Acoger, abastecer y financiar la corte - AAVV 8 стр.


Dans ce contexte, il faut distinguer entre trois statuts politiques des résidents de la capitale:

les simples résidents;

les citoyens napolitains;

les citoyens napolitains membres des sièges.

Ces trois statuts correspondent à trois degrés de privilèges:

les simples résidents sont exclus de toute forme de privilèges urbains;

les citoyens napolitains sont exemptés de toute la fiscalité directe et dune partie de la fiscalité indirecte sur les denrées alimentaires. Ils ont cependant un représentant, lélu du Peuple, au Tribunale San Lorenzo, qui compte donc six membres.

Les citoyens membres des sieges, eux, cumulent cet avantage fiscal et la participation effective au gouvernement urbain. Ils sont susceptibles dêtre choisis dans le cadre de leur siège pour y exercer annuellement des fonctions locales et peuvent être désignés comme représentants de leur siège au Tribunale San Lorenzo.

Lappartenance aux sièges peut être acquise de naissance si lon appartient à une famille dont les hommes sont déjà membres. Sinon, la procédure dagrégation à un siège conjugue, selon les statuts qui peuvent varier entre les sièges, une démarche de cooptation prenant en compte le statut matrimonial (il faut épouser une femme originaire dune famille de membres du siège) et le critère résidentiel: il faut évidemment résider dans le territoire du seggio auquel on veut appartenir. Ce paysage administratif et social est complexifié par le fait que deux des cinq sieges sont réputés nobles, ceux de Nido et Capuano. Leurs territoires correspondent à une grande partie de la ville haute, qui est de fait un territoire aristocratique. Laccès à un logement ou à la propriété foncière à Naples détermine donc laccès à la représentation politique et à une forme de noblesse urbaine caractéristique de certaines villes italiennes (le cas de Venise est mieux connu, quoique différent). Lorganisation sociologique de Naples suit donc son profil topographique, avec les élites locales dans la ville haute et, au fur et à mesure quon descend vers le rivage, une proportion plus forte de peuplement de niveau socio-économique modeste, avec une large part détrangers simples résidents. De façon assez attendue, les hommes du roi peinent à accéder à la ville haute et particulièrement aux sièges nobles.

Les quelques officiers du Magnanime qui parviennent à acquérir des résidences dans la ville haute sont davantage des proches du roi que des individus qui se définiraient socialement par leur office dans lhôtel royal. Le majordome Alfonso dAvalos, dont la maison située près du siège noble de Capuano sert à installer la Vicaria, a déjà été évoqué. Alfonso est le frère cadet du grand sénéchal Iñigo dAvalos qui avait réussi à acquérir la maison près de Santa Maria Maggiore ayant servi à linstallation de la Sommaria. Les freres dAvalos sont les fils du connétable de Castille Ruy López dAvalos (ou Dávalos selon la graphie castillane), fidele soutien de la politique de puissance de Ferdinand de Trastamare et de ses fils25. Le connétable est exilé sans remède en 1423 pour avoir soutenu le coup de Tordesillas, et à partir de cette date, ses fils sont de toutes les entreprises dAlphonse le Magnanime. Les frères dAvalos, omniprésents dans les récits des ambassadeurs, représentent ce qui sapproche le plus damis denfance pour lui. Leur service et dévouement constants leur valent dailleurs dêtre les seuls officiers dorigine ibérique arrivés dans le royaume de Naples à recevoir des fiefs en Italie et des offices italiens de tres haut niveau (la fonction de grand connétable dIfíigo)26. Leur neveu, le grand sénéchal Iñigo de Guevara, semble également résider dans le ressort du siège Capuano: un ambassadeur qui assiste à la messe à San Giovanni a Carbonara, au Nord-Est de Naples, ly rencontre27.

Le siège aristocratique Nido accueille en 1450 lhumaniste sicilien Antonio Beccadelli, dit le Panormitain, secrétaire du Magnanime. Beccadelli souhaite clairement accéder au statut social de membre dun siège noble: il épouse en 1446 une femme issue dun lignage du seggio Capuano, avant dobtenir du roi la citoyenneté napolitaine en 1450 et dêtre accepté dans le seggio Nido28. Autre Sicilien, le vice-chancelier Battista Platamone installe sa famille dans une maison de la place qui donne son nom au siège Nido, tout comme le juriste aragonais Valenti Claver, membre éminent du conseil royal29. Le secrétaire valencien Joan Olzina possède, lui, plusieurs maisons et terrains près du siège Nido, quil a obtenus sur ordre du roi: en 1455 le Magnanime a ordonné aux dominicains de San Domenico Maggiore de vendre ces parcelles à son secrétaire30. Ces efforts pour simplanter dans la ville haute témoignent de limportance symbolique de laccession à la propriété dans cet espace aristocratique. Les interventions du roi en faveur de ses officiers traduisent aussi les résistances de la société locale à ces transactions et à ces implantations.

Dautres personnalités curiales, peut-être moins déterminées à simplanter durablement et à faire souche à Naples, sinstallent dans le ressort de sièges inférieurs en prestige. Antoni Olzina, neveu du secrétaire Joan Olzina et scrivà de ració de lhôtel du Magnanime, est installé au siège Portanuova, et le chancelier Arnau Roger de Pallars au siège du port, près de San Giovanni Maggiore31. Lhypothèse logique pour lécrasante majorité des officiers royaux issus de la couronne dAragon est quils se sont installés dans la ville basse, hors des circonscriptions des sièges (cf. Figure 3): dans ces zones plus populaires, ils ne sont pas en butte à la résistance des élites accédant à la représentation politique municipale. En effet, lespace enclos dans les murailles, mais hors de la juridiction des sièges, appartient au domaine royal. Il présente aussi lavantage de se trouver à proximité du port, du château, de la zone de larsenal et de la rua catalana, déjà évoquée, avec ses auberges et ses écuries. Dailleurs, le roi prend des initiatives pour urbaniser la zone du marché, puisquil y a les coudées franches. Le 16 octobre 1450, le châtelain de Castelnuovo, Arnau Sanz, reçoit un privilège lautorisant à construire des bâtiments dotés de portiques sur la place du marché pour y installer des boutiques et des logements32.

On constate surtout, grâce aux listes de locataires des institutions monastiques que de nombreux Catalans ont colonisé les quartiers extérieurs au territoire des sièges à partir des années 144033. Les sœurs dominicaines de San Sebastiano e Pietro, elles, ont dix-sept locataires «catalans» entre 1442 et 1469, dont la plupart louent une maison et une boutique ou bien encore des auberges34. Les artisans qui leur louent des boutiques sont des maîtres travaillant le bois ou le métal, tous susceptibles dêtre arrivés en Italie avec les armées du Magnanime. Les propriétés des sœurs sont toutes situées autour de la place de léglise San Pietro Martire, où le Magnanime décide dinstaller la nécropole des Trastamare à Naples. Dans les registres locatifs des ermites de saint Augustin (SantAgostino Maggiore) on trouve douze «Catalans» entre 1452 et 1469, sur les quatre-vingt-deux locataires. Les propriétés des ermites sont dispersées entre la place du marché et la rua catalana. On observe, significativement, que pendant le règne du Magnanime, la totalité des auberges que possède SantAgostino Maggiore sont confiées à des Catalans35. Ils jouent logiquement un rôle de brokers, de facilitateurs, dans les affaires que les nouveaux arrivants à Naples veulent faire avec la cour ou le milieu commercial. La part des officiers royaux, du milieu curial à proprement parler, parmi les Catalans de la ville basse, est impossible à déterminer, mais ils devaient représenter, avec les marchands étrangers, lélite de la société cosmopolite de la ville basse, entre la place du marché et ses chantiers de construction, et la rua catalana.

3. LA CONSTRUCTION DUNE NOUVELLE GEOGRAPHIE SYMBOLIQUE DU POUVOIR A NAPLES

Lappartenance à lhôtel royal est génératrice didentité et de sociabilités qui participent de la sociologie urbaine. Par exemple, certains fournisseurs ou artisans agrégés à lhôtel du roi reçoivent le privilège dutiliser des enseignes les signalant comme tels. Le peintre Jacomart, à son retour de Naples à Valence en 1451, obtient le privilège dutiliser à Valence une enseigne aux armes royales36. Sous le regne du fils du Magnanime, lachat dune enseigne de ce type est même pris en charge par le roi lui-même, pour son chausseur Pietro Catalano37. La manifestation des liens avec le roi et la cour construit un marquage visuel de lespace urbain, et a évidemment des retombées économiques significatives pour ces artisans. Autre élément de repérage visuel de lidentité curiale et de sa présence en ville, lusage de la livrée ou du moins des couleurs et de lemblématique du roi dans le vêtement des officiers de lhôtel. Aucun terme spécifique équivalant au français «livrée» napparaît dans la documentation, mais certaines commandes textiles dAlphonse le Magnanime sont sans ambigüité. En 1441, il demande à son tailleur Anne de Clèves des tenues identiques pour ses pages «et dautres de son hôtel38». Le libre de notaments du trésorier Matteu Pujades, pour la période daoût et septembre 1446, permet de suivre étape par étape, à travers les paiements, la réalisation de pourpoints et de tabards pour les pages du roi39. Le 21 août 1446, le trésorier achète pour 78 ducats de velours rouge à un marchand génois pour les tabards40; 25 ducats au brodeur Antonello dello Perrino le 27 août41; 15 ducats au brodeur Pere Daus le 31 août42; 20 ducats de drap blanc de Perpignan acheté à Coluccio dAfflito le 4 septembre, pour faire des crevés aux tabards des pages43; le même jour, les tissus sont cardés par Pere Frances44; puis de nouveaux paiements sont faits aux brodeurs les 9 et 13 septembre45.

La présence dans lespace urbain de signes marquant lappartenance des hommes au roi est seulement lun des facteurs de lélaboration dune géographie manifestant la présence du pouvoir royal en ville. Dans le cas de la Naples du Magnanime, le spectacle royal et les monuments monarchiques sont intrinsèquement liés à lhistoire de la présence de la communauté catalane à Naples. En effet, on a vu plus haut que la nécropole royale des Trastamare fondée par Alphonse le Magnanime dans la capitale italienne se trouve dans léglise dominicaine de San Pietro martire. Cette humble église est située dans la ville basse, et de nombreux locataires catalans évoqués précédemment sont installés à proximité immédiate. Son frère Pedro, tué en 1436 lors du siège de Naples, y est enseveli en grande pompe en 1445. Isabella di Chiaromonte, première épouse de son fils Ferrante, rejoint cette nécropole en 1465. Cest un lieu modeste, par rapport aux principaux lieux de culte de Naples précédemment liés à la monarchie angevine: léglise des franciscains de Santa Chiara, la cathédrale, léglise San Giovanni a Carbonara. Mais la petite église de San Pietro martire a retenu lattention du Magnanime pour plusieurs raisons: depuis le XIIIe siècle au moins (ses origines ne sont pas documentées), elle abrite une chapelle des Catalans46. Comme dans les autres grandes escales marchandes méditerranéennes, les nations commerçantes disposent de ce type de fondations, gérées par la communauté, qui permettent de répondre aux besoins spirituels des voyageurs et de socialiser à toutes fins utiles avec des compatriotes. Malgré sa localisation dans un espace à la dignité relativement faible dans la socio-topographie napolitaine du XVe siècle, San Pietro martire ancre la royauté Trastamare dans un espace proche du château et permet aussi laffirmation dun lien fort avec la communauté marchande catalane de la ville et avec la couronne dAragon.

Par ailleurs, il sagit dune église associée à une fondation dominicaine, convenant particulièrement à la stratégie religieuse du Magnanime en Italie, qui met en avant ses liens avec les frères prêcheurs pour mieux se démarquer de la dynastie angevine revendiquant des liens étroits avec les franciscains et qui a exploité politiquement la figure familiale de saint Louis de Toulouse. Depuis lélection de Ferdinand de Trastamare à la couronne dAragon, la dynastie est en quelque sorte débitrice de lordre des prêcheurs à travers lun de ses plus fameux représentants, le Valencien Vincent Ferrier. Sa renommée de prédicateur lui a conféré une autorité morale se manifestant entre autres par le fait quil a voté le premier parmi les neuf membres de la commission. En se prononçant pour le Trastamare, le dominicain a pesé fortement sur lélection, quil a dailleurs proclamée en personne. La canonisation de Vincent Ferrier, en 1455, est saluée à Naples par une procession et son culte est très clairement limité aux personnes originaires de la couronne dAragon car les chroniques napolitaines ignorent totalement lévénement célébré à la cour. Un retable représentant le saint est commandé à Colantonio; il ornait lautel dune chapelle qui lui était dédiée dans léglise San Pietro martire, précisément47. Dans la chapelle des Catalans se rejoignent la communication monarchique et lune des principales structures de la sociabilité catalane à Naples.

FIG. 4. SAN PIETRO MARTIRE, ICONOGRAPHIE ET LOCALISATION


La zone comprise entre Castelnuovo et la place du marché, avec San Pietro martire entre les deux, est lespace où la présence de la cour dun souverain dorigine étrangère à Naples doit, selon toute logique, être la plus sensible: on y voit les couleurs et emblématique royales sur les tenues, les enseignes et les armes, on y entend parler catalan et aragonais. On pourrait dailleurs proposer de considérer la ville basse comme la ville curiale, par opposition avec la ville haute, espace aristocratique autochtone, lui tournant le dos. Malgré cette discontinuité essentielle qui organise lexpérience urbaine à Naples sous le règne du Magnanime, certaines des pratiques de ce roi contribuent cependant à faire en sorte quil parcoure sa capitale de façon relativement équitable. Ses sujets pouvaient le voir régulièrement en ville, circulant dans les rues et assistant aux offices. En effet, on peut reconstituer, grâce à la documentation financiere, les lieux ou le roi entend la messe. Son chambellan Pedro de Cardona procède systématiquement, à ces occasions, à des aumônes au nom du roi, qui sont reportées dans la documentation financiere. Pedro de Cardona avance les sommes, puis est défrayé. Les comptes montrent (pour les brèves périodes couvertes par les registres de Guillem Pujades en 1442 et 1446) que le roi fait environ tous les deux ou trois jours une offrande à lune des églises de Naples ou il a assisté à loffice, souvent des monasteres48. Ainsi, entre le 28 juillet 1446 et le 4 septembre, Alphonse assiste à la messe à Castelnuovo, dans la chapelle Santa Barbara, à trois reprises, et quatorze fois dans des églises de la ville, daprès les remboursements effectués par le trésor au chambellan Pedro de Cardona49. Le roi visite, dans lordre: léglise Santa Marta, le monastère Santa Maria Egiziaca (deux fois de suite), le monastère San Domenico, le monastère Santo Gallucio, le monastère San Sebastiano, le monastère SantEugerio, le monastère San Lorenzo, le monastère Santa Chiara, le monastère Santa Maria del Carmine, léglise SantEligio, léglise Santa Maria donna Regina, léglise San Giorgio, léglise SantAgostino [alla Zecca]. Ces divers lieux de culte se répartissent dans toute la ville, sans exception. Le jour de la Saint-Dominique (le 5 août) il entend la messe à San Domenico Maggiore, de même le 10 août avec la Saint-Laurent, le 15 à Santa Maria del Carmine, le 25 à SantEligio et 28 à SantAgostino. Les dates associées aux paiements dans les registres sont celles de leur enregistrement, et non celles des déplacements effectifs du prince, mais la comparaison de ces données avec un sanctoral permet de mettre en évidence que le roi assiste à la messe dans les églises consacrées aux saints dont cest le jour de la fête. Ce choix lui permet dhonorer de sa présence et de ses offrandes la totalité des églises de la capitale, sans distinction ni préséance.

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