Les Rejetés - Owen Jones 2 стр.


Son seul rêve était de voir et de soccuper des petits-enfants que ses propres enfants finiraient sans doute par vouloir avoir quand le moment serait venu, même si elle ne désirait pas quils se mariassent en hâte comme elle lavait fait ; en particulier sa fille. Aussi certainement que deux et deux faisaient quatre, elle savait cependant que ses enfants auraient leur propre progéniture sils le pouvaient, car cela constituait lunique sécurité financière quils pourraient avoir une fois vieux, ainsi que leur seule chance de faire évoluer le statut de la famille.

Madame Lee accordait une grande importance à la famille, au statut social, et à lhonneur, mais elle ne voulait pas particulièrement posséder plus de biens matériels quelle nen avait déjà. Elle avait appris il y avait déjà bien longtemps à sen passer et cela ne lui faisait désormais plus rien.

Elle avait bien un téléphone portable et une télévision, mais les signaux étaient, pour le moins quon pût dire, mauvais, et elle ne pouvait rien y faire si ce nétait attendre que le gouvernement se décidât à améliorer les émetteurs locaux, ce qui finirait bien par arriver un jour, tôt ou tard. Elle ne voulait pas particulièrement de voiture non plus, car elle nallait de toute façon nulle part, et les routes nétaient par ailleurs pas très bonnes. De plus, les gens de son âge et de sa condition avaient pendant si longtemps pensé quune voiture était un luxe inatteignable quils avaient cessé den vouloir une des décennies plus tôt. En dautres mots, le vélo et la vieille motocyclette qui composaient la flotte familiale lui suffisaient.

Elle ne rêvait pas plus dor et de beaux habits. Avoir dû élever deux enfants avec un revenu de fermier lavait exorcisée de tels désirs il y avait bien des années aussi. Malgré tout, Madame Lee était une femme heureuse qui aimait sa famille et était résignée à rester comme et où elle était jusquau jour où Bouddha lui dirait de repartir.

Monsieur Lee regarda son épouse venir vers lui. Elle ajusta quelque chose sous son sarong. Quelque chose devait ne pas être bien en place, supposa-t-il, mais il se garda bien de demander quoi. Elle sassit sur le bord de la table et releva ses jambes avec élan pour adopter la position dune sirène sur un rocher danois.

« Alors, que dit la vieille sorcière ?

Oh allez, Meuh. Elle nest pas si terrible ! Daccord, vous ne vous êtes jamais comprises, mais ça arrive parfois, non ? Elle ne dit jamais rien de mal sur ton dos. Il y a trente minutes, elle a même pris de tes nouvelles et de celles des enfants.

Tu es vraiment naïf parfois, Heng. Elle me parle gentiment ou gentiment de moi à dautres personnes quand il y a du monde pour lentendre, mais, quand nous sommes seules, elle me traite comme une moins-que-rien, et ça a toujours été comme ça. Elle me déteste, mais elle est trop sournoise pour le montrer devant toi, car elle sait que tu me soutiendrais plutôt quelle. Vous, les hommes, vous pensez tout comprendre, mais vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez.

Elle maccuse de tas de choses depuis des années, et à plusieurs reprises Elle a dit que je ne nettoyais pas bien, que je laissais les enfants être sales, et elle a même une fois dit que ce que javais cuisiné donnait limpression davoir été aromatisé avec de la crotte de bouc ! Tu ne connais même pas la moitié de lhistoire, mais tu ne me crois de toute manière même pas, moi, ta propre femme, nest-ce pas ? Oh, tu peux sourire, mais, crois-moi, ça na pas été très drôle pour moi ces trente dernières années. Enfin bref, passons. Qua-t-elle dit ?

Elle maccuse de tas de choses depuis des années, et à plusieurs reprises Elle a dit que je ne nettoyais pas bien, que je laissais les enfants être sales, et elle a même une fois dit que ce que javais cuisiné donnait limpression davoir été aromatisé avec de la crotte de bouc ! Tu ne connais même pas la moitié de lhistoire, mais tu ne me crois de toute manière même pas, moi, ta propre femme, nest-ce pas ? Oh, tu peux sourire, mais, crois-moi, ça na pas été très drôle pour moi ces trente dernières années. Enfin bref, passons. Qua-t-elle dit ?

Pas grand-chose, en fait. Il sagissait juste dun examen ; la même routine que dhabitude donc. Tu sais bien : pisse sur de la mousse, crache sur une pierre, laisse-la tasperger dalcool craché par sa vieille bouche pleine de dents. Je frissonne rien quen y pensant. Elle a dit quelle me ferait quérir demain, quand elle sera en mesure de me donner des résultats. Où sont les enfants ? Est-ce quils ne devraient pas aussi participer à cette discussion familiale ?

Je ne pense pas, non. Après tout, on ne sait encore rien, non ? Ou bien tu as déjà une idée ?

Non, pas vraiment. Tu sais, je me dis quun massage de la Chinoise pourrait aider, si je lui demande de ne pas y aller trop fort avec moi. Elle a appris dans le Nord de la Thaïlande, mais elle est un peu brute parfois ; du moins, cest ce quon dit. Tu sais, avec létat de mes organes Mais peut-être quune friction légère leur serait bénéfique Quen penses-tu, chérie ?

Je sais ce que tu veux dire par friction légère. Si cest comme ça, pourquoi tu ne demandes pas à ton oncle de le faire ? Pourquoi vouloir que ça soit une jeune femme ?

Tu sais bien que je naime pas me faire toucher par un homme ; je te lai déjà expliqué. Mais bon, si cela te dérange, je ne me ferai pas masser.

Je ne suis pas en train de te linterdire ! Ciel, je ne pourrais pas tempêcher de le faire de toute manière. Mais tu as dit toi-même quelle est un peu brute, et elle risque de faire plus de mal que de bien. Je pense quil serait plus sage de tabstenir jusquà ce que ta tante ait des résultats, cest tout.

Daccord. Tu as sans doute raison. Tu ne mas pas dit où les enfants sont.

Je nen suis pas sûre, en fait. Je croyais quils seraient déjà rentrés entretemps Ils sont partis ensemble ; une histoire de fête danniversaire ou quelque chose de ce genre en fin de semaine. »

Les Lee avaient deux enfants un fils et une fille et sestimaient chanceux de les avoir, car ils avaient essayé de faire un enfant durant dix ans avant que leur garçon neût finalement été conçu. Ils étaient désormais respectivement âgés de vingt et seize ans, et Monsieur et Madame Lee avaient donc depuis longtemps abandonné lespoir den avoir dautres encore. Pour tout dire, ils avaient arrêté dessayer depuis un moment déjà.

Toujours était-il que leurs enfants étaient bons, respectueux, obéissants, et faisaient la fierté de leurs parents enfin, ce quils savaient deux les rendait fiers, en tout cas car ils étaient exactement comme tous les bons gamins : quatre-vingt-dix pour cent sages, mais avec le potentiel de faire des bêtises et davoir des pensées secrètes que leurs parents désapprouveraient.

Maître Lee, leur fils, de son prénom Den, que lon pouvait aussi appeler le Jeune Lee, venait tout juste davoir vingt ans et avait fini ses études il y avait déjà presque deux ans. Il avait eu, tout comme sa sœur, une enfance heureuse, mais il commençait lentement à réaliser que son père avait planifié une vie très difficile pour lui, bien quil eût toujours travaillé avant et après les cours durant la majeure partie de sa vie. Il avait cependant jusqualors toujours eu du temps à dédier au football, au tennis de table, et aussi aux filles et aux bals détudiants.

Tout ceci était néanmoins désormais fini, tout comme ses espoirs de vie sexuelle, même sil navait jamais eu énormément de quoi se vanter quelques rares baisers et tâtonnements, puis plus rien du tout depuis presque deux ans. Den serait parti vivre en ville à la première opportunité, sil avait eu la moindre idée de quoi y faire. Il navait toutefois pas la moindre ambition, si ce nétait celle davoir des rapports sexuels réguliers.

Ses hormones sen donnaient à cœur joie, au point quil en arrivait parfois à trouver certaines chèvres attirantes, ce qui linquiétait grandement.

Il réalisait bien quil aurait à se marier sil voulait toujours avoir une femme dans son lit. Lidée commençait en conséquence à bien le tenter, même si son coût était davoir des enfants.

Mademoiselle Lee, plus connue sous le nom de Din, était une très jolie jeune fille âgée de seize ans qui avait terminé ses études durant lété, après avoir étudié deux ans de moins que son frère, ce qui était relativement normal dans la région. Non pas quelle fût moins brillante que lui ; les parents et jeunes filles des alentours pensaient tout simplement quil valait mieux que ces dernières sattelassent à fonder une famille aussi tôt que possible. Il était par ailleurs plus facile pour une jeune femme de trouver un mari avant davoir vingt ans plutôt quétant âgée de même à peine quelques années de plus. Din navait jamais remis cette « sagesse » traditionnelle en question malgré les appréhensions de sa mère.

Elle avait également travaillé avant et après les cours quasiment sa vie entière, et probablement bien plus dur que son frère, même si ce dernier naurait pas été capable de sen rendre compte, car il était habituel que les filles fussent pratiquement des esclaves dans les environs.

Din avait cependant ses propres fantasmes. Elle rêvait daventures romantiques dans lesquelles son amant lenlevait et lemmenait à Bangkok, où il devenait médecin tandis quelle passait des journées entières à faire du shopping avec ses copines. Ses hormones sen donnaient aussi à cœur joie, mais la culture locale lui interdisait de ladmettre, y compris intérieurement. Son père, son frère, et sans doute même sa mère lui auraient administré une correction sils lavaient vue ne serait-ce que sourire à un garçon nappartenant pas à leur famille. Elle le savait et lacceptait sans poser de questions.

Elle avait pour plan de commencer à chercher un mari sur-le-champ ; tâche pour laquelle sa mère avait proposé son assistance, car elles savaient toutes deux quil valait mieux que cela fût réglé le plus vite possible afin déviter de couvrir la famille de honte.

En résumé, les Lee étaient une famille typique de la région et en étaient satisfaits. Ils menaient leurs vies dans le cadre des mœurs locales et trouvaient cela bon et juste, même si les deux enfants cultivaient des rêves de fuite vers la grande ville. Ils étaient cependant retenus par un manque dambition qui avait été enraciné dans lesprit des montagnards depuis des siècles et les retenait à cette place, ce qui arrangeait le gouvernement car, autrement, tous les jeunes gens auraient eu depuis longtemps disparu des campagnes pour rallier Bangkok, puis, à partir de celle-ci, des pays étrangers tels que Taïwan ou Oman, où les salaires étaient meilleurs. Être libérés de la pression stricte de leurs pairs restait néanmoins une idée attrayante.

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