Notre coeur - Мопассан Ги Де 10 стр.


Je suis si contente de vous voir !

Tout de suite elle ajouta :

58


Combien restez-vous de temps ici ?

Il répondit :

Deux jours, si aujourdhui peut compter pour un jour.

Puis, se tournant vers la tante :

Est-ce que Mme Valsaci consentirait à me faire lhonneur de venir passer la journée de demain au Mont Saint-Michel avec son mari ?

Mme de Burne répondit pour sa parente :

Je ne lui permettrai pas de refuser, puisque nous avons la chance de vous rencontrer ici.

La femme de lingénieur ajouta :

Oui, Monsieur, jy consens bien volontiers, à la condition que vous dînerez chez moi ce soir.

Il salua en acceptant.

Soudain ce fut en lui une joie délirante, une de ces joies qui vous saisissent quand on reçoit la nouvelle de ce quon a le plus espéré. Quavait-il obtenu ? quétait-il arrivé de nouveau dans sa vie ? Rien ; et pourtant il se sentait soulevé par livresse dun indéfinissable pressentiment.

Ils se promenèrent longtemps sur cette terrasse, attendant que le soleil disparût, pour voir jusquà la fin se dessiner sur lhorizon de feu lombre noire et dentelée du Mont.

59


Ils causaient à présent de choses simples, répétant tout ce quon peut dire devant une étrangère et se regardant par moments.

Puis on rentra dans la villa, bâtie, à la sortie dAvranches, au milieu dun beau jardin dominant la baie.

Voulant être discret, un peu troublé dailleurs par lattitude froide et presque hostile de M. de Pradon, Mariolle sen alla de bonne heure. Quand il prit, pour les porter à sa bouche, les doigts de Mme de Burne, elle lui dit deux fois de suite, avec un accent bizarre : « À demain, à demain. »

Dès quil fut parti, M. et Mme Valsaci, qui avaient depuis longtemps des habitudes provinciales, proposèrent de se coucher.

Allez, dit Mme de Burne, moi je fais un tour dans le jardin.

Son père ajouta :

Et moi aussi.

Elle sortit, enveloppée dun châle, et ils se mirent à marcher côte à côte sur le sable blanc des allées que la pleine lune éclairait, comme de petites rivières sinueuses à travers les gazons et les massifs.

Après un silence assez long, M. de Pradon dit presque à voix basse :

Ma chère enfant, tu me rendras cette justice que je ne tai jamais donné de conseils ?

Elle le sentait venir, et, prête à cette attaque :

60


Je vous demande pardon, papa, vous men avez donné au moins un.

Moi ?

Oui, oui.

Un conseil relatif à ton existence ?

Oui, et même un très mauvais. Aussi je suis bien décidée, si vous men donnez dautres, à ne pas les suivre.

Quel conseil tai-je donné ?

Celui dépouser M. de Burne. Ce qui prouve que vous manquez de jugement, de clairvoyance, de la connaissance des hommes en général et de la connaissance de votre fille en particulier.

Il se tut quelques instants, un peu surpris et embarrassé, puis lentement :

Oui, je me suis trompé ce jour-là. Mais je suis sûr de ne pas me tromper dans lavis très paternel que je te dois aujourdhui.

Dites toujours. Jen prendrai ce quil faudra.

Tu es sur le point de te compromettre.

Elle se mit à rire, dun rire trop vif, et complétant sa pensée.

Avec M. Mariolle sans doute.

Avec M. Mariolle.

61


Vous oubliez, reprit-elle, que je me suis compromise déjà avec M. Georges de Maltry, avec M. Massival, avec M. Gaston de Lamarthe, avec dix autres, dont vous avez été jaloux, car je ne peux pas trouver un homme gentil et dévoué sans que toute ma troupe se mette en fureur, vous le premier, vous que la nature ma donné comme père noble et régisseur général.

Il répondit vivement :

Non, non, tu ne tes jamais compromise avec personne. Tu apportes, au contraire, dans tes relations avec tes amis beaucoup de tact.

Elle reprit crânement :

Mon cher papa, je ne suis plus une petite fille, et je vous promets que je ne me compromettrai pas davantage avec M. Mariolle quavec les autres ; ne craignez rien. Javoue cependant que cest moi qui lai prié de venir ici. Je le trouve charmant, aussi intelligent et bien moins égoïste que les anciens.

Cétait également votre avis jusquau jour où vous avez cru découvrir que je le préférais un peu. Oh ! vous nêtes pas si malin que ça ! Je vous connais aussi, et je vous en raconterais long, si je voulais. Donc, M. Mariolle me plaisant, je me suis dit quil serait fort agréable de faire par hasard avec lui une belle excursion, quil est stupide de se priver, quand on ne court aucun danger, de tout ce qui peut nous amuser. Et je ne cours aucun danger de me compromettre puisque vous êtes là.

Elle riait franchement, à présent, sachant bien que chaque parole portait, quelle le tenait entravé par ce soupçon jeté de jalousie un peu suspecte flairée en lui depuis longtemps, et elle samusait de cette découverte avec une coquetterie secrète, inavouable et hardie.

62


Il se taisait, gêné, mécontent, irrité, sentant aussi quelle devinait, au fond de sa paternelle sollicitude, une mystérieuse rancune dont il ne voulait pas lui-même connaître lorigine.

Elle ajouta :

Ne craignez rien. Il est tout naturel de faire en cette saison une promenade au Mont Saint-Michel avec mon oncle, ma tante, vous, mon père, et un ami. On ne le saura pas dailleurs. Et si on le sait personne ny peut trouver rien à redire. Quand nous serons de retour à Paris, je ferai rentrer cet ami dans les rangs avec les autres.

Soit, reprit-il ; mettons que je nai pas parlé.

Ils firent encore quelques pas. M. de Pradon demanda :

Revenons-nous à la maison ? Je suis fatigué, je vais me coucher.

Non, moi je me promène encore un peu. La nuit est si belle.

Il murmura, avec des intentions :

Ne téloigne pas. On ne sait jamais quelles gens on peut rencontrer.

Oh ! je reste sous les fenêtres.

Alors adieu, ma chère enfant.

Il la baisa rapidement sur le front, et rentra.

Ella alla sasseoir plus loin sur un petit banc rustique planté en terre au pied dun chêne. La nuit était chaude, pleine dexhalaisons des champs, deffluves de la mer et de clarté

63


brumeuse, car, sous la lune épanouie en plein ciel, la baie sétait voilée de vapeurs.

Elles rampaient comme de blanches fumées et cachaient la dune, que la marée montante devait à présent couvrir.

Michèle de Burne, les mains croisées sur ses genoux, les yeux au loin, cherchait à voir dans son âme, à travers un brouillard impénétrable et pâle comme celui des sables.

Combien de fois déjà, dans son cabinet de toilette à Paris, assise ainsi devant sa glace, elle sétait demandé : Quest-ce que jaime ? quest-ce que je désire ? quest-ce que jespère ? quest-ce que je veux ? quest-ce que je suis ?

À côté du plaisir dêtre elle et du besoin profond de plaire, dont elle jouissait vraiment beaucoup, elle ne sétait jamais senti au cœur autre chose que des curiosités vite éteintes. Elle ne signorait point dailleurs, ayant trop lhabitude de regarder et détudier son visage et toute sa personne pour ne pas observer aussi son âme. Jusqualors elle avait pris son parti de ce vague intérêt pour tout ce qui émeut les autres, impuissant à la passionner, capable au plus de la distraire.

Combien de fois déjà, dans son cabinet de toilette à Paris, assise ainsi devant sa glace, elle sétait demandé : Quest-ce que jaime ? quest-ce que je désire ? quest-ce que jespère ? quest-ce que je veux ? quest-ce que je suis ?

À côté du plaisir dêtre elle et du besoin profond de plaire, dont elle jouissait vraiment beaucoup, elle ne sétait jamais senti au cœur autre chose que des curiosités vite éteintes. Elle ne signorait point dailleurs, ayant trop lhabitude de regarder et détudier son visage et toute sa personne pour ne pas observer aussi son âme. Jusqualors elle avait pris son parti de ce vague intérêt pour tout ce qui émeut les autres, impuissant à la passionner, capable au plus de la distraire.

Et cependant, chaque fois quelle avait senti naître en elle le souci intime de quelquun, chaque fois quune rivale, lui disputant un homme auquel elle tenait et surexcitant ses instincts de femme, avait fait brûler en ses veines un peu de fièvre dattachement, elle avait trouvé à ces faux départs de lamour une émotion bien plus ardente que le seul plaisir du succès. Mais cela ne durait jamais. Pourquoi ? Elle se fatiguait, elle se dégoûtait, elle voyait trop clair peut-être. Tout ce qui lui avait plu dabord dans un homme, tout ce qui lavait animée, agitée, émue, séduite, lui paraissait bientôt connu, défloré, banal. Tous ils se ressemblaient trop sans être jamais pareils ; et aucun deux encore ne lui avait paru doué de la nature et des qualités quil

64


fallait pour la tenir longtemps en éveil et lancer son cœur dans un amour.

Pourquoi cela ? Était-ce leur faute à eux, ou bien sa faute à elle ? Manquaient-ils de ce quelle attendait, ou bien manquait-elle de ce qui fait quon aime ? Aime-t-on parce quon rencontre une fois un être quon croit vraiment créé pour soi, ou bien aime-t-on simplement parce quon est né avec la faculté daimer ? Il lui semblait par moments que le cœur de tout le monde doit avoir des bras comme le corps, des bras tendres et tendus qui attirent, étreignent et enlacent, et que le sien était manchot. Il avait seulement des yeux, son cœur.

On voyait souvent des hommes, des hommes supérieurs devenir éperdument amoureux de filles indignes deux, sans esprit, sans valeur, parfois même sans beauté ? Pourquoi ?

Comment ? Quel mystère ? Ce nétait donc pas seulement à une rencontre providentielle quétait due cette crise des êtres, mais à une sorte de germe quon porte en soi et qui se développe tout à coup. Elle avait écouté des confidences, elle avait surpris des secrets, elle avait même vu, de ses yeux, la transfiguration subite venue de cette ivresse éclatant dans une âme, et elle y avait songé beaucoup.

Dans le monde, dans le train-train courant des visites, des potins, de toutes les petites bêtises dont on samuse, dont on occupe les riches désœuvrements, elle avait découvert parfois, avec une surprise envieuse, jalouse et presque incrédule, des êtres, des femmes, des hommes en qui quelque chose dextraordinaire sans aucun doute sétait produit. Cela ne se voyait point dune façon manifeste, éclatante ; mais, avec son flair inquiet, elle le sentait et le devinait. Sur leur visage, dans leur sourire, dans leurs yeux surtout, quelque chose dinexprimable, de ravi, de délicieusement heureux apparaissait, une joie de lâme répandue dans tout le corps lui-même, illuminant la chair et le regard.

Назад Дальше