Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке - Луи Фердинанд Селин 13 стр.


Mais du fond du jardin, on lappela Princhard. Le médecinchef le faisait demander durgence par son infirmier de service.

« Jy vais », quil a répondu Princhard, et neut que le temps juste de me passer le brouillon du discours quil venait ainsi dessayer sur moi. Un truc de cabotin.

Lui, Princhard, je ne le revis jamais. Il avait le vice des intellectuels, il était futile. Il savait trop de choses ce garçon-là et ces choses lembrouillaient. Il avait besoin de tas de trucs pour sexciter, se décider.

Cest loin déjà de nous le soir où il est parti, quand jy pense. Je men souviens bien quand même. Ces maisons du faubourg qui limitaient notre parc se détachaient encore une fois, bien nettes, comme font toutes les choses avant que le soir les prenne. Les arbres grandissaient dans lombre et montaient au ciel rejoindre la nuit.

Je nai jamais rien fait pour avoir de ses nouvelles, pour savoir sil était vraiment « disparu » ce Princhard, comme on la répété. Mais cest mieux quil soit disparu.

Déjà notre paix hargneuse faisait dans la guerre même ses semences.

On pouvait deviner ce quelle serait, cette hystérique rien quà la voir sagiter déjà dans la taverne de lOlympia. En bas dans la longue cave-dancing louchante aux cent glaces, elle trépignait dans la poussière et le grand désespoir en musique négro-judéo-saxonne. Britanniques et Noirs mêlés. Levantins et Russes, on en trouvait partout, fumants, braillants, mélancoliques et militaires, tout du long des sofas cramoisis. Ces uniformes dont on commence à ne plus se souvenir quavec bien de la peine furent les semences de laujourdhui, cette chose qui pousse encore et qui ne sera tout à fait devenue fumier quun peu plus tard, à la longue.

Bien entraînés au désir par quelques heures à lOlympia chaque semaine, nous allions en groupe faire une visite ensuite à notre lingère-gantière-libraire Mme Herote, dans lImpasse des Beresinas, derrière les Folies-Bergère, à présent disparue, où les petits chiens venaient avec leurs petites filles, en laisse, faire leurs besoins.

Nous y venions nous, chercher notre bonheur à tâtons, que le monde entier menaçait avec rage. On en était honteux de cette envie-là, mais il fallait bien sy mettre tout de même! Cest plus difficile de renoncer à lamour quà la vie. On passe son temps à tuer ou à adorer en ce monde et cela tout ensemble. « Je te hais! Je tadore! » On se défend, on sentretient, on repasse sa vie au bipède du siècle suivant, avec frénésie, à tout prix, comme si cétait formidablement agréable de se continuer, comme si ça allait nous rendre, au bout du compte, éternels. Envie de sembrasser malgré tout, comme on se gratte.

Jallais mieux mentalement, mais ma situation militaire demeurait assez indécise. On me permettait de sortir en ville de temps en temps. Notre lingère sappelait donc Mme Herote. Son front était bas et si borné quon en demeurait, devant elle, mal à laise au début, mais ses lèvres si bien souriantes par contre, et si charnues quon ne savait plus comment sy prendre ensuite pour lui échapper. À labri dune volubilité formidable, dun tempérament inoubliable, elle abritait une série dintentions simples, rapaces, pieusement commerciales.

Fortune elle se mit à faire en quelques mois, grâce aux alliés et à son ventre surtout. On lavait débarrassée de ses ovaires il faut le dire, opérée de salpingite lannée précédente. Cette castration libératrice fit sa fortune. Il y a de ces blennorragies féminines qui se démontrent providentielles. Une femme qui passe son temps à redouter les grossesses nest quune espèce dimpotente et nira jamais bien loin dans la réussite.

Les vieux et les jeunes gens aussi croient, je le croyais, quon trouvait moyen de faire facilement lamour et pour pas cher dans larrière-boutique de certaines librairies-lingeries. Cela était encore exact, il y a quelque vingt ans, mais depuis, bien des choses ne se font plus, celles-là surtout parmi les plus agréables. Le puritanisme anglo-saxon nous dessèche chaque mois davantage, il a déjà réduit à peu près à rien la gaudriole impromptue des arrière-boutiques. Tout tourne au mariage et à la correction.

Mme Herote sut mettre à bon profit les dernières licences quon avait encore de baiser debout et pas cher. Un commissaire-priseur désœuvré passa devant son magasin certain dimanche, il y entra, il y est toujours. Gaga, il létait un peu, il le demeura, sans plus. Leur bonheur ne fit aucun bruit. À lombre des journaux délirants dappels aux sacrifices ultimes et patriotiques, la vie, strictement mesurée, farcie de prévoyance, continuait et bien plus astucieuse même que jamais. Tels sont lenvers et lendroit, comme la lumière et lombre, de la même médaille.

Le commissaire de Mme Herote plaçait en Hollande des fonds pour ses amis, les mieux renseignés, et pour Mme Herote à son tour, dès quils furent devenus confidents. Les cravates, les soutiens-gorge, les presque chemises comme elle en vendait, retenaient clients et clientes et surtout les incitaient à revenir souvent.

Grand nombre de rencontres étrangères et nationales eurent lieu à lombre rosée de ces brise-bise parmi les phrases incessantes de la patronne dont toute la personne substantielle, bavarde et parfumée jusquà lévanouissement aurait pu rendre grivois le plus ranci des hépatiques. Dans ces mélanges, loin de perdre lesprit, elle retrouvait son compte Mme Herote, en argent dabord, parce quelle prélevait sa dîme sur les ventes en sentiments, ensuite parce quil se faisait beaucoup damour autour delle. Unissant les couples et les désunissant avec une joie au moins égale, à coups de ragots, dinsinuations, de trahisons.

Elle imaginait du bonheur et du drame sans désemparer. Elle entretenait la vie des passions. Son commerce nen marchait que mieux.

Proust, mi-revenant lui-même, sest perdu avec une extraordinaire ténacité dans linfinie, la diluante futilité des rites et démarches qui sentortillent autour des gens du monde, gens du vide, fantômes de désirs, partouzards indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs sans entrain dimprobables Cythères. Mais Mme Herote, populaire et substantielle dorigine, tenait solidement à la terre par de rudes appétits, bêtes et précis.

Si les gens sont si méchants, cest peut-être seulement parce quils souffrent, mais le temps est long qui sépare le moment où ils ont cessé de souffrir de celui où ils deviennent un peu meilleurs. La belle réussite matérielle et passionnelle de Mme Herote navait pas encore eu le temps dadoucir ses dispositions conquérantes.

Elle nétait pas plus haineuse que la plupart des petites commerçantes dalentour, mais elle se donnait beaucoup de peine à vous démontrer le contraire, alors on se souvient de son cas. Sa boutique nétait pas quun lieu de rendez-vous, cétait encore une sorte dentrée furtive dans un monde de richesse et de luxe où je navais jamais malgré tout mon désir, jusqualors pénétré et doù je fus dailleurs éliminé promptement et péniblement à la suite dune furtive incursion, la première et la seule.

Les gens riches à Paris demeurent ensemble, leurs quartiers, en bloc, forment une tranche de gâteau urbain dont la pointe vient toucher au Louvre, cependant que le rebord arrondi sarrête aux arbres entre le Pont dAuteuil et la Porte des Ternes. Voilà. Cest le bon morceau de la ville. Tout le reste nest que peine et fumier.

Quand on passe du côté de chez les riches on ne remarque pas dabord de grandes différences avec les autres quartiers, si ce nest que les rues y sont un peu plus propres et cest tout. Pour aller faire une excursion dans lintérieur même de ces gens, de ces choses, il faut se fier au hasard ou à lintimité.

« Jy vais », quil a répondu Princhard, et neut que le temps juste de me passer le brouillon du discours quil venait ainsi dessayer sur moi. Un truc de cabotin.

Lui, Princhard, je ne le revis jamais. Il avait le vice des intellectuels, il était futile. Il savait trop de choses ce garçon-là et ces choses lembrouillaient. Il avait besoin de tas de trucs pour sexciter, se décider.

Cest loin déjà de nous le soir où il est parti, quand jy pense. Je men souviens bien quand même. Ces maisons du faubourg qui limitaient notre parc se détachaient encore une fois, bien nettes, comme font toutes les choses avant que le soir les prenne. Les arbres grandissaient dans lombre et montaient au ciel rejoindre la nuit.

Je nai jamais rien fait pour avoir de ses nouvelles, pour savoir sil était vraiment « disparu » ce Princhard, comme on la répété. Mais cest mieux quil soit disparu.

Déjà notre paix hargneuse faisait dans la guerre même ses semences.

On pouvait deviner ce quelle serait, cette hystérique rien quà la voir sagiter déjà dans la taverne de lOlympia. En bas dans la longue cave-dancing louchante aux cent glaces, elle trépignait dans la poussière et le grand désespoir en musique négro-judéo-saxonne. Britanniques et Noirs mêlés. Levantins et Russes, on en trouvait partout, fumants, braillants, mélancoliques et militaires, tout du long des sofas cramoisis. Ces uniformes dont on commence à ne plus se souvenir quavec bien de la peine furent les semences de laujourdhui, cette chose qui pousse encore et qui ne sera tout à fait devenue fumier quun peu plus tard, à la longue.

Bien entraînés au désir par quelques heures à lOlympia chaque semaine, nous allions en groupe faire une visite ensuite à notre lingère-gantière-libraire Mme Herote, dans lImpasse des Beresinas, derrière les Folies-Bergère, à présent disparue, où les petits chiens venaient avec leurs petites filles, en laisse, faire leurs besoins.

Nous y venions nous, chercher notre bonheur à tâtons, que le monde entier menaçait avec rage. On en était honteux de cette envie-là, mais il fallait bien sy mettre tout de même! Cest plus difficile de renoncer à lamour quà la vie. On passe son temps à tuer ou à adorer en ce monde et cela tout ensemble. « Je te hais! Je tadore! » On se défend, on sentretient, on repasse sa vie au bipède du siècle suivant, avec frénésie, à tout prix, comme si cétait formidablement agréable de se continuer, comme si ça allait nous rendre, au bout du compte, éternels. Envie de sembrasser malgré tout, comme on se gratte.

Jallais mieux mentalement, mais ma situation militaire demeurait assez indécise. On me permettait de sortir en ville de temps en temps. Notre lingère sappelait donc Mme Herote. Son front était bas et si borné quon en demeurait, devant elle, mal à laise au début, mais ses lèvres si bien souriantes par contre, et si charnues quon ne savait plus comment sy prendre ensuite pour lui échapper. À labri dune volubilité formidable, dun tempérament inoubliable, elle abritait une série dintentions simples, rapaces, pieusement commerciales.

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