Justine Ou Les Malheurs De La Vertu - de Sade Marquis Alphonse Francois 24 стр.


Il écumait en disant ces mots, entremêlés de jurements et de blasphèmes odieux. La main dont il effleurait le temple qu'il paraissait vouloir attaquer s'égara alors sur toutes les parties adjacentes, il les égratignait; il en fit autant à ma gorge, il me la meurtrit tellement que j'en souffris quinze jours des douleurs horribles. Ensuite il me plaça sur le bord du canapé, frotta d'esprit-de-vin cette mousse dont la nature orna l'autel où notre espèce se régénère; il y mit le feu et la brûla. Ses doigts saisirent l'excroissance de chair qui couronne ce même autel, il le froissa rudement; il introduisit de là ses doigts dans l'intérieur, et ses ongles molestaient la membrane qui le tapisse. Ne se contenant plus, il me dit que puisqu'il me tenait dans son repaire, il valait tout autant que je n'en sortisse plus, que cela lui éviterait la peine de m'y redescendre. Je me précipitai à ses genoux, j'osai lui rappeler encore les services que je lui avais rendus… Je m'aperçus que je l'irritais davantage en reparlant des droits que je supposais à sa pitié; il me dit de me taire, en me renversant sur le carreau d'un coup de genou appuyé de toutes ses forces dans le creux de mon estomac.

– Allons! me dit-il, en me relevant par les cheveux, allons! prépare-toi; il est certain que je vais t'immoler…

– Oh, monsieur!

– Non, non, il faut que tu périsses; je ne veux plus m'entendre reprocher tes petits bienfaits; j'aime à ne rien devoir à personne, c'est aux autres à tenir tout de moi… Tu vas mourir, te dis-je, place-toi dans ce cercueil, que je voie si tu pourras y tenir.

Il m'y porte, il m'y enferme, puis sort du caveau, et fait semblant de me laisser là. Je ne m'étais jamais crue si près de la mort; hélas! elle allait pourtant s'offrir à moi sous un aspect encore plus réel. Roland revient, il me sort du cercueil.

– Tu seras au mieux là-dedans, me dit-il; on dirait qu'il est fait pour toi; mais t'y laisser finir tranquillement, ce serait une trop belle mort; je vais t'en faire sentir une d'un genre différent et qui ne laisse pas que d'avoir aussi ses douceurs. Allons! implore ton Dieu, catin, prie-le d'accourir te venger, s'il en a vraiment la puissance…

Je me jette sur le prie-Dieu et pendant que j'ouvre à haute voir mon cœur à l'Éternel, Roland redouble sur les parties postérieures que je lui expose ses vexations et ses supplices d'une manière plus cruelle encore; il flagellait ces parties de toute sa force avec un martinet armé de pointes d'acier, dont chaque coup faisait jaillir mon sang jusqu'à la voûte.

– Eh bien! continuait-il en blasphémant, il ne te secourt pas, ton Dieu; il laisse ainsi souffrir la vertu malheureuse, il l'abandonne aux mains de la scélératesse; ah! quel Dieu, Thérèse, quel Dieu que ce Dieu-là! Viens, me dit-il ensuite, viens, catin, ta prière doit être faite (et en même temps il me place sur l'estomac, au bord du canapé qui faisait le fond de ce cabinet); je te l'ai dit, Thérèse, il faut que tu meures!

Il se saisit de mes bras, il les lie sur mes reins, puis il passe autour de mon cou un cordon de soie noire dont les deux extrémités, toujours tenues par lui, peuvent, en serrant à sa volonté, comprimer ma respiration et m'envoyer en l'autre monde, dans le plus ou le moins de temps qu'il lui plaira.

– Ce tourment est plus doux que tu ne penses, Thérèse, me dit Roland; tu ne sentiras la mort que par d'inexprimables sensations de plaisir; la compression que cette corde opérera sur la masse de tes nerfs va mettre en feu les organes de la volupté; c'est un effet certain. Si tous les gens condamnés à ce supplice savaient dans quelle ivresse il fait mourir, moins effrayés de cette punition de leurs crimes, ils les commettraient plus souvent et avec bien plus d'assurance; cette délicieuse opération, Thérèse, comprimant de même le local où je vais me placer, ajoute-t-il en se présentant à une route criminelle, si digne d'un tel scélérat, va doubler aussi mes plaisirs.

Mais c'est en vain qu'il cherche à la frayer; il a beau préparer les voies, trop monstrueusement proportionné pour réussir, ses entreprises sont toujours repoussées. C'est alors que sa fureur n'a plus de bornes; ses ongles, ses mains, ses pieds servent à le venger des résistances que lui oppose la nature. Il se présente de nouveau, le glaive en feu glisse aux bords du canal voisin, et de la vigueur de la secousse y pénètre de près de moitié; je jette un cri; Roland, furieux de l'erreur, se retire avec rage, et pour cette fois frappe l'autre porte avec tant de vigueur, que le dard humecté s'y plonge en me déchirant. Roland profite des succès de cette première secousse; ses efforts deviennent plus violents; il gagne du terrain; à mesure qu'il avance, le fatal cordon qu'il m'a passé autour du cou se resserre, je pousse des hurlements épouvantables; le féroce Roland, qu'ils amusent, m'engage à les redoubler, trop sûr de leur insuffisance, trop maître de les arrêter quand il voudra; il s'enflamme à leurs sons aigus. Cependant l'ivresse est prête à s'emparer de lui, les compressions du cordon se modulent sur les degrés de son plaisir; peu à peu mon organe s'éteint; les serrements alors deviennent si vifs que mes sens s'affaiblissent sans perdre néanmoins la sensibilité; rudement secouée par le membre énorme dont Roland déchire mes entrailles, malgré l'affreux état dans lequel je suis, je me sens inondée des jets de sa luxure; j'entends encore les cris qu'il pousse en les versant. Un instant de stupidité succéda, je ne sais ce que je devins, mais bientôt mes yeux se rouvrent à la lumière, je me retrouve libre, dégagée, et mes organes semblent renaître.

– Eh bien! Thérèse, me dit mon bourreau, je gage que si tu veux être vraie, tu n'as senti que du plaisir?

– Que de l'horreur, monsieur, que des dégoûts, que des angoisses et du désespoir!

– Tu me trompes, je connais les effets que tu viens d'éprouver; mais quels qu'ils aient été, que m'importe! tu dois, je l'imagine, me connaître assez pour être bien sûre que ta volupté m'inquiète infiniment moins que la mienne dans ce que j'entreprends avec toi, et cette volupté que je cherche a été si vive, que je vais m'en procurer encore les instants. C'est de toi, maintenant, Thérèse, me dit cet insigne libertin, c'est de toi seule que tes jours vont dépendre.

Il passe alors autour de mon cou cette corde qui pendait au plafond; dès qu'elle y est fortement arrêtée, il lie au tabouret sur lequel je posais les pieds et qui m'avait élevée jusque-là, une ficelle dont il tient le bout, et va se placer sur un fauteuil en face de moi: dans mes mains est une serpe tranchante dont je dois me servir pour couper la corde au moment où, par le moyen de la ficelle qu'il tient, il fera trébucher le tabouret sous mes pieds.

– Tu le vois, Thérèse, me dit-il alors, si tu manques ton coup, je ne manquerai pas le mien; je n'ai donc pas tort de te dire que tes jours dépendent de toi.

Il s'excite; c'est au moment de son ivresse qu'il doit tirer le tabouret dont la fuite me laisse pendue au plafond; il fait tout ce qu'il peut pour feindre cet instant; il serait aux nues si je manquais d'adresse; mais il a beau faire, je le devine, la violence de son extase le trahit, je lui vois faire le fatal mouvement, le tabouret s'échappe, je coupe la corde et tombe à terre, entièrement dégagée; là, quoique à plus de douze pieds de lui, le croiriez-vous, madame? je sens mon corps inondé des preuves de son délire et de sa frénésie.

Une autre que moi, profitant de l'arme qu'elle se trouvait entre les mains, se fût sans doute jetée sur ce monstre; mais à quoi m'eût servi ce trait de courage? N'ayant pas les clefs de ces souterrains, en ignorant les détours, je serais morte avant que d'en avoir pu sortir; d'ailleurs Roland était armé; je me relevai donc, laissant l'arme à terre, afin qu'il ne conçût même pas sur moi le plus léger soupçon; il n'en eut point; il avait savouré le plaisir dans toute son étendue, et content de ma douceur, de ma résignation, bien plus peut-être que de mon adresse, il me fit signe de sortir, et nous remontâmes.

Le lendemain, j'examinai mieux mes compagnes. Ces quatre filles étaient de vingt-cinq à trente ans; quoique abruties par la misère et déformées par l'excès des travaux, elles avaient encore des restes de beauté; leur taille était belle, et la plus jeune, appelée Suzanne, avec des yeux charmants, avait encore de très beaux cheveux; Roland l'avait prise à Lyon, il avait eu ses prémices, et après l'avoir enlevée à sa famille, sous les serments de l'épouser, il l'avait conduite dans cet affreux château; elle y était depuis trois ans, et, plus particulièrement encore que ses compagnes, l'objet des férocités de ce monstre: à force de coups de nerf de bœuf, ses fesses étaient devenues calleuses et dures comme le serait une peau de vache desséchée au soleil; elle avait un cancer au sein gauche et un abcès dans la matrice qui lui causait des douleurs inouïes. Tout cela était l'ouvrage du perfide Roland; chacune de ces horreurs était le fruit de ses lubricités.

Ce fut elle qui m'apprit que Roland était à la veille de se rendre à Venise, si les sommes considérables qu'il venait de faire dernièrement passer en Espagne lui rapportaient les lettres de change qu'il attendait pour l'Italie, parce qu'il ne voulait point porter son or au-delà des monts; il n'y en envoyait jamais: c'était dans un pays différent de celui où il se proposait d'habiter qu'il faisait passer ses fausses espèces; par ce moyen, ne se trouvant riche dans le lieu où il voulait se fixer que des papiers d'un autre royaume, ses friponneries ne pouvaient jamais se découvrir. Mais tout pouvait manquer dans un instant, et la retraite qu'il méditait dépendait absolument de cette dernière négociation, où la plus grande partie de ses trésors était compromise. Si Cadix acceptait ses piastres, ses sequins, ses louis faux, et lui envoyait sur cela des lettres sur Venise, Roland était heureux le reste de sa vie; si la fraude était découverte, un seul jour suffisait à culbuter le frêle édifice de sa fortune.

– Hélas! dis-je en apprenant ces particularités, la providence sera juste une fois, elle ne permettra pas les succès d'un tel monstre, et nous serons toutes vengées…

Grand Dieu! après l'expérience que j'avais acquise, était-ce à moi de raisonner ainsi!

Vers midi, on nous donnait deux heures de repos dont nous profitions pour aller toujours séparément respirer et dîner dans nos chambres; à deux heures, on nous rattachait et l'on nous faisait travailler jusqu'à la nuit, sans qu'il nous fût jamais permis d'entrer dans le château. Si nous étions nues, c'était non seulement à cause de la chaleur, mais plus encore afin d'être mieux à même de recevoir les coups de nerf de bœuf que venait de temps en temps nous appliquer notre farouche maître. L'hiver, on nous donnait un pantalon et un gilet tellement serrés sur la peau, que nos corps n'en étaient pas moins exposés aux coups d'un scélérat dont l'unique plaisir était de nous rouer.

Huit jours se passèrent sans que je visse Roland; le neuvième, il parut à notre travail, et prétendant que Suzanne et moi tournions la roue avec trop de mollesse, il nous distribua trente coups de nerf de bœuf à chacune, depuis le milieu des reins jusqu'au gras des jambes.

A minuit de ce même jour, le vilain homme vint me trouver dans mon cachot, et s'enflammant du spectacle de ses cruautés, il introduisit encore sa terrible massue dans l'antre ténébreux que je lui exposais par la posture où il me tenait en considérant les vestiges de sa rage. Quand ses passions furent assouvies, je voulus profiter de l'instant de calme pour le supplier d'adoucir mon sort. Hélas! j'ignorais que si dans de telles âmes le moment du délire rend plus actif le penchant qu'elles ont à la cruauté, le calme ne les en ramène pas davantage pour cela aux douces vertus de l'honnête homme; c'est un feu plus ou moins embrasé par les aliments dont on le nourrit, mais qui ne brûle pas moins quoique sous la cendre.

– Et de quel droit, me répondit Roland, prétends-tu que j'allège tes chaînes? Est-ce en raison des fantaisies que je veux bien me passer avec toi? Mais vais-je à tes pieds demander des faveurs de l'accord desquelles tu puisses implorer quelques dédommagements? Je ne te demande rien, je prends, et je ne vois pas que, de ce que j'use d'un droit sur toi, il doive en résulter qu'il me faille abstenir d'en exiger un second. Il n'y a point d'amour dans mon fait: l'amour est un sentiment chevaleresque souverainement méprisé par moi, et dont mon cœur ne sentit jamais les atteintes; je me sers d'une femme par nécessité, comme on se sert d'un vase rond et creux dans un besoin différent, mais n'accordant jamais à cet individu, que mon argent et mon autorité soumettent à mes désirs, ni estime ni tendresse; ne devant ce que j'enlève qu'à moi-même, et n'exigeant jamais de lui que de la soumission, je ne puis être tenu d'après cela à lui accorder aucune gratitude. Je demande à ceux qui voudraient m'y contraindre si un voleur qui arrache la bourse d'un homme dans un bois, parce qu'il se trouve plus fort que lui, doit quelque reconnaissance à cet homme du tort qu'il vient de lui causer? Il en est de même de l'outrage fait à une femme: ce peut être un titre pour lui en faire un second, mais jamais une raison suffisante pour lui accorder des dédommagements.

– Oh! monsieur, lui dis-je, à quel point vous portez la scélératesse!

– Au dernier période, me répondit Roland: il n'est pas un seul écart dans le monde où je ne me sois livré, pas un crime que je n'aie commis, et pas un que mes principes n'excusent ou ne légitiment. J'ai ressenti sans cesse au mal une sorte d'attrait qui tournait toujours au profit de ma volupté; le crime allume ma luxure; plus il est affreux, plus il m'irrite; je jouis en le commettant de la même sorte de plaisir que les gens ordinaires ne goûtent que dans la lubricité, et je me suis trouvé cent fois, pensant au crime, m'y livrant, ou venant de le commettre, absolument dans le même état qu'on est auprès d'une belle femme nue; il irritait mes sens dans le même genre, et je le commettais pour m'enflammer, comme on s'approche d'un bel objet dans les intentions de l'impudicité.

– Oh! monsieur, ce que vous dites est affreux, mais j'en ai vu des exemples.

– Il en est mille, Thérèse. Il ne faut pas s'imaginer que ce soit la beauté d'une femme qui irrite le mieux l'esprit d'un libertin: c'est bien plutôt l'espèce de crime qu'ont attaché les lois à sa possession. La preuve en est que, plus cette possession est criminelle, et plus on en est enflammé; l'homme qui jouit d'une femme qu'il dérobe à son mari, d'une fille qu'il enlève à ses parents, est bien plus délecté sans doute que le mari qui ne jouit que de sa femme; et plus les liens qu'on brise paraissent respectables, plus la volupté s'agrandit. Si c'est sa mère, si c'est sa sœur, si c'est sa fille, nouveaux attraits aux plaisirs éprouvés; a-t-on goûté tout cela, on voudrait que les digues s'accrussent encore pour donner plus de peines et plus de charmes à les franchir. Or, si le crime assaisonne une jouissance, détaché de cette jouissance, il peut donc en être une lui-même; il y aura donc alors une jouissance certaine dans le crime seul. Car il est impossible que ce qui prête du sel n'en soit pas très pourvu soi-même. Ainsi, je le suppose, le rapt d'une fille pour son propre compte donnera un plaisir très vif, mais le rapt pour le compte d'un autre donnera tout le plaisir dont la jouissance de cette fille se trouvait améliorée par le rapt; le rapt d'une montre, d'une bourse en donneront également, et si j'ai accoutumé mes sens à se trouver émus de quelque volupté au rapt d'une fille, en tant que rapt, ce même plaisir, cette même volupté se retrouvera au rapt de la montre, à celui de la bourse, etc. Et voilà ce qui explique la fantaisie de tant d'honnêtes gens qui volaient sans en avoir besoin. Rien de plus simple, de ce moment-là, et que l'on goûte les plus grands plaisirs à tout ce qui sera criminel, et que l'on rende, par tout ce que l'on pourra imaginer, les jouissances simples aussi criminelles qu'il sera possible de les rendre; on ne fait, en se conduisant ainsi, que prêter à cette jouissance la dose de sel qui lui manquait et qui devenait indispensable à la perfection du bonheur. Ces systèmes mènent loin, je le sais, peut-être même te le prouverai-je avant peu, Thérèse, mais qu'importe pourvu qu'on jouisse? Y avait-il, par exemple, chère fille, quelque chose de plus simple et de plus naturel que de me voir jouir de toi? Mais tu t'y opposes, tu me demandes que cela ne soit pas; il semblerait par les obligations que je t'ai, que je dusse t'accorder ce que tu exiges. Cependant je ne me rends à rien, je n'écoute rien, je brise tous les nœuds qui captivent les sots, je te soumets à mes désirs, et de la plus simple, de la plus monotone jouissance, j'en fais une vraiment délicieuse. Soumets-toi donc, Thérèse, soumets-toi; et si jamais tu reviens au monde sous le caractère du plus fort, abuse même de tes droits, et tu connaîtras de tous les plaisirs le plus vif et le plus piquant.

Roland sortit en disant ces mots, et me laissa dans des réflexions qui, comme vous croyez bien, n'étaient pas à son avantage.

Il y avait six mois que j'étais dans cette maison, servant de temps en temps aux insignes débauches de ce scélérat, lorsque je le vis entrer un soir dans ma prison avec Suzanne.

– Viens, Thérèse, me dit-il, il y a longtemps, ce me semble, que je ne t'ai fait descendre dans ce caveau qui t'a tant effrayée. Suivez-y-moi toutes les deux, mais ne vous attendez pas à remonter de même, il faut absolument que j'en laisse une, nous verrons sur laquelle tombera le sort.

Je me lève, je jette des yeux alarmés sur ma compagne, je vois des pleurs rouler dans les siens… nous marchons.

Dès que nous fûmes enfermées dans le souterrain, Roland nous examina toutes deux avec des yeux féroces; il se plaisait à nous redire notre arrêt et à nous bien convaincre l'une et l'autre qu'il en resterait assurément une des deux.

– Allons, dit-il en s'asseyant et nous faisant tenir droites devant lui, travaillez chacune à votre tour au désenchantement de ce perclus, et malheur à celle qui lui rendra son énergie.

– C'est une injustice, dit Suzanne; celle qui vous irritera le mieux doit être celle qui doit obtenir sa grâce.

– Point du tout, dit Roland; dès qu'il sera prouvé que c'est elle qui m'enflamme le mieux, il devient constant que c'est elle dont la mort me donnera le plus de plaisir… et je ne vise qu'au plaisir. D'ailleurs, en accordant la grâce à celle qui va m'enflammer le plus tôt, vous y procéderiez l'une et l'autre avec une telle ardeur, que vous plongeriez peut-être mes sens dans l'extase avant que le sacrifice ne fût consommé, et c'est ce qu'il ne faut pas.

– C'est vouloir le mal pour le mal, monsieur, dis-je à Roland; le complément de votre extase doit être la seule chose que vous deviez désirer, et si vous y arrivez sans crime, pourquoi voulez-vous en commettre?

– Parce que je n'y parviendrai délicieusement qu'ainsi, et parce que je ne descends dans ce caveau que pour en commettre un. Je sais parfaitement bien que j'y réussirais sana cela, mais je veux ça pour y réussir.

Et, pendant ce dialogue, m'ayant choisie pour commencer, je l'excite d'une main par-devant, de l'autre par-derrière, tandis qu'il touche à loisir toutes les parties de mon corps qui lui sont offertes au moyen de ma nudité.

– Il s'en faut encore de beaucoup, Thérèse, me dit-il en touchant mes fesses, que ces belles chairs-là soient dans l'état de callosité, de mortification où voilà celles de Suzanne; on brûlerait celles de cette chère fille, qu'elle ne le sentirait pas; mais toi, Thérèse, mais toi… ce sont encore des roses qu'entrelacent des lys: nous y viendrons, nous y viendrons.

Vous n'imaginez pas, madame, combien cette menace me tranquillisa: Roland ne se doutait pas sans doute, en la faisant, du calme qu'il répandait dans moi, mais n'était-il pas clair que puisqu'il projetait de me soumettre à de nouvelles cruautés, il n'avait pas envie de m'immoler encore? Je vous l'ai dit, madame, tout frappe dans le malheur, et dès lors je me rassurai. Autre surcroît de bonheur! Je n'opérais rien, et cette masse énorme, mollement repliée sous elle-même, résistait à toutes mes secousses; Suzanne, dans la même attitude, était palpée dans les mêmes endroits; mais comme les chairs étaient bien autrement endurcies, Roland ménageait beaucoup moins; Suzanne était pourtant plus jeune.

Назад Дальше