des têtes de morts, des faisceaux de verges et de fouets, des sabres, des poignards, des pistolets: telles étaient les horreurs qu'on voyait sur les murs qu'éclairait ma lampe à trois mèches, suspendue à l'un des coins de la voûte; du cintre partait une longue corde qui tombait à huit ou dix pieds de terre au milieu de ce cachot, et qui, comme vous allez bientôt le voir, n'était là que pour servir à d'affreuses expéditions; à droite était un cercueil qu'entrouvrait le spectre de la Mort armé d'une faux menaçante; un prie-Dieu était à côté; on voyait un crucifix au-dessus, placé entre deux cierges noirs; à gauche, l'effigie en cire d'une femme nue, si naturelle que j'en fus longtemps la dupe: elle était attachée à une croix, elle y était posée sur la poitrine, de façon qu'on voyait amplement toutes ses parties postérieures, mais cruellement molestées; le sang paraissait sortir de plusieurs plaies et couler le long de ses cuisses; elle avait les plus beaux cheveux du monde, sa belle tête était tournée vers nous et semblait implorer sa grâce: on distinguait toutes les contorsions de la douleur imprimées sur son beau visage, et jusqu'aux larmes qui l'inondaient. A l'aspect de cette terrible image, je pensai perdre une seconde fois mes forces; le fond du caveau était occupé par un vaste canapé noir, duquel se développaient aux regards toutes les atrocités de ce lugubre lieu.

– Voilà où vous périrez, Thérèse, me dit Roland, si vous concevez jamais la fatale idée de quitter ma maison; oui, c'est ici que je viendrai moi-même vous donner la mort, que je vous en ferai sentir les angoisses par tout ce qu'il me sera possible d'inventer de plus dur.

En prononçant cette menace, Roland s'enflamma; son agitation, son désordre le rendaient semblable au tigre prêt à dévorer sa proie: ce fut alors qu'il mit au jour le redoutable membre dont il était pourvu; il me le fit toucher, me demanda si j'en avais vu de semblable.

– Tel que le voilà, catin, me dit-il en fureur, il faudra pourtant bien qu'il s'introduise dans la partie la plus étroite de ton corps, dussé-je te fendre en deux; ma sœur, bien plus jeune que toi, le soutient dans cette même partie; jamais je ne jouis différemment des femmes: il faudra donc qu'il te pourfende aussi.

Et pour ne pas me laisser de doute sur le local qu'il voulait dire, il y introduisait trois doigts armés d'ongles fort longs, en me disant:

– Oui, c'est là, Thérèse, c'est là que j'enfoncerai tout à l'heure ce membre qui t'effraie; il y entrera de toute sa longueur, il te déchirera, il te mettra en sang, et je serai dans l'ivresse.

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