Cet obscur objet du désir / Этот смутный объект желания. Книга для чтения на французском языке - Пьер Луис 7 стр.


 Eh bien, ai-je tenu ma promesse? dit-elle, en serrant sa chemise à la taille, comme pour mouler son corps souple. Fermez les jalousies, il fait une lumière odieuse dans cette chambre.

Jobéis, et pendant ce temps elle se coucha silencieusement dans le lit profond. Je la voyais à travers la moustiquaire, blanche comme une apparition de théâtre derrière un rideau de gaze

Que vous dirai-je, monsieur? Vous avez deviné que cette fois encore je fus ridicule et joué. Je vous ai dit que cette fille était la pire des femmes et que ses inventions cruelles dépassaient toutes les bornes; mais jusquici vous ne la connaissez pas encore. Cest maintenant seulement quen suivant mon récit vous allez, de scène en scène, savoir qui est Concha Perez.


Ainsi, elle était venue chez moi, pour sabandonner, disait-elle. Ses paroles damour et ses engagements, vous les avez entendus. Jusquau dernier moment, elle se tint en amoureuse vierge qui va connaître la joie, presque en jeune mariée qui se livre à un époux; jeune mariée sans ignorance, je le veux bien, mais pourtant émue et grave.

Eh bien, en shabillant chez elle, cette petite misérable sétait accoutrée dun caleçon, taillé dans une sorte de toile si raide et si forte, quune corne de taureau ne laurait pas fendue, et qui se serrait à la ceinture ainsi quau milieu des cuisses par des lacets dune résistance et dune complication inattaquables. Et voilà ce que je découvris au milieu de mon ardeur la plus éperdue, tandis que la scélérate mexpliquait sans se troubler:

 Je serai folle jusquoù Dieu voudra, mais pas jusquoù le voudront les hommes!


Je doutai un instant si je létranglerais, puisvraiment, je vous lavoue, je nen ai pas de hontemon visage en larmes tomba dans mes mains.

Ce que je pleurais, monsieur, cétait ma jeunesse à moi, dont cette enfant venait de me prouver lirréparable effondrement. Entre vingt-deux et trente-cinq ans, il est des avanies que tous les hommes évitent. Je ne pouvais pas croire que Concha meût ainsi traité si javais eu dix ans de moins. Ce caleçon, cette barrière entre lamour et moi, il me semblait que dorénavant je le verrais à toutes les femmes, ou que du moins elles voudraient lavoir avant dapprocher de mon étreinte.

 Pars, lui dis-je. Jai compris.

Mais elle salarma tout à coup, et menveloppant à son tour de ses deux petits bras vigoureux que je repoussais avec peine, elle me dit en cherchant ma bouche:

 Mon cœur, tu ne saurais donc aimer tout ce que je te donne de moi-même? Tu as mes seins, tu as mes lèvres, mes jambes brûlantes, mes cheveux odorants, tout mon corps dans tes embrassements et ma langue dans mon baiser. Ce nest donc pas assez, tout cela? Alors ce nest pas moi que tu aimes, mais seulement ce que je te refuse? Toutes les femmes peuvent te le donner, pourquoi me le demandes-tu, à moi qui résiste? Est-ce parce que tu me sais vierge? Il y en a dautres, même à Séville. Je te le jure, Mateo, jen connais. ¡Alma mia! sangre mio! aime-moi comme je veux être aimée, peu à peu, et prends patience. Tu sais que je suis à toi, et que je me garde pour toi seul. Que veux-tu de plus, mon cœur?

Il fut convenu que nous nous verrions chez elle ou chez moi, et que tout serait fait selon sa volonté. En échange dune promesse de ma part, elle consentit à ne plus remettre son affreuse cuirasse de toile; mais ce fut tout ce que jobtins delle; et encore la première nuit où elle ne la porta point, il me sembla que ma torture en était encore avivée.

Voici donc le degré de servitude où cette enfant mavait amené. (Je passe sur les perpétuelles demandes dargent qui interrompaient sa conversation et auxquelles je cédais toujours;même en laissant cela de côté, la nature de nos relations est dun intérêt particulier.) Je tenais donc chaque nuit dans mes bras le corps nu dune fille de quinze ans, sans doute élevée chez les Sœurs, mais dune condition et dune qualité dâme qui excluaient toute idée de vertu corporelleet cette fille, dailleurs aussi ardente et aussi passionnée quon pouvait le souhaiter, se comportait à mon égard comme si la nature elle-même lavait empêchée à jamais dassouvir ses convoitises.

Dexcuse valable à une pareille comédie, aucune nétait donnée, aucune nexistait. Vous en devinerez vous-même la raison par la suite. Et moi, je supportais quon me bernât ainsi.

Car ne vous y trompez pas, jeune Français, lecteur de romans et acteur peut-être dintrigues particulières avec les demi-virginités de villes deaux, nos Andalouses nont ni le goût, ni lintuition de lamour artificiel. Ce sont dadmirables amantes, mais qui ont des sens trop aigus pour supporter sans frénésie les trilles dune chanterelle superflue. Entre Concha et moi, il ne se passait rien, mais rien, comprenez ce que veut dire rien. Et cela dura deux semaines entières.

Le quinzième jour, comme elle avait reçu de moi la veille une somme de mille douros pour payer les dettes de sa mère, je trouvai la maison vide.

IX. Où Concha Perez subit sa troisième métamorphose

Cétait trop. Désormais, je voyais clair dans cette petite âme de rouée. Javais été mystifié comme un collégien et jen restais confus encore plus quaffligé.

Rayant de ma vie passée la perfide enfant, je fis effort pour loublier du jour au lendemain, par un coup de volonté, une de ces intentions paradoxales dont les femmes escomptent toujours le fatal avortement.

Je partis pour Madrid décidé à prendre pour maîtresse, au hasard, la première jeune femme qui attirerait mes yeux.

Cest le stratagème classique, celui que tout le monde invente et qui ne réussit jamais.

Je cherchai de salon en salon, puis de théâtre en théâtre, et je finis par rencontrer une danseuse italienne, grande fille aux jambes musclées qui aurait été une fort jolie bête dans les boxes dun harem, mais qui ne suffisait sans doute point aux qualités quon attend dune amie unique et intime.

Elle fit de son mieux: elle était affectueuse et facile. Elle mapprit des vices de Naples dont je navais nulle habitude et qui lui plaisaient plus quà moi. Je vis quelle singéniait à me garder auprès delle, et que le souci de son existence matérielle nétait pas le seul motif de ce zèle tendre et ardent.

Hélas! que nai-je pu laimer! Je navais aucun reproche à lui faire. Elle nétait ni infidèle ni importune. Elle ne paraissait pas connaître mes défauts. Elle ne me brouillait pas avec mes amis. Enfin, ses jalousies, toutes fréquentes quelles fussent, se laissaient deviner et ne sexprimaient point. Cétait une femme inappréciable.

Mais je néprouvais rien pour elle.


Pendant deux mois je mastreignis à vivre sous le même toit que Giulia, dans son air, dans sa chambre de la maison que javais louée pour nous deux au bout de la rue Lope de Vega. Elle entrait, passait, marchait devant moi, je ne la suivais pas des yeux. Ses jupons, ses maillots de danseuse, ses pantalons et ses chemises traînaient sur tous les divans: je nétais même pas atteint par leur influence. Pendant soixante nuits, je vis son corps brun allongé près du mien dans une couche trop chaude, où jimaginais une autre présence dès que la lumière séteignait Puis je me sauvai, désespérant de moi-même.


Je revins à Séville. Ma maison me parut mortuaire. Je partis pour Grenade, où je mennuyai; pour Cordoue, torride et déserte; pour léclatante Jérez toute pleine de lodeur de ses celliers à vin; pour Cadiz, oasis de maisons dans la mer.

Je revins à Séville. Ma maison me parut mortuaire. Je partis pour Grenade, où je mennuyai; pour Cordoue, torride et déserte; pour léclatante Jérez toute pleine de lodeur de ses celliers à vin; pour Cadiz, oasis de maisons dans la mer.

Le long de ce trajet, monsieur, jétais guidé de ville en ville, non pas par la fantaisie, mais par une fascination irrésistible et lointaine dont je ne doute pas plus que de lexistence de Dieu. Quatre fois, dans la vaste Espagne, jai rencontré Concha Perez. Ce nest pas une suite de hasards: je ne crois pas à ces coups de dés qui régiraient les destinées. Il fallait que cette femme me reprît sous sa main, et que je visse passer sur ma vie tout ce que vous allez entendre.

Et en effet tout saccomplit.

* * *

Ce fut à Cadiz.

Jentrai un soir dans le Baile de là-bas. Elle y était. Elle dansait, monsieur, devant trente pêcheurs, autant de matelots, et quelques étrangers stupides.

Dès que je la vis, je me mis à trembler. Je devais être pâle comme la terre; je navais plus ni souffle, ni force. Le premier banc, près de la porte, fut celui où je massis, et, les coudes sur la table, je la contemplais de loin comme une ressuscitée.

Elle dansait toujours, haletante, échauffée, la face pourpre et les seins fous, en secouant à chaque main des castagnettes assourdissantes. Je suis certain quelle mavait vu, mais elle ne me regardait pas. Elle achevait son boléro dans un mouvement de passion furieuse, et les provocations de sa jambe et de son torse visaient quelquun au hasard dans la foule des spectateurs.

Brusquement, elle sarrêta, au milieu dune grande clameur.

«¡Qué guapa! criaient les hommes. ¡Olé! Chiquilla! Olé! Olé! Otravez!


Et les chapeaux volaient sur la scène; toute la salle était debout. Elle saluait, encore essoufflée, avec un petit sourire de triomphe et de mépris.

Selon lusage, elle descendit au milieu des buveurs pour sattabler en quelque endroit, pendant quune autre danseuse lui succédait devant la rampe. Et, sachant quil y avait là, dans un coin de la salle, un être qui ladorait, qui se serait mis sous ses pieds devant la terre entière et qui souffrait à crier, elle alla de table en table et de bras en bras, sous ses yeux.

Tous la connaissaient par son nom. Jentendais des «Conchita!» qui faisaient passer des frissons depuis mes orteils jusquà ma nuque. On lui donnait à boire; on touchait ses bras nus; elle mit dans ses cheveux une fleur rouge quun marin allemand lui donna; elle tira la tresse de cheveux dun banderillero qui fit des pitreries; elle feignit la volupté devant un jeune fat assis avec des femmes, et caressa la joue dun homme que jaurais tué.

Des gestes quelle fit pendant cette manœuvre atroce qui dura cinquante minutes, pas un seul nest sorti de ma mémoire.

Ce sont des souvenirs comme ceux-là qui peuplent le passé dune existence humaine.

Elle visita ma table après toutes les autres parce que jétais au fond de la salle, mais elle y vint. Confuse? ou jouant la surprise? oh! nullement! vous ne la connaissez pas. Elle sassit en face de moi, frappa dans ses mains pour attirer le garçon et cria:

 Tonio! une tasse de café!

Puis, avec une tranquillité exquise, elle supporta mon regard.


Je lui dis, dune voix très basse:

 Tu nas donc peur de rien, Concha? Tu nas pas peur de mourir?

 Non! et dabord ce nest pas vous qui me tuerez.

 Tu men défies?

 Ici même, et où vous voudrez. Je vous connais, don Mateo, comme si je vous avais porté neuf mois. Vous ne toucherez jamais à un cheveu de ma tête, et vous avez raison, car je ne vous aime plus.

 Tu oses dire que tu mas aimé?

 Croyez ce quil vous plaira. Vous êtes seul coupable.

Cétait elle qui me faisait des reproches. Jaurais dû mattendre à cette comédie.


 Deux fois, repris-je, deux fois tu mas fait cela! Ce que je te donnais du fond de mon cœur, tu las reçu comme une voleuse, et tu es partie, sans un mot, sans une lettre, sans même avoir chargé personne de me porter ton adieu. Quai-je fait pour que tu me traites ainsi?

Et je répétais entre mes dents:

 Misérable! misérable!

Mais elle avait son excuse:

 Ce que vous avez fait? Vous mavez trompée. Naviez-vous pas juré que jétais en sûreté dans vos bras et que vous me laisseriez choisir la nuit et lheure de mon péché? La dernière fois, ne vous souvenez-vous plus? Vous croyiez que je ne sentais rien. Jétais éveillée, Mateo, et jai compris que si je passais encore une nuit à vos côtés, je ne mendormirais pas sans me livrer à vous par surprise. Et cest pour cela que je me suis enfuie.

Cétait insensé. Je haussai les épaules.


 Ainsi, voilà ce que tu me reproches, lui dis-je, quand je vois ici la vie que tu mènes et les hommes qui passent dans ton lit?

Elle se leva, furieuse.

 Cela nest pas vrai! Je vous défends de dire cela, don Mateo! Je vous jure sur la tombe de mon père que je suis vierge comme une enfant,et aussi que je vous déteste, parce que vous en avez douté!

Je restai seul. Après quelques instants, je partis, moi aussi.

X. Où Mateo se trouve assister à un spectacle inattendu

Toute la nuit jerrai sur les remparts. Lintarissable vent de la mer douchait ma fièvre et ma lâcheté. Oui, je métais senti lâche devant cette femme. Je navais que des rougissements en songeant à elle et à moi; je me disais en moi-même les pires outrages quon puisse adresser à un homme. Et je devinais que le lendemain je naurais pas cessé de les mériter.

Après ce qui sétait passé, je navais que trois partis à prendre: la quitter, la forcer, ou la tuer.

Je pris le quatrième, qui était de la subir.

Chaque soir, je revenais à ma place, comme un enfant soumis, la regarder et lattendre.

Elle sétait peu à peu adoucie. Je veux dire quelle ne men voulait plus de tout le mal quelle mavait fait. Derrière la scène, souvrait une grande salle blanche où attendaient, en somnolant, les mères et les sœurs des danseuses; Concha me permettait de me tenir là par une faveur particulière que chacune de ces jeunes filles pouvait accorder à son amant de cœur. Jolie société, vous le voyez.

Les heures que jai passées là comptent parmi les plus lamentables. Vous me connaissez: vraiment je navais jamais mené cette vie de bas cabaret et de coudes sur la table. Je me faisais horreur.

La señora Perez était là, comme les autres. Elle semblait ne rien connaître de ce qui avait eu lieu calle Trajano. Mentait-elle aussi? je ne men inquiétais même pas. Jécoutais ses confidences, je payais son eau-de-vie Ne parlons plus de cela, voulez-vous?

Mes seuls instants de joie métaient donnés par les quatre danses de Concha. Alors, je me tenais dans la porte ouverte par où elle entrait en scène, et pendant les rares mouvements où elle tournait le dos au public, javais lillusion passagère quelle dansait de face pour moi seul.

Son triomphe était le flamenco. Quelle danse, monsieur! quelle tragédie! Cest toute la passion en trois actes: désir, séduction, jouissance. Jamais œuvre dramatique nexprima lamour féminin avec lintensité, la grâce et la furie des trois scènes lune après lautre. Concha y était incomparable. Comprenez-vous bien le drame qui sy joue? À qui ne la pas vu mille fois jaurais encore à lexpliquer. On dit quil faut huit ans pour former une flamenca, ce qui veut dire quavec la précoce maturité de nos femmes, à lâge où elles savent danser elles ne sont déjà plus belles. Mais Concha était née flamenca; elle navait pas lexpérience, elle avait la divination. Vous savez comment on le danse à Séville. Nos meilleures bailerinas, vous les connaissez; aucune nest parfaite, car cette danse épuisante (douze minutes! trouvez donc une danseuse dopéra qui accepte une variation de douze minutes!) voit se succéder en elle trois rôles que rien ne relie: lamoureuse, lingénue et la tragédienne. Il faut avoir seize ans pour mimer la seconde partie, où maintenant Lola Sanchez réalise des merveilles de gestes sinueux et dattitudes légères. Il faut avoir trente ans pour jouer la fin du drame où la Rubia, malgré ses rides, est encore, chaque soir, excellente.

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