Lélia - Жорж Санд 8 стр.


 Ils se reposent davoir vécu, dit Trenmor; heureux ceux qui dorment dans la paix du Seigneur!

 Il faut que lesprit de lhomme soit bien pauvre, reprit Lélia, et ses plaisirs bien vides; il faut que les jouissances simples et faciles sépuisent bien vite pour lui, puisquau fond de sa joie et de ses pompes il retrouve toujours une impression si horrible de tristesse et de terreur. Voici un homme riche et joyeux, un heureux de la terre qui, pour sétourdir et oublier que ses jours sont comptés, nimagine rien de mieux que dexhumer les dépouilles du passé, de couvrir ses hôtes des livrées de la mort, et de faire danser dans son palais les spectres de ses aïeux!

 Ton âme est triste, Lélia, dit Trenmor; on dirait que seule ici tu crains de ne pas mourir à ton tour!»

XV

Ce jeune homme mérite plus de compassion, Lélia. Je croyais que vous naviez que les grâces et les adorables qualités de la femme. En auriez-vous aussi la féroce ingratitude et limpudente vanité? Non, jaimerais mieux douter de lexistence de Dieu que de la bonté de votre cœur. Lélia, dites-moi donc ce que vous voulez faire de cette âme de poëte qui sest donnée à vous et que vous avez accueillie, imprudemment peut-être! Vous ne pouvez plus maintenant la repousser sans quelle se brise; et prenez garde, Lélia, Dieu vous en demandera compte un jour; car cette âme vient de lui et doit y retourner. Sans doute le jeune Sténio doit être un des enfants de sa prédilection. Na-t-il pas mis en lui un reflet de la beauté des anges? Quoi de plus pur et de plus suave que cet enfant? Je nai point vu de physionomie dun calme plus angélique, ni de bleu dans le plus beau ciel qui fût plus limpide et plus céleste que le bleu de ses yeux. Je nai pas entendu de voix plus harmonieuse et plus douce que la sienne; les paroles quil dit sont comme les notes faibles et veloutées que le vent confie aux cordes de la harpe. Et puis, sa démarche lente, ses attitudes nonchalantes et tristes, ses mains blanches et fines, son corps frêle et souple, ses cheveux dun ton si doux et dune mollesse si soyeuse, son teint changeant comme le ciel dautomne, ce carmin éclatant quun regard de vous répand sur ses joues, cette pâleur bleuâtre quun mot de vous imprime à ses lèvres, tout cela, cest un poëte, cest un jeune homme vierge, cest une âme que Dieu envoie souffrir ici-bas pour léprouver avant den faire un ange. Et si vous livrez cette jeune âme au souffle des passions corrosives, si vous léteignez sous les glaces du désespoir, si vous labandonnez au fond de labîme, comment retrouvera-t-elle le chemin des cieux? O femme! prenez garde à ce que vous allez faire! Nécrasez pas ce frêle enfant sous le poids de votre affreuse raison! Ménagez-lui le vent et le soleil, et le jour, et le froid, et la foudre, et tout ce qui nous flétrit, nous renverse, nous dessèche et nous tue. Aidez-le à marcher, couvrez-le dun pan de votre manteau, soyez son guide sur le bord des écueils. Ne pouvez-vous être son amie, ou sa sœur, ou sa mère?

Je sais tout ce que vous mavez dit déjà, je vous comprends, je vous félicite; mais puisque vous êtes heureuse ainsi (autant quil vous est donné de lêtre!), ce nest plus de vous que je moccupe: cest de lui, qui souffre et que je plains. Voyons! femme! vous qui savez tant de choses ignorées de lhomme, navez-vous pas un remède à ses maux? Ne pouvez-vous donner aux autres un peu de la science que Dieu vous a donnée? Est-il en vous de faire le mal et de ne pouvoir faire le bien?

Eh bien, Lélia, sil en est ainsi, il faut éloigner Sténio ou le fuir.

XVI

Éloigner Sténio ou le fuir! Oh! pas encore! Vous êtes si froid, votre cœur est si vieux, ami, que vous parlez de fuir Sténio comme sil sagissait de quitter cette ville pour une autre, ces hommes daujourdhui pour les hommes de demain, comme sil sagissait pour vous, Trenmor, de me quitter, moi Lélia?

Je le sais, vous avez touché le but, vous avez échappé au naufrage, vous voilà au port. Nulle affection en vous ne sélève jusquà la passion, rien ne vous est nécessaire, personne ne peut faire ou défaire votre bonheur, vous en êtes vous-même lartisan et le gardien. Moi aussi, Trenmor, je vous félicite, mais je ne puis vous imiter. Jadmire louvrage régulier et solide que vous avez fait, mais cest une forteresse que cet ouvrage de votre vertu; et moi femme, moi artiste, il me faut un palais: je ny serai point heureuse, mais du moins je ny mourrai pas; dans vos murs de glace et de pierre, il ne me resterait pas un jour à vivre. Non, pas encore, non! Dieu ne le veut pas! est-ce quon peut devancer laccomplissement de ses desseins? Sil mest donné datteindre où vous êtes, du moins jy veux arriver mûre pour la sagesse et assez sûre de moi pour ne pas regarder en arrière avec douleur.

Je vous entends dici: Faible et misérable femme, dites-vous, tu crains dobtenir ce que tu demandes souvent; je tai vue aspirer au triomphe que tu repousses!.. Eh bien! va, je suis faible, je suis lâche; mais je ne suis ni ingrate ni vaine, je nai point ces vices de la femme. Non, mon ami, je ne veux point briser le cœur de lhomme, éteindre lâme du poëte. Rassure-toi, jaime Sténio.

XVII

Vous aimez Sténio! Cela nest pas et ne peut pas être. Songez-vous aux siècles qui vous séparent de lui? Vous, fleur flétrie, battue des vents, brisée; vous, esquif ballotté sur toutes les mers du doute, échoué sur toutes les grèves du désespoir, vous oseriez tenter un nouveau voyage? Ah! vous ny songez pas, Lélia! Aux êtres comme nous, que faut-il à présent? Le repos de la tombe. Vous avez vécu! laissez vivre les autres à leur tour; ne vous jetez pas, ombre triste et fugitive, dans les voies de ceux qui nont pas fini leur tâche et perdu leur espoir. Lélia, Lélia, le cercueil te réclame; nas-tu pas assez souffert, pauvre philosophe? Couche-toi donc dans ton linceul, dors donc enfin dans ton silence, âme fatiguée que Dieu ne condamne plus au travail et à la douleur!

Il est bien vrai que vous êtes moins avancée que moi. Il vous reste quelques réminiscences des temps passés. Vous luttez encore parfois contre lennemi de lhomme, contre lespoir des choses dici-bas. Mais croyez-moi, ma sœur, quelques pas seulement vous séparent du but. Il est facile de vieillir, nul ne rajeunit.

Encore une fois, laissez lenfant croître et vivre, nétouffez pas la fleur dans son germe. Ne jetez pas votre haleine glacée sur ses belles journées de soleil et de printemps. Nespérez pas donner la vie, Lélia: la vie nest plus en vous, il ne vous en reste que le regret; bientôt, comme à moi, il ne vous en restera plus que le souvenir.

XVIII

Tu me las promis, tu maimeras doucement et nous serons heureux. Ne cherche point à devancer le temps, Sténio, ne tinquiète pas de sonder les mystères de la vie. Laisse-la te prendre et te porter là où nous allons tous. Tu me crains? Cest toi-même quil faut craindre, cest toi quil faut réprimer; car, à ton âge, limagination gâte les fruits les plus savoureux, appauvrit toutes les jouissances; à ton âge, on ne sait profiter de rien; on veut tout connaître, tout posséder, tout épuiser; et puis on sétonne que les biens de lhomme soient si peu de chose, quand il faudrait sétonner seulement du cœur de lhomme et de ses besoins. Va, crois-moi, marche doucement, savoure une à une toutes les ineffables jouissances dun mot, dun regard, dune pensée, tous les riens immenses dun amour naissant. Nétions-nous pas heureux hier sous ces arbres, quand, assis lun près de lautre, nous sentions nos vêtements se toucher et nos regards se deviner dans lombre? Il faisait une nuit bien noire, et pourtant je vous voyais, Sténio; je vous voyais beau comme vous êtes, et je mimaginais que vous étiez le sylphe de ces bois, lâme de cette brise, lange de cette heure mystérieuse et tendre. Avez-vous remarqué, Sténio, quil y a des heures où nous sommes forcés daimer, des heures où la poésie nous inonde, où notre cœur bat plus vite, où notre âme sélance hors de nous et brise tous les liens de la volonté pour aller chercher une autre âme où se répandre? Combien de fois, à lentrée de la nuit, au lever de la lune ou aux premières clartés du jour, combien de fois dans le silence de minuit et dans cet autre silence de midi si accablant, si inquiet, si dévorant, nai-je pas senti mon cœur se précipiter vers un but inconnu, vers un bonheur sans forme et sans nom, qui est au ciel, qui est dans lair, qui est partout comme un aimant invisible, comme lamour! Et pourtant, Sténio, ce nest pas lamour; vous le croyez, vous qui ne savez rien et qui espérez tout; moi qui sais tout, je sais quil y a au delà de lamour des désirs, des besoins, des espérances qui ne séteignent point; sans cela que serait lhomme? Il lui a été accordé si peu de jours pour aimer sur la terre!

Mais à ces heures-là, ce que nous sentons est si vif, si puissant, que nous le répandons sur tout ce qui nous environne; à ces heures où Dieu nous possède et nous remplit, nous faisons rejaillir sur toutes ses œuvres léclat du rayon qui nous enveloppe.

Navez-vous jamais pleuré damour pour ces blanches étoiles qui sèment les voiles bleus de la nuit? Ne vous êtes-vous jamais agenouillé devant elles, ne leur avez-vous pas tendu les bras en les appelant vos sœurs? Et puis, comme lhomme aime à concentrer ses affections, trop faible quil est pour les vastes sentiments, ne vous est-il point arrivé de vous passionner pour une delles? Navez-vous pas choisi avec amour, entre toutes, tantôt celle qui se levait rouge et scintillante sur les noires forêts de lhorizon, tantôt celle qui, pâle et douce, se voilait comme une vierge pudique derrière les humides reflets de la lune; tantôt ces trois sœurs également blanches, également belles, qui brillent dans un triangle mystérieux; tantôt ces deux compagnes radieuses qui dorment côte à côte, dans le ciel pur, parmi des myriades de moindres gloires; et tous ces signes cabalistiques, tous ces chiffres inconnus, tous ces caractères étranges, gigantesques, sublimes, quelles tracent sur nos têtes, ne vous êtes-vous pas laissé prendre à la fantaisie de les expliquer et dy découvrir les grands mystères de notre destinée, lâge du monde, le nom du Très-Haut, lavenir de lâme? Oui, vous avez interrogé ces astres avec dardentes sympathies, et vous avez cru rencontrer des regards damour dans le tremblant éclat de leurs rayons; vous avez cru sentir une voix qui tombait de là-haut pour vous caresser, pour vous dire: Espère, tu es venu de nous, tu reviendras vers nous! Cest moi qui suis ta patrie, cest moi qui tappelle, cest moi qui te convie, cest moi qui dois tappartenir un jour!

Lamour, Sténio, nest pas ce que vous croyez; ce nest pas cette violente aspiration de toutes les facultés vers un être créé, cest laspiration sainte de la partie la plus éthérée de notre âme vers linconnu. Êtres bornés, nous cherchons sans cesse à donner le change à ces insatiables désirs qui nous consument; nous leur cherchons un but autour de nous, et, pauvres prodigues que nous sommes, nous parons nos périssables idoles de toutes les beautés immatérielles aperçues dans nos rêves. Les émotions des sens ne nous suffisent pas. La nature na rien dassez recherché dans le trésor de ses joies naïves pour apaiser la soif de bonheur qui est en nous; il nous faut le ciel, et nous ne lavons pas!

Cest pourquoi nous cherchons le ciel dans une créature semblable à nous, et nous dépensons pour elle toute cette haute énergie qui nous avait été donnée pour un plus noble usage. Nous refusons à Dieu le sentiment de ladoration, sentiment qui fut mis en nous pour retourner à Dieu seul. Nous le reportons sur un être incomplet et faible qui devient le dieu de notre culte idolâtre. Dans la jeunesse du monde, alors que lhomme navait pas faussé sa nature et méconnu son propre cœur, lamour dun sexe pour lautre, tel que nous le concevons aujourdhui, nexistait pas. Le plaisir seul était un lien; la passion morale, avec ses obstacles, ses souffrances, son intensité, est un mal que ces générations ont ignoré. Cest qualors il y avait des dieux, et quaujourdhui il ny en a plus.

Aujourdhui, pour les âmes poétiques, le sentiment de ladoration entre jusque dans lamour physique. Étrange erreur dune génération avide et impuissante! Aussi quand tombe le voile divin, et que la créature se montre, chétive et imparfaite, derrière ces nuages dencens, derrière cette auréole damour, nous sommes effrayés de notre illusion, nous en rougissons, nous renversons lidole et nous la foulons aux pieds.

Et puis nous en cherchons une autre! car il nous faut aimer, et nous nous trompons encore souvent, jusquau jour où, désabusés, éclairés, purifiés, nous abandonnons lespoir dune affection durable sur la terre, et nous élevons vers Dieu lhommage enthousiaste et pur que nous naurions jamais dû adresser quà lui.

XIX

Ne mécrivez pas, Lélia; pourquoi mécrivez-vous? Jétais heureux, et voilà que vous me rejetez dans les anxiétés dont jétais sorti un instant! cette heure de silence auprès de vous mavait révélé tant dineffables voluptés! Déjà, Lélia, vous vous repentez de me les avoir fait connaître. Et que craignez-vous donc de mon avide impatience? Vous me méconnaissez à dessein. Vous savez bien que je serai heureux de peu, parce que rien de ce que vous ferez pour moi ne me paraîtra petit, parce que jattacherai à vos moindres faveurs le prix quelles doivent avoir. Je ne suis pas présomptueux; je sais combien je suis au-dessous de vous. Cruelle femme! pourquoi me rappeler sans cesse à cette humilité tremblante qui me fait tant souffrir?

Je comprends, Lélia! hélas! je comprends. Cest Dieu seul que vous pouvez aimer! Cest seulement au ciel que votre âme peut se reposer et vivre! Quand vous avez, dans lémotion dune heure de rêverie, laissé tomber sur moi un regard damour, cest que vous vous trompiez, cest que vous pensiez à Dieu, et que vous preniez un homme pour un ange. Quand la lune sest levée, quand elle a éclairé mes traits et dissipé cette ombre favorable à vos chimères, vous avez souri de pitié en reconnaissant le front de Sténio, le front de Sténio où vous aviez imprimé un baiser pourtant!

Vous voulez que je loublie, je le vois bien! Vous avez peur que jen garde lenivrante sensation et que jen vive tout un jour! Rassurez-vous, je nai pas goûté ce bonheur en aveugle; sil a dévoré mon sang, sil a brisé ma poitrine, il na pas égaré ma raison. La raison ne ségare jamais auprès de vous, Lélia! Soyez tranquille, vous dis-je, je ne suis pas un de ces audacieux pour qui un baiser de femme est un gage damour. Je ne me crois pas le pouvoir danimer le marbre et de ressusciter les morts.

Et pourtant votre haleine a embrasé mon cerveau. A peine vos lèvres ont effleuré lextrémité de mes cheveux, et jai cru sentir une étincelle électrique, une commotion si terrible, quun cri de douleur sest échappé de ma poitrine. Oh! vous nêtes pas une femme, Lélia, je le vois bien! Javais rêvé le ciel dans un de vos baisers, et vous mavez fait connaître lenfer.

Pourtant votre sourire était si doux, vos paroles si suaves, que je me laissai ensuite consoler par vous. Cette terrible émotion sémoussa un peu, je vins à bout de toucher votre main sans frissonner. Vous me montriez le ciel, et jy montais avec vos ailes.

Jétais heureux cette nuit en me rappelant votre dernier regard, vos derniers mots; je ne me flattais pas, Lélia, je vous le jure, je savais bien que je nétais pas aimé de vous, mais je mendormais dans ce mol engourdissement où vous maviez jeté. Voici déjà que vous me réveillez pour me crier de votre voix lugubre: Souviens-toi, Sténio, que je ne puis pas taimer! Eh! je le sais, Madame, je le sais trop bien!

XX

Lélia, adieu, je vais me tuer. Vous mavez fait heureux aujourdhui, demain vous marracheriez bien vite le bonheur que par mégarde ou par caprice vous mavez donné ce soir. Il ne faut pas que je vive jusquà demain, il faut que je mendorme dans ma joie et que je ne méveille pas.

Le poison est préparé; maintenant je puis vous parler librement, vous ne me verrez plus, vous ne pourrez plus me désespérer. Peut-être regretterez-vous la victime que vous pouviez faire souffrir, le jouet que vous vous amusiez à tourmenter sous votre souffle capricieux. Vous maimiez plus que Trenmor, disiez-vous, quoique vous mestimassiez moins. Il est vrai que vous ne pouvez pas torturer Trenmor à votre gré; contre lui votre puissance échoue, vos ongles nont pas de prise sur ce cœur de diamant. Moi, jétais une cire molle qui recevait toutes les empreintes; je conçois, artiste, que vous vous plaisiez mieux avec moi. Vous me tourmentiez à votre guise et vous me donniez toutes les formes de vos inspirations. Triste, vous imprimiez à votre œuvre le sentiment dont vous étiez dominée; calme, vous lui donniez lair calme des anges; irritée, vous lui communiquiez laffreux sourire que le démon a mis sur vos lèvres. Ainsi le statuaire fait un dieu avec un peu de fange, et un reptile avec la même fange qui fut un dieu.

Назад Дальше