Rôtissez cela, et que la couleur en soit dorée!
UN PARANYMPHEDikæopolis! Dikæopolis!
DIKÆOPOLISQuel est cet homme?
LE PARANYMPHEUn jeune marié t'envoie ces viandes de son repas de noces.
DIKÆOPOLISIl fait bien, quel qu'il soit.
LE PARANYMPHEIl te prie, en échange de ces viandes, pour ne pas aller à la guerre et pour rester à caresser sa femme, de lui verser dans cette fiole un verre de poix.
DIKÆOPOLISRemporte, remporte les viandes et ne me les donne pas, je ne verserais pas de la poix pour mille drakhmes. Mais quelle est cette femme?
LE PARANYMPHEC'est la meneuse de la noce: elle demande à te parler de la part de la mariée, à toi seul.
DIKÆOPOLISVoyons, que dis-tu? Par les dieux! elle est plaisante la demande de la mariée! Elle désire que la partie essentielle du marié reste à la maison. Allons! qu'on apporte la trêve; je lui en donnerai à elle seule; elle est femme; elle ne doit pas souffrir de la guerre. Femme, approche; tends-moi la fiole. Sais-tu la manière de s'en servir? Dis à la mariée, quand on fera une levée de soldats, d'en frotter la nuit la partie essentielle de son mari. Qu'on remporte la trêve. Vite, la cruche au vin, pour que j'en verse dans les coupes!
LE CHŒURMais voici un homme aux sourcils froncés: il se presse comme pour annoncer un malheur.
UN PREMIER MESSAGERO fatigues, lames en bataille, Lamakhos!
LAMAKHOSQuel bruit résonne autour de mes demeures étincelantes d'airain?
LE MESSAGERLes stratèges t'ordonnent de prendre sur-le-champ tes cohortes et tes aigrettes, et d'aller garder la frontière, malgré la neige. Car on leur annonce qu'au moment de la fête des Coupes et des Marmites, des bandits bœotiens vont faire une invasion.
LAMAKHOSO stratèges, plus nombreux qu'utiles! n'est-il pas dur pour moi de ne pouvoir être de la fête?
DIKÆOPOLISO armée polémolamaïque!
LAMAKHOSMalheur à moi! Tu ris de mon infortune!
DIKÆOPOLISVeux-tu combattre contre un Géryôn à quatre ailes?
LAMAKHOSHélas! hélas! quelle nouvelle m'apporte ce second messager?
UN SECOND MESSAGERDikæopolis!
DIKÆOPOLISQu'est-ce?
LE SECOND MESSAGERViens vite au banquet, et apporte ta corbeille et ta coupe. Le prêtre de Dionysos t'y invite. Mais hâte-toi, tu retardes le repas. Tout est prêt: lits, tables, coussins, tapis, couronnes, parfums, friandises, courtisanes, galettes, gâteaux, pains de sésame, tartes, belles danseuses, l'air bien-aimé de Harmodios. Ainsi, accours au plus vite.
LAMAKHOSInfortuné que je suis!
DIKÆOPOLISC'est que tu as pris pour emblème cette grande Gorgôn. Fermez la porte, et qu'on apprête le repas.
LAMAKHOSEsclave, esclave, apporte-moi ici mon sac.
DIKÆOPOLISEsclave, esclave, apporte-moi ici ma corbeille.
LAMAKHOSDu sel mêlé de thym et des oignons.
DIKÆOPOLISEt à moi du poisson; les oignons me répugnent.
LAMAKHOSApporte-moi ici, esclave, une feuille de figuier, pleine de hachis rance.
DIKÆOPOLISEt à moi une feuille de figuier bien graissée, je la ferai cuire ici.
LAMAKHOSMets là les plumes de mon casque.
DIKÆOPOLISMets là ces ramiers et ces grives.
LAMAKHOSBelle et blanche est cette plume d'autruche.
DIKÆOPOLISBelle et dorée est cette chair de ramier.
LAMAKHOSHé! l'homme! cesse de rire de mes armes.
DIKÆOPOLISHé! l'homme! veux-tu bien ne pas guigner mes grives!
LAMAKHOSApporte l'étui de mes trois aigrettes.
DIKÆOPOLISEt à moi le civet de lièvre.
LAMAKHOSMais les mites n'ont-elles pas mangé les aigrettes?
DIKÆOPOLISMais ne vais-je pas manger du civet avant le dîner?
LAMAKHOSHé! l'homme! veux-tu bien ne pas me parler?
DIKÆOPOLISJe ne te parle pas; moi et mon esclave, nous sommes en discussion. Veux-tu gager et nous en rapporter à Lamakhos? Les sauterelles sont-elles plus délicates que les grives?
LAMAKHOSJe crois que tu fais l'insolent.
DIKÆOPOLISIl donne la préférence aux sauterelles.
LAMAKHOSEsclave, esclave, décroche ma lance, et apporte-la-moi ici.
DIKÆOPOLISEsclave, esclave, retire cette andouille du feu et apporte-la-moi ici.
LAMAKHOSVoyons, je vais retirer ma lance du fourreau. Tiens ferme, esclave.
DIKÆOPOLISEt toi aussi, esclave, ne lâche pas.
LAMAKHOSApproche, esclave, les supports de mon bouclier.
DIKÆOPOLISApporte les pains, supports de mon estomac.
LAMAKHOSApporte ici l'orbe de mon bouclier à la Gorgôn.
DIKÆOPOLISApporte ici l'orbe de ma tarte au fromage.
LAMAKHOSN'y a-t-il pas là pour les hommes de quoi rire largement?
DIKÆOPOLISN'y a-t-il pas là pour les hommes de quoi savourer délicieusement?
LAMAKHOSVerse de l'huile, esclave, sur le bouclier. J'y vois un vieillard qui va être accusé de lâcheté.
DIKÆOPOLISVerse du miel, esclave, sur la tarte. J'y vois un vieillard qui fait pleurer de rage Lamakhos le Gorgonien.
LAMAKHOSApporte ici, esclave, ma cuirasse de combat.
DIKÆOPOLISApporte ici, esclave, ma cuirasse de table, ma coupe.
LAMAKHOSAvec cela, je tiendrai tête aux ennemis.
DIKÆOPOLISAvec cela, je tiendrai tête aux buveurs.
LAMAKHOSEsclave, maintiens les couvertures du bouclier.
DIKÆOPOLISEsclave, maintiens les plats de la corbeille.
LAMAKHOSMoi, je vais prendre et porter moi-même mon sac de campagne.
DIKÆOPOLISMoi, je vais prendre mon manteau pour sortir.
LAMAKHOSPrends ce bouclier, esclave, emporte-le, et en route! Il neige. Babæax! C'est une campagne d'hiver.
DIKÆOPOLISPrends le dîner: c'est une campagne de buveurs.
LE CHŒURMettez-vous de bon cœur en campagne. Mais quelles routes différentes ils suivent tous les deux! L'un boira, couronné de fleurs, et toi, transi de froid, tu monteras la garde. Celui-là va coucher avec une jolie fille et se faire frictionner je ne sais quoi.
PREMIER DEMI-CHŒURPuisse Antimakhos, fils de Psakas, historien et poète, être tout simplement confondu par Zeus, lui qui, khorège aux Lénæa, m'a renvoyé tristement sans souper! Puissé-je le voir guetter une sépia qui, cuite, croustillante, salée, est servie sur table; et qu'au moment de la prendre, elle lui soit enlevée par un chien, qui s'enfuit!
SECOND DEMI-CHŒURQue ce soit là pour lui un premier malheur; puis, qu'il lui arrive une autre aventure nocturne! Que revenant fiévreux chez lui des manœuvres de cavalerie, il rencontre Orestès ivre, qui lui casse la tête, pris d'un accès de fureur, et que, voulant ramasser une pierre, durant la nuit, il saisisse à pleine main un étron encore tout chaud; qu'il lance ce genre de pierre, manque son coup, et frappe Kratinos!
Serviteurs de la maison de Lamakhos, vite de l'eau! Faites chauffer de l'eau dans une petite marmite, préparez des linges, du cérat, de la laine grasse et des tampons de charpie pour la cheville. Notre maître s'est blessé à un pieu, en sautant un fossé; il s'est déboîté et luxé la cheville, s'est brisé la tête contre une pierre et a fait jaillir la Gorgôn hors du bouclier. La grande plume du hâbleur gisant au milieu des pierres, il a fait retentir ce chant terrible: «O astre radieux, je te vois aujourd'hui pour la dernière fois; la lumière m'abandonne; c'est fait de moi! » A ces mots, il tombe dans un bourbier, se relève, rencontre des fuyards, poursuit les brigands et les presse de sa lance. Mais le voici lui-même. Ouvre la porte.
LAMAKHOSOh! là, là! Oh! là, là! Horribles souffrances, je suis glacé. Malheureux, je suis perdu; une lance ennemie m'a frappé! Mais ce qu'il y aurait pour moi de plus cruel, c'est que Dikæopolis me vît blessé, et me rît au nez de mes infortunes.
DIKÆOPOLIS, entrant avec deux courtisanesOh! là, là! Oh! là, là! quelles gorges! C'est ferme comme des coings! Baisez-moi tendrement, mes trésors; vos bras autour de mon cou; vos lèvres sur les miennes! Car j'ai le premier vidé ma coupe.
LAMAKHOSCruel concours de malheurs! Hélas! hélas! quelles blessures cuisantes!
DIKÆOPOLISHé! hé! salut, cavalier Lamakhos!
LAMAKHOSMalheureux que je suis!
DIKÆOPOLISInfortuné que je suis!
LAMAKHOSPourquoi m'embrasses-tu?
DIKÆOPOLISPourquoi me mords-tu?
LAMAKHOSQuel malheur pour moi d'avoir payé ce rude écot!
DIKÆOPOLISEst-ce qu'il y avait un écot à payer à la fête des Coupes?
LAMAKHOSAh! ah! Pæan! Pæan!
DIKÆOPOLISMais il n'y a pas aujourd'hui de Pæania.
LAMAKHOSSoulevez, soulevez ma jambe. Oh! oh! tenez-la, mes amis.
DIKÆOPOLISEt vous deux, prenez-moi juste la moitié du corps, mes amies.
LAMAKHOSJ'ai le vertige de ce coup de pierre à la tête. Je suis pris d'étourdissements.
DIKÆOPOLISEt moi je veux aller me coucher; je suis pris de redressements et d'éblouissements.
LAMAKHOSPortez-moi au logis de Pittalos, entre ses mains médicales.
DIKÆOPOLISPortez-moi auprès des juges. Où est le roi du festin? Donnez-moi l'outre!
LAMAKHOSUne lance m'a percé les os. Quelle douleur!
DIKÆOPOLIS, montrant l'outreVoyez, elle est vide! Tènella! Tènella! Chantons victoire!
LE CHŒURTènella! comme tu dis, bon vieillard, victoire!
DIKÆOPOLISJ'ai rempli ma coupe d'un vin pur et je l'ai bue d'un trait.
LE CHŒURTènella! donc, brave homme! Emporte l'outre!
DIKÆOPOLISSuivez, maintenant, en chantant: «Tènella! Victoire!»
LE CHŒUROui, nous te ferons un cortège de fête, chantant: «Tènella! Victoire! » pour toi et pour l'outre!
FIN DES AKHARNIENSLES CHEVALIERS
(L'AN 425 AVANT J.-C.)
Les Chevaliers sont dirigés contre le démagogue Cléon qui s'était mis à la tête des affaires après la mort de Périclès, et qui, à la suite de son succès de Sphactérie, était devenu l'idole du peuple, personnifié dans la pièce par le bonhomme Dèmos. Le vieillard, circonvenu à la fois par Cléon, transformé en corroyeur, et par le marchand d'andouilles Agoracritos, finit par voir clair dans leur jeu. Cléon est chassé. Agoracritos, faisant amende honorable, sert consciencieusement son maître qui recouvre la jeunesse et la raison.
PERSONNAGES DU DRAME
Dèmosthénès.
Nikias.
Un marchand d'andouilles nommé Agorakritos.
Kléôn.
Chœur de chevaliers.
Dèmos.
La scène se passe devant la maison de Dèmos.
LES CHEVALIERS
DÈMOSTHÉNÈSIattatæax! Que de malheurs! Iattatæ! Que ce Paphlagonien, cette nouvelle peste, avec ses projets, soit confondu par les dieux! Depuis qu'il s'est glissé dans la maison, il ne cesse de rouer de coups les serviteurs.
NIKIASMalheur, en effet, à ce prince de Paphlagoniens, avec ses calomnies!
DÈMOSTHÉNÈSPauvre malheureux, comment vas-tu?
NIKIASMal, comme toi.
DÈMOSTHÉNÈSViens, approche, gémissons de concert sur le mode d'Olympos.
DÈMOSTHÉNÈS et NIKIASMu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu, Mu.
DÈMOSTHÉNÈSPourquoi ces plaintes inutiles? Ne vaudrait-il pas mieux chercher quelque moyen de salut pour nous et ne pas pleurer davantage?
NIKIASMais quel moyen? Dis-le-moi.
DÈMOSTHÉNÈSDis-le plutôt, afin qu'il n'y ait pas de dispute.
NIKIASNon, par Apollôn! pas moi. Allons, parle hardiment, puis je te dirai mon avis.
DÈMOSTHÉNÈSQue ne me dis-tu plutôt ce qu'il faut que je dise?
NIKIASCe courage barbare me manque. Comment m'exprimerais-je en grand style, en style euripidien?
DÈMOSTHÉNÈSNon, non, pas à moi, pas à moi: ne me sers pas un bouquet de cerfeuil, mais trouve un chant de départ de chez notre maître.
NIKIASEh bien, dis: «Échappons!» comme cela, tout d'un trait.
DÈMOSTHÉNÈSJe le dis: «Échappons!»
NIKIASAjoute ensuite le mot: «Nous», au mot: «Échappons».
DÈMOSTHÉNÈS«Nous!»
NIKIASA merveille! A présent, comme procédant par légères secousses de la main, dis d'abord: «Échappons,» ensuite: «Nous,» puis: «A la hâte!»
DÈMOSTHÉNÈS«Échappons, échappons-nous, échappons-nous à la hâte!»
NIKIASHein! N'est-ce pas délicieux?
DÈMOSTHÉNÈSOui, par Zeus! Si ce n'est que j'ai peur que ce ne soit pour ma peau un mauvais présage.
NIKIASPourquoi cela?
DÈMOSTHÉNÈSParce que les plus légères secousses de la main emportent la peau.
NIKIASCe qu'il y aurait de souverain dans les circonstances présentes, ce serait d'aller tous les deux nous prosterner devant les statues de quelque dieu.
DÈMOSTHÉNÈSQuelles statues? Est-ce que tu crois vraiment qu'il y a des dieux?
NIKIASJe le crois.
DÈMOSTHÉNÈSD'après quel témoignage?
NIKIASParce que je suis en haine aux dieux. N'est-ce pas juste?
DÈMOSTHÉNÈSTu me ranges de ton avis. Mais considérons autre chose. Veux-tu que j'expose l'affaire aux spectateurs?
NIKIASCe ne serait pas mal. Seulement, prions-les de nous faire voir clairement, par leur air, s'ils se plaisent à nos paroles et à nos actions.
DÈMOSTHÉNÈSJe commence donc. Nous avons un maître, d'humeur brutale, mangeur de fèves, atrabilaire, Dèmos le Pnykien, vieillard morose, un peu sourd. Au commencement de la noumènia, il a acheté un esclave, un corroyeur paphlagonien, coquin fieffé et grand calomniateur. Ce corroyeur paphlagonien, connaissant à fond le caractère du vieux, fait le chien couchant, flatte son maître, le caresse, le choie, le dupe avec des rognures de cuir et des mots comme ceux-ci: «Dèmos, il suffit d'avoir jugé une affaire: va au bain, mange, avale, dévore, reçois trois oboles: veux-tu que je te serve un souper?» Alors le Paphlagonien fait main-basse sur ce que l'un de nous a préparé et l'offre gracieusement à son maître. L'autre jour, je venais de pétrir à Pylos une galette lakonienne; par ses roueries et par ses détours il me la subtilise, et il sert comme de lui le mets de ma façon. Il nous éloigne et ne permet pas à un autre de soigner le maître; mais, armé d'une courroie, debout près de la table, il en écarte les orateurs. Il lui chante des oracles, et le bonhomme sibyllise. Puis, quand il le voit à l'état de brute, il met en œuvre son astuce; il lance effrontément mensonges et calomnies contre les gens de la maison; alors nous sommes fouettés, nous; et le Paphlagonien, courant après les esclaves, demande, menace, escroque en disant: «Voyez Hylas, comme je le fais fouetter; si vous ne m'obéissez pas, vous êtes morts aujourd'hui.» Nous donnons. Autrement, le vieux nous piétinerait et nous ferait chier huit fois davantage. Hâtons-nous donc, mon bon, de voir maintenant quelle voie à suivre et vers qui.