Perdus Pour Toujours - Nuno Morais 2 стр.


« Bra, lilla gumman ; et maintenant tu es prête pour te lever ? » Elle hoche la tête, sans remarquer le changement de langue et continue à parler en portugais. « Tu sais, aujourdhui nous allons nous promener avec lécole. »

« Cest vrai ? Cela va être génial, nest-ce pas ? » À nouveau elle hoche la tête pour dire oui. « Est-ce que tu sais où vous allez aller ? »

« Oui nous allons au jadin zoolozique voir les animaux. Il y a des lions, des tiges, des sepents et des éléphants pause Il y a aussi des cocodiles. Je crois que ça va être super bien. Tu veux venir avec nous ? » Me dit-elle dune petite voix si mignonne que je commence à me dire que ce nest pas une si mauvaise idée de ne pas aller au bureau pour aller passer la journée au zoo. Mais aujourdhui je dois absolument y aller. Je dois répondre à trois fax que jai reçu vendredi quand je me préparais à partir, jai deux réunions de prévues depuis quinze jours et Gomez ma laissé un mot qui disait quil voulait me parler dune urgence même si pour lui il ny a que des urgences, surtout quand il sagit des choses qui le concernent. Sûrement encore une petite faveur à me demander.

En bref, il ny a rien à faire, je ne peux pas. À contrecœur je dis à Becca que je ne peux pas laccompagner mais lui promets que quand je viendrai la chercher cet après-midi, nous irons à Baixa voir les illuminations de Noël, ce qui lui redonne un peu le moral. Le hochement de tête quelle me fait montre moins de déception par rapport à lexpression de ses yeux quand je lui ai expliqué que je ne pouvais pas venir avec elle. Mais un instant plus tard, elle avait déjà tout oublié et sautait du lit pour aller dans la salle de bains.

Sa dernière grande victoire est dêtre capable de sasseoir toute seule sur les toilettes, sans prendre appui sur la marche en plastique que jai acheté pour laider à monter et descendre. Je la laisse toute seule jusquà ce que jentende crier : « Klat ! » cest notre code pour jaille laider à enlever son haut de pyjama ceux qui senfilent par la tête ou qui ont des boutons car elle ne comprend pas encore comme cela fonctionne mais du reste, elle ne me laisse plus faire grand-chose.

Elle est de plus en plus indépendante, ce qui est normal et naturel pour les enfants de cet âge, mais pour elle, cela semble être un point dhonneur car elle na déjà plus de maman. La psychothérapeute trouve que lindépendance quelle démontre est positive, elle affirme que cest une manière pour elle de dépasser ce qui sest passé, et que cela aurait été plutôt préoccupant si elle cherchait à saccrocher à moi.

Étant donné quelle a besoin dénormément de soutien pendant la nuit puisquelle narrive pas à se débarrasser de ses cauchemars, il est possible que le « je suis capable » quelle démontre à un tel niveau soit une réaction de dépendance quelle ressent par rapport ladulte qui soccupe delle, cest-à-dire moi. Cest une petite fille avec beaucoup dénergie ma Becca.

Nous allons dans sa chambre et commence alors une tâche souvent compliquée pour elle : choisir ses vêtements pour la journée. À chaque fois, je lui enfile ses sous-vêtements, massois sur le fauteuil en mousse à sa hauteur, et lui montre ce quil y a dans les tiroirs et dans larmoire, jexpose les pièces sur le lit comme sil sagissait de la vitrine dune boutique de mode. Cest un procédé qui peut se révéler très long et qui serait bien plus acceptable pour quelquun qui souffre de daltonisme aigu. En effet, les combinaisons de couleurs qui sont faites, et que je narrive pas toujours à éviter, sont parfois assez bizarres.

Je lui propose mon avis concernant les mélanges de couleurs, les tissus et la météo. Je souligne aussi le lien entre le deuxième et le troisième point, ce qui, il y a encore quelques mois, paraissait irréalisable, mais ce nest encore aujourdhui toujours pas gagné.

Je nai lhabitude de me fâcher que lorsquelle souhaite mettre deux pantalons ou deux robes les uns sur les autres. Elle avance alors largument que si elle peut mettre deux ou parfois trois pulls/petites laines quelle naime pas, pourquoi ne peut-elle pas porter deux pantalons quelle aime ? Il ny a rien que je puisse répondre à cela, de sorte que je me limite à dire non et laisse passer la crise qui, en général, suit. Heureusement, cela narrive pas très souvent. Aujourdhui elle ne sait pas quoi choisir entre une salopette de couleur marron et une autre en jean bleu, à assortir avec un col roulé en coton dans les tons dorange et jaune ou un autre tee-shirt rouge avec un col blanc. Les chaussettes seront jaunes à pois verts. Finalement elle se décide pour la salopette marronne et le col roulé.

Pendant que je lhabille, elle me raconte ce quelle va faire au jardin zoologique, elle me parle des enfants avec qui elle va samuser et quelle apprécie et ceux quelle naime pas avoir à ses côtés.

« Tu sais Kalle, Joge est très embêtant, il passe sa vie à me tirer les cheveux et à courir derrière moi. Et même quand je lui dis daêter il ne me lâche pas !! » Je me dis, allons bon, mais décide dabord de la faire parler voir jusquoù elle va aller :

« Ah oui ? Mais quel méchant garçon. En as-tu déjà parlé à Carmen ? Ou bien, pourquoi ne lui fais-tu pas la même chose ? » elle me regarde surprise, dun air qui veut dire « tu es bête dis donc ».

« Mais tu sais, il ne me pousse pas très fort, et puis si je le dis à Carmen, elle va le punir et après il sera triste et ne pourra plus jouer avec moi. Il ne me pousse pas vraiment, cest un jeu, mais après tous les autres enfants viennent et disent des choses et me regardent et je naime pas ça ! » Tout cela dit en un souffle et de plus en plus fort.

Un cas désespéré sans doute, et je ne pense pas quil y ait grand-chose à faire pour résoudre ce problème sans laide dune autorité supérieure, car le garçon ne prête pas attention à ses demandes. Cest pour cela que je lui ai dit den parler à Carmen ou à Ana quand il recommencera. Ensuite quand il aura été puni, elle ira le voir pour lui expliquer quelle naime pas quil lui fasse cela. Elle nest pas très convaincue et moi non plus, mais dans ma tête je me dis que cest réglé.

Nous allons ensuite dans la cuisine prendre le petit-déjeuner. Pour Becca ce sera jus dorange, flocon davoine instantanés avec du lait et confiture de groseille, quant à moi je mange deux tranches de pain grillé avec du jambon et une banane. Je bois une tasse de café au lait pendant quelle déguste un Danino en me racontant les cadeaux quelle souhaite commander au Père Noël. Au début je trouvais que cétait un peu tôt pour penser à cela. Mais je me suis finalement rappelé des lumières de la ville et me suis aperçu quil restait moins dun mois. Alors cest normal quelle commence à penser à sa liste de cadeaux. Liste quelle finit dailleurs toujours par modifier cent fois, jusquau jour-j. Heureusement il y a toujours la possibilité de lui dire que tel ou tel cadeau a peut-être été laissé par erreur dans la maison des uns ou des autres, et cela me laisse le temps daller échanger et acheter ce quelle veut sans quelle sen rende compte. Parfois, je pense que je la gâte et que jessaye trop de la protéger, non pas quelle soit exigeante ou quelle fasse beaucoup de caprices quand elle na pas ce quelle veut, mais même comme ça jai peur de faire quelque chose de mal. Je suis encore novice en tant que père, en plus de cela, célibataire et sans avoir suivi la grossesse afin de pouvoir my préparer.

Non, Becca naurait dû être pour moi quune responsabilité doncle et ce même en sachant que le sale type qui a contribué à la moitié de ses chromosomes na pas perdu de temps pour partir quand il a su que Mia était enceinte. Il na plus jamais donné de nouvelles.

Non, il ne nous manque pas du tout. Un comportement comme celui-ci face à une grossesse non désirée naurait pu être que pire si, par hasard, il était revenu.

Ma sœur cadette ne sest pas laissée affecter, même si au début elle a accusé le coup. Rien ne lui laissait imaginer une telle réaction, elle la laissé partir et na rien fait pour interrompre sa grossesse. Je ne pense pas quelle lait fait par principe ou pour ses idées philosophiques ou politiques. Je pense quelle était seulement heureuse dêtre enceinte et face à ses menaces, quil a exécuté, de la quitter si elle navortait pas, elle a senti que ce quelle voulait réellement était de garder son bébé alors que ses amies lui disaient que le mieux pour elle serait davorter. Lexpression brésilienne « dou um boi para não entrar nessa briga, e uma boiada para não sair dela », cest-à-dire « autant faire les choses jusquau bout » était la devise de ma sœur, et avec larrivée de Becca rien na changé. De notre côté, nous avons fait de notre mieux pour laider avant et après la naissance du bébé ; le seul qui nétait pas satisfait de la situation était mon père qui voulait faire un procès au type et à toute sa famille quel quen soit la cause. Mais il a fini par être daccord avec nous sur le fait quil était mieux de faire les choses comme Mia le souhaitait.

Becca est ainsi née, dans la paix et le calme à lhôpital dUppsala, prématurée dun mois selon la tradition familiale de la grand-mère maternelle, le 4 mars il y a presque quatre ans.

Malheureusement, même si jessaye de tout faire pour compenser, et cest là la raison de ce long monologue, je suis le seul soutien proche qui lui reste, un oncle complétement inexpérimenté dans son nouveau rôle de père. Enfin, ce n'est pas si mal que ça, depuis le temps, ça ne doit pas être pire quun homme qui vient dêtre père pour la première fois et je vais toujours apprendre de mes erreurs. Jaimerais beaucoup avoir Lotta, ma sœur la plus jeune, avec moi. Mais elle étudie actuellement en Espagne et vit chez mes grands-parents à Madrid car elle na pas trouvé dappartement.

Je suis sorti dans mes pensées par cette petite personne à mes côtés qui me dit quelle a tout mangé et que nous devrions partir car cest lheure. En vérité, nous sommes en avance par rapport à notre horaire habituel, mais ça nest pas grave, nous allons nous mettre en chemin. Je mets la vaisselle dans la machine, je range le lait, le jus, le beurre et la confiture au frigo ainsi que les flocons davoine dans le placard et nous nous dirigeons dans le hall dentrée.

Je mets un imperméable à Becca, je la chausse avec des bottes en caoutchouc, lui glisse ses chaussures dans un sac en plastique et lui donne un mini-parapluie du Marsupilami. Je mets mon manteau, jy glisse mon parapluie, mon portefeuille et mon téléphone portable. Je cherche autour de moi la petite chaise pliante, quand tout à coup je me souviens que je lai laissé à lécole, jouvre la porte, appelle lascenseur, ferme la porte de deux coups de clé et nous descendons au rez-de-chaussée.

Le jour ne semble pas vouloir apparaître, le ciel affiche des tons bleu clair et la faible luminosité néclipse pas encore les lampadaires de la rue qui sont toutefois en train de séteindre. La seule chose positive est quil a arrêté de pleuvoir et cest déjà bon signe car sil y a bien une chose que je déteste cest davoir les pieds mouillés. Jespère que cela va au moins durer jusquà ce quon arrive à la station de métro. Mais comme je ne fais pas confiance au temps, je décide de prendre la vieille coccinelle jaune qui appartenait à Mia et daller en voiture jusquau métro.

Je finis tout juste de masseoir et de boucler ma ceinture, après avoir installé Becca dans son siège auto, quil recommence à pleuvoir des cordes. Si je pouvais avoir ce genre dintuition avec les numéros, je pourrais passer ma vie au casino à la table du blackjack ou bien à acheter des billets de loterie. Ce serait mon loisir et je travaillerais uniquement car je le souhaite.

La voiture finit enfin par démarrer après plusieurs tentatives, jétais déjà en train de me maudire en pensant que jallais finalement devoir me mouiller pour aller jusquau métro. Sensuit alors un déluge jusquau Colombo et au parking à côté de la station de métro, où je réussis à trouver une place couverte près de lentrée de la station. Jéteins le moteur, défais la ceinture de Becca qui à son tour éteint la radio, elle cache la vieille façade sous le siège et commence à descendre de son siège auto pour ouvrir sa portière. Je sors de la voiture avec tout le bazar sous le bras et mets mon manteau, plus pour une question de commodité que par crainte de me mouiller car la pluie sest arrêtée aussi soudainement quelle a commencé. Je me mets immédiatement à avoir chaud. Franchement je ne comprends pas les gens qui arrivent à porter des manteaux de fourrure ou des doudounes durant ces étés rafraîchis que les lisboètes appellent Hiver, durant lesquelles les températures descendent rarement en-dessous des dix degrés et si elles y descendent ce ne sera que le matin car à midi elles atteignent pour sûr les quinze ou les vingt degrés. Finalement, « chacun ses goûts » comme dirait ma grand-mère et elle doit savoir de quoi elle parle puisquelle est née ici.

Je glisse mon portefeuille, le sac des chaussures et le parapluie sous le bras, je donne la main à Becca et nous descendons les marches du métro. Nous parcourrons le couloir jusquau hall avec les machines, où elle insiste pour mettre la monnaie et nous nous dirigeons vers le quai. Il y a déjà pas mal de monde, même si ce nest pas encore rempli comme dhabitude après neuf heures. Parfois, je me demande à quelle heure les gens commencent vraiment à travailler, car le trafic est affreux entre neuf et onze heures, le métro y est plein. Moi je préfère commencer tôt pour finir tôt et non pas le contraire et ce même si je navais pas Becca à ma charge.

Le métro arrive après un peu plus de cinq minutes dattente, nous y entrons sans grandes difficultés ni bousculades typiques dun voyage en métro à Lisbonne. Becca est assise sur un siège gentiment laissé par une dame. Je la remercie mais lui dis que ce nest pas nécessaire, quelle préfère rester debout en saccrochant à moi. Mais la dame insiste et pour ne pas la vexer, je dis à la petite de sasseoir, ce quelle fait immédiatement, comme pour me dire que ce nétait pas la peine de faire tant de manière et quelle aurait pu en profiter plus tôt.

La dame caresse les cheveux de Becca qui secoue la tête et se replie sur son siège. Elle lui dit : « Que tu as de jolis cheveux. Comment tappelles-tu ? » Mais la petite se replie encore plus, elle nest pas habituée à recevoir des attentions de personnes quelle ne connait pas, et encore plus à des endroits où elle sent que tout le monde la regarde, je viens alors à son secours :

« Tu peux dire ton nom à la dame. Tu tappelles Becca, nest-ce pas ? » Elle acquiesce.

« Becca ? Que cest original. Cest vraiment ton nom ? »

Becca me lance alors un de ses regards noirs, mais la dame na pas remarqué, elle sétait déjà retournée vers moi pour me demander une explication. Je lui dis que non, cest seulement un diminutif, que son vrai nom est Rebecca, mais que pratiquement personne ne lappelle ainsi et quelle ne répond pas lorsquon lappelle comme cela. Néanmoins, la dame continue en disant que cest un nom bizarre et me demande pourquoi nous lappelons ainsi, alors que Rebecca est un prénom si joli et quelle est si mignonne, affirme-t-elle tournée vers moi. Heureusement, car Becca est en train de lui tirer la langue. Je lui fais signe de la rentrer dans sa bouche et elle obéit, en prenant une expression angélique qui laisserait penser quelle est incapable de telles choses.

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