« Bonjour, Din. Quel plaisir de te voir. Tu veux un bol de soupe ? Elle est délicieuse. »
Da adorait ses petites-nièces, et Din en particulier, mais lorsquelle entendit ce quelle était venue lui demander, elle ne put résister à son envie de lui dire que sa mère navait pas idée de demander un bon diagnostic de la sorte en moins de vingt-quatre heures.
« Oh, ta mère ! Daccord. On va voir ce quon peut faire Ton Paw na pas fière allure, hein ?
Non, Tante Da. Il est aussi blanc quun cadavre, mais nous pensons quil vit encore Maman était sur le point de le piquer avec une aiguille quand je suis partie, pour voir sil réagissait, mais je nai pas attendu de voir le résultat. Je ne veux pas que Paw meurt, Tante Da ! Sil te plaît, sauve-le.
Je vais faire ce que je peux, mon enfant, mais, si Bouddha décide dappeler, personne au monde ne peut dire non. Mais on va quand même voir ce quon peut essayer. Viens avec moi. »
Da la mena à lintérieur de son sanctuaire, alluma une bougie, et ferma la porte. Elle avait espéré que Din développerait un intérêt pour les « vieilles traditions » tandis quelle était encore jeune afin quelle pût les lui enseigner, car elle savait quelle aurait besoin de nommer un successeur dans un futur pas si éloigné si elle voulait que ce rôle demeurât entre les mains de la famille Lee.
Elle pointa du doigt le tapis spirituel sur le sol et Din sy assit, puis elle fit le tour de lintérieur de sa hutte en marmonnant des prières et des incantations tout en allumant des bougies supplémentaires, avant de prendre place vis-à-vis de Din, qui fixait ses mains, jointes sur ses genoux.
Da observa sa petite-nièce, sentit un léger tremblement parcourir son corps, fixa ses propres mains quelques secondes, puis reporta son attention sur Din.
« Tu es venue me demander conseil à propos de quelquun ? Je ten prie, pose ta question », dit-elle, mais avec une voix profonde, sombre, et grondante, que personne navait jamais entendue en dehors de ces murs.
Cette transformation prit Din au dépourvu, comme à chaque fois que sa grand-tante entrait en trance et autorisait une autre entité à contrôler son corps. Son visage, et même son corps entier, semblaient se modifier subtilement, comme lorsquun acteur ou un imitateur changeait la manière dont le public le percevait afin de mieux correspondre au personnage joué. Dans son cas, cependant, il se produisait bien plus que cela. Cétait comme si lintérieur de son corps était aussi celui de quelquun dautre, ce qui la faisait non seulement sembler différente, mais aussi parler différemment.
Din observa la vieille Chamane, qui nétait désormais plus quen apparence sa grand-tante.
« Chamane, mon père est très malade. Jai besoin de connaître son problème et de savoir ce que nous pouvons faire pour le combattre.
Oui, ton père. Celui que tu nommes « Paw ». »
Sa grand-tante avait actuellement la voix dun homme. Elle posa une main sur les objets enveloppés que lui avait remis Heng le jour précédent et ferma les yeux. Une pause qui sembla, pour Din, durer une éternité se produisit, dans un silence si complet quelle aurait juré pouvoir entendre les fourmis qui marchaient sur le dur sol de terre battue.
Din avait déjà assisté à des douzaines de sessions similaires, mais jamais pour une raison aussi sérieuse que celle-ci. Elle était une fois venue en raison de maux de ventre, de ses règles, quelques années plus tôt, et récemment pour savoir si elle allait bientôt se marier. Latmosphère ne leffrayait pas, mais le résultat oui. Elle savait cependant quelle ne pouvait que rester assise là et attendre, mais aussi observer, car elle trouvait cela fascinant malgré les circonstances.
La Chamane déballa le premier paquet, qui contenait la pierre, et lexamina avec attention, la renifla, puis la reposa sur sa feuille de bananier. Elle prit ensuite le paquet contenant la mousse, la renifla, et la replaça également devant elle sur le tapis.
La Chamane déballa le premier paquet, qui contenait la pierre, et lexamina avec attention, la renifla, puis la reposa sur sa feuille de bananier. Elle prit ensuite le paquet contenant la mousse, la renifla, et la replaça également devant elle sur le tapis.
Elle regarda Din avec solennité et, après quelques minutes, sexprima enfin.
« Celui pour lequel tu tinquiètes est très malade. En vérité, il était déjà très proche de la mort au moment où il a fourni ces échantillons, mais il nest pas encore décédé Certains de ses organes internes, en particulier ceux responsables du nettoyage du sang, sont dans un très mauvais état Ceux que vous appelez les « rinces », il me semble, ont complètement cessé de fonctionner, et le foie se détériore rapidement. Cela veut dire que son décès est imminent. Il nexiste aucun remède connu. »
La Chamane frissonna à nouveau et reprit une apparence normale, cligna quelques fois des yeux, et se tortilla légèrement, comme si elle essayait denfiler une vieille robe trop serrée, avant de se frotter les yeux.
« Pas de bonnes nouvelles, nest-ce pas, mon enfant ? Tu sais que je ne peux pas forcément tout entendre lorsque je suis possédée, mais jai perçu quelques bribes de cette conversation et je vois bien à ton visage que les choses sannoncent mal pour ton père.
LEsprit a dit que Paw allait certainement mourir bientôt car il nexiste aucun remède contre des reins et un foie qui ont arrêté de fonctionner
Jen suis navrée, Din. Tu sais que jestime énormément ton père Écoute ; jai, en dehors de la possession, quelques autres cartes dans mes manches, acquises au fil des années. Voyons Oui, la pierre Tu vois, là où ton père a craché ? Pas de marque ! Cela veut dire quil ny a pas de minéraux dans sa salive. Pas de minéraux, pas de vitamines, rien. Que de leau. Et la mousse »
Elle renifla à nouveau cette dernière, dabord de loin, puis en la plaçant plus près de son nez.
« Pareil ! Sens ça ! »
Elle la tendit à Din afin quelle la reniflât aussi, mais cette dernière navait pas vraiment envie de sentir lurine de son père.
« Allez, elle ne va pas te mordre ! » lexhorta Da.
Din finit par obtempérer.
« Rien du tout. Ça sent juste la mousse.
Précisément ! Lurine masculine finit par sentir comme celle des chats si tu lemballes de la sorte, mais celle de ton père non. Elle ne contient donc pas de substance pouvant pourrir. On peut encore une fois en conclure que le sang de ton père nest que de leau. Lorsque ton sang nest que de leau, tu ne peux pas survivre longtemps. Cest logique, non ? Le sang transporte tout ce quil y a de bon dans le corps entier, mais ton père nen a plus, et cest pour ça quil est en permanence aussi faible ! Rentre à la maison. Vérifie sil est déjà trop tard ou non et, sil est encore parmi nous, reviens me chercher avec votre scooter. Dépêche-toi, allez ! »
Din se précipita dehors et en direction de la maison familiale.
Tandis que sa petite-nièce allait vérifier létat de son père, Da commença déjà à se préparer à partir, car elle savait dans son cœur que son Heng nétait pas encore mort ; du moins pas entièrement. Elle sélectionna quelques herbes quelle plaça dans un sac, saspergea le visage avec de leau, attacha ses cheveux au moyen dun foulard pour se prémunir contre le vent lors du trajet en motocyclette, puis elle sortit attendre que Din revînt.
Quelques minutes plus tard, celle-ci fut de retour dans un nuage de poussière.
« Vite, Tantine. Maman a dit de se dépêcher car il est sur le point de mourir. »
Da grimpa sur le véhicule en amazone, comme une dame se devait de le faire, et elles se mirent en route, les longs cheveux de Din fouettant douloureusement son vieux visage malgré ses tentatives desquive. Dès quelles arrivèrent, la Chamane sauta prestement du véhicule. Elle était peut-être vieille, mais toujours agile. Elle fut rapidement conduite dans la demeure.
« Merci dêtre venue si vite, Tante Da. Il est dans la chambre.
Oui, je me doute quil nest pas en train de tenir compagnie à ses chèvres ! »
Elle souleva la moustiquaire et sassit près de la tête de son neveu, sur le sol de bois. Elle inspecta dabord sa peau, puis ses cheveux, ses lèvres, et ouvrit pour finir ses yeux et y plongea son regard.
« Mmm, je vois Montrez-moi ses pieds ! »
Wan se dépêcha de découvrir les pieds de son époux, et Da se pencha sur ces derniers et les serra dans ses mains en les observant de près.
« Mmm. Je nai jamais vu un cas aussi sérieux dabsence de substance dans le sang. Est-ce que jai la permission de dire à tes enfants quoi faire pendant un moment ? Parfait. Je serai bientôt de retour. Relève la tête de ton mari avec quelques coussins. Je vais dire à Din de taider pendant que Den maidera moi.
Oui, chère Tante, bien sûr. Tout pour aider mon cher Heng.
Bien. Voyons ce quon peut faire, daccord ? »
Sur ces mots, elle se remit debout et se rendit au rez-de-chaussée.
« Din, va aider ta mère. Den, tu viens avec moi. Nous devons agir rapidement et avec précision.
Din disparut en un battement de cils et Den senquit de ce quil pouvait faire.
Va me trouver votre coq le plus robuste ! Vite, mon garçon ! »
Lorsquil revint avec la volaille sous le bras, Da la lui prit.
Maintenant, attache votre bouc le plus costaud à un poteau, si serré quil ne pourra absolument pas bouger peu importe sil est debout ou assis. »
Alors que Den repartait, Da monta sur le bord de la table, égorgea le coq, lexsanguina au-dessus dun bol, puis jeta son corps sans vie dans une corbeille à légumes posée là avant dà nouveau se rendre à létage.
« Din, dit-elle en arrivant dans la chambre. Est-ce que vous avez du lait de chèvre ou dune quelconque sorte au réfrigérateur ? Si non, prends une cruche et va sil te plaît en chercher du frais, ma fille. »
Elle neut pas besoin de lui dire de se dépêcher ; elle était déjà partie.
« Bien. Wan, est-il réveillé ?
Pas vraiment, chère Tante. À moitié.
Daccord. Pince son nez pendant que je lui fais avaler ce sang. »
Elle serra sa mâchoire fermée avec son pouce et son majeur afin de louvrir, pencha sa tête vers larrière, et déversa quelques gorgées du sang de poulet dans sa bouche. À la manière dont il toussota comme une voiture à essence dans laquelle on aurait versé du gasoil, Da supposa quenviron la moitié en était descendue par la bonne voie.
Heng ouvrit légèrement les yeux.
« Quest-ce que vous me faites, bande de sorcières ? murmura-t-il. Cest horrible !