Les Destinés - Морган Райс 3 стр.


— Tu es en sécurité ici, dit Anne en mettant la main sur son épaule.

Geneviève n’eut pas les mots pour dire à quel point elle était reconnaissante pour ces paroles. Quand le fermier lui tendit une assiette de ragoût, elle lui arracha presque des mains, réalisant à quel point elle était affamée. Ils lui donnèrent une couverture et Geneviève s’endormit presque instantanément, sombrant dans des ténèbres sans les rêves qu’elle avait tant espérés auparavant.

Quand elle se réveilla, la lumière du jour s’infiltrait par les fenêtres de la ferme, assez forte pour que Geneviève devine qu’il devait être près de midi. Anne était là, mais aucun signe de son mari.

— Ah, tu es réveillée, dit-elle. Il y a du pain, du fromage et un peu de bière si tu veux.

Geneviève se dirigea vers la table de la cuisine, presque aussi affamée que la veille.

— Je suis désolée, dit-elle.

— De quoi dois-tu t’excuser ? lui demanda Anne.

— Eh bien, d’être venue ainsi, dit Geneviève. Errant jusqu’à votre maison, vous mettant probablement en danger si quelqu’un découvre que j’étais ici. Et… eh bien, de tout ce qui s’est passé pendant qu’Altfor régnait.

— Ce n’est pas à toi d’en être désolée, insista Anne. Tu crois que je ne sais pas comment ça se passe avec les nobles qui emmènent des filles ? Tu penses que j’ai toujours été vieille ?

— Vous… commença Geneviève.

Anne hocha la tête.

— Les choses allaient mieux sous l’ancien roi, mais elles n’étaient pas parfaites. Il y avait toujours ces nobles qui pensaient pouvoir prendre ce qu’ils voulaient. C’est en partie ce qui a creusé un fossé entre eux et lui, d’après ce que j’ai entendu.

— Je suis désolée, dit Geneviève, réalisant ce que disait la vieille femme.

— Arrête de dire ça, répondit Anne. Tu n’as pas à t’excuser. Je te le dis juste pour que tu comprennes que tu es en sécurité ici.

— Merci, dit Geneviève, à cet instant, la sécurité semblait être un bien si précieux qu’il lui était presque interdit. Elle regarda autour d’elle. Où est votre mari ?

— Oh, Thom s’occupe des moutons. Non pas que les moutons aient besoin de beaucoup de soins. Donnez-leur un endroit où brouter et dormir et ils sont heureux. Les gens sont plus compliqués, ils en veulent toujours plus.

Geneviève ne le comprenait que trop bien. Combien de malheurs étaient arrivés parce que certain dans le monde pensaient qu’ils avaient le droit de tout prendre, et qu’ils en voulaient toujours plus ?

— As-tu pensé à ce que tu allais faire ensuite ? lui demanda Anne.

— Je pensais… ma sœur est en sécurité à Fallsport, dit Geneviève. J’ai pensé que je pourrais aller la voir.

— C’est un sacré voyage, dit Anne. De l’autre côté de la mer, et je suppose que tu n’as pas beaucoup d’argent pour payer un bateau non plus.

Geneviève secoua la tête. Plus elle réfléchissait à l’idée, moins elle semblait avoir de sens. Aller voir Sheila était la réaction la plus évidente, mais aussi la plus stupide. Cela signifierait simplement pour elles finir leur existence dans une fuite incessante, se demandant chaque jour si une lame sortirait de l’obscurité pour mettre un terme à cette folie.

— Eh bien, nous n’avons pas d’argent pour t’aider, dit Anne. Mais tu pourrais rester ici un moment si tu le souhaites. On aurait bien besoin d’aide à la ferme, et personne ne te trouverait ici.

La générosité de ces gens était presque trop grande pour Geneviève. Elle sentit même des larmes commencer à lui piquer le coin des yeux à cette idée. Que serait sa vie si elle décidait de rester, de laisser les choses se terminer ainsi ?

La pensé de la bague d’Olivia lui surgit alors à l’esprit. Elle avait pensé trouver un peu de bonheur en retrouvant Royce et dut reconnaître à quel point les choses avaient mal tourné. Elle n’était pas faite pour une conclusion heureuse et pacifique, plus maintenant.

En réalité elle avait déjà un plan. Elle avait élaboré un plan avec Sheila, sauf que dans l’émotion, fuyant la ville, elle avait tout oublié. Maintenant qu’elle avait eu la chance de se rétablir, de dormir, et même de recommencer à penser sereinement, ce plan lui revint à l’esprit. C’était la meilleure idée par le passé, et c’était la meilleure aujourd’hui.

— Je ne peux pas rester, dit Geneviève.

— Où iras-tu alors ? questionna Anne. Que vas-tu faire ? Tu es si déterminée à trouver ta sœur ?

Geneviève secoua la tête parce qu’elle savait que cela ne fonctionnerait pas. Non, elle ne pouvait pas aller chercher sa sœur. Elle devait retrouver son mari. Elle devait le rejoindre, et si elle le supportait, elle devait jouer le rôle que le destin lui avait donné, en tant qu’épouse. Si elle pouvait supporter de faire cela jusqu’à ce que son enfant naisse et soit reconnu, alors elle pourrait se débarrasser d’Altfor et régner comme mère de l’héritier du duché, pour le bien de tous.

C’était un plan désespéré, mais c’était le seul qu’elle avait. Le plus dur serait de faire en sorte que cela fonctionne. Elle ne savait pas où était Altfor. Mais elle savait où il irait : il avait perdu, et il allait donc chercher de l’aide, se dirigeant vers le roi. Geneviève savait alors où elle devait se rendre.

— Je dois aller à la cour royale, dit-elle.

CHAPITRE TROIS

Royce agrippait le bastingage du navire, voulant qu’il se déplace plus vite ; son attention s’étendit sur les vagues à travers les yeux d’Ember. Le faucon volait en cercle, criant au-dessus des vagues et plongeant parfois vers elles pour capturer de petits oiseaux de mer lorsque ceux-ci devenaient des cibles trop tentantes.

Mais l’attention de Royce ne s’était pas limitée à cela. Il s’approcha le plus profondément possible de la conscience d’Ember, cherchant tout signe de Lori, toute chance de parler à la sorcière qui les avait lancés dans leur périple et d’en savoir plus sur son père. Mais il n’y avait rien, juste le roulis de la mer et la lueur du soleil.

— Ça fait des heures que tu es là, dit Mark en venant le rejoindre.

— Ça ne fait pas des heures, corrigea Royce.

— Depuis le lever du soleil, précisa Mark, l’air un peu inquiet. Toi et le loup.

Gwylim maugréa aux côtés de Royce, le bhargir n’aimant manifestement pas qu’on le mentionne comme étant simplement un loup. Durant leur voyage, Royce s’était demandé à quel point la créature les comprenait. À plusieurs reprises, Ember avait atterri à côté de lui, et Royce avait eu l’impression qu’ils communiquaient silencieusement ensemble.

— Gwylim n’est pas un loup, dit Royce. Et j’espérais que Lori aurait un autre message pour moi.

— Je sais, dit Mark.

— Ça a causé des problèmes ? demanda Royce.

— C’est moi qui ai dû gérer les disputes entre les autres.

— Il y a dû en avoir quelques-unes, devina Royce.

— Plus qu’assez, répondit Mark. Neave et Matilde semblent avoir décidé que se disputer sans cesse était la meilleure façon de déclarer leur amour. Bolis est tellement coincé, et la présence d’un des Pictis ici est suffisante pour l’agacer.

— Et toi, Mark ? demanda Royce. Que penses-tu des autres ?

— Je pense qu’il est bon qu’ils soient de notre côté, avoua-t-il. La fille Picti semble féroce, et il est évident que Matilde est une survivante. Bolis est peut-être un chevalier, mais au moins ça veut dire qu’il sait utiliser son épée. Mais cette équipe ne fonctionne que si tu es là pour les mener, Royce, et tu as passé la journée ici.

C’était en effet le cas. Il espérait apercevoir son père, ou du moins trouver un moyen de communiquer avec la sorcière qui l’avait envoyé pour le retrouver. Pour ce faire, il s’était concentré à la proue du navire et n’avait pas prêté beaucoup attention à ce qui s’était passé à bord. Au moins, les choses semblaient aller bien, parce qu’elles allaient dans la bonne direction.

— Comment crois-tu que les choses vont se passer au pays ? demanda Royce à Mark.

— Tu t’inquiètes pour tes frères ?

Royce hocha la tête. Lofen, Raymond et Garet étaient courageux et ils feraient tout ce qu’ils pourraient pour aider au combat, mais ils n’étaient pas des combattants aguerris, et ils avaient déjà été capturés une fois.

— Pour eux et pour Olivia, précisa Royce.

Il ne mentionna pas le fait que les pensées de sa fiancée se mêlaient à celles de Geneviève, pas même à Mark, parce que ces pensées ressemblaient à une trahison de quelqu’un de bon, de pur, et dont le père leur avait tant donné pour quelqu’un qui l’avait déjà repoussé.

— Nous la retrouverons bientôt, dit Mark en posant sa main sur l’épaule de Royce, et durant un instant, Royce ne se souvint plus de ce qu’il voulait dire par « elle ».

— Je l’espère, répondit-il simplement. Il renvoya sa conscience dans les yeux d’Ember, et grâce à cela, il vit les Sept Îles au loin avant tout le monde.

Elles étaient là, drapées dans des bancs de brume qui se déplaçaient avec les flots. Des rochers déchiquetés jaillissaient des eaux autour d’eux comme les dents de grandes bêtes. En effet, Royce vit une baleine apparaître et glisser sur l’eau dans une cascade d’embruns. Les rochers étaient ornés d’épaves de navires qui avaient essayé de les contourner sans connaître les routes sûres. C’était suffisant pour que Royce reconnaisse leur chance d’avoir trouvé un capitaine prêt à les emmener.

Les îles elles-mêmes semblaient être un mélange de verdure et de roches noires, regroupées autour d’un lagon central avec l’une d’elles en son centre. La plupart d’entre elles étaient parsemées de végétation, d’arbres et de sable si sombres qu’ils avaient dû être usés par le granit et le basalte des îles. L’île centrale semblait être un volcan, bouillonnant d’un rouge éblouissant, et Royce réalisa que la brume autour d’eux n’en était pas, c’était de la fumée qui tombait, formant ainsi une sorte de halo autour des îles.

Le Miroir de la Sagesse était là quelque part, et s’il était bien parti à sa recherche, Royce espérait que son père serait là aussi.

— Terre en vue ! cria-t-il aux autres, en pointant du doigt.

Le capitaine du navire s’approcha d’eux en souriant.

— Où ?

Aux yeux de Royce, les îles étaient une série de points qui s’étaient développés ici lentement.

— Nous avons réussi, dit le capitaine. Il saisit une flasque à sa ceinture. Nous devons boire à une telle occasion, et apaiser les esprits de la mer.

Il la tendit à Royce, qui la prit et but poliment. La liqueur lui brûla la gorge. Mark la prit également, cherchant évidemment un moyen de décliner, mais le capitaine insista trop pour cela. Il en sirota une gorgée, toussant instantanément.

— Maintenant que nous sommes plus près, dit le capitaine, tu nous en diras peut-être plus sur la raison de ta présence ici. Tu cherches ton père, c’est bien ça ?

Royce mit un moment à comprendre ce que l’autre homme venait de dire.

— Je ne vous en ai jamais parlé, dit Royce.

— Oh, ne sois pas timide, dit le capitaine. Tu pensais que les rumeurs ne courraient pas de village en village ? Tu es Royce, le garçon qui a renversé le vieux duc. Tu cherches ton père, et si tu m’as demandé de t’emmener jusqu’aux Sept Îles, alors il doit être quelque part ici.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez, dit Royce, nous sommes juste…

— Des saltimbanque en tournée, je sais, interrompit le capitaine. Sauf que c’est faux. Pensais-tu qu’un peu de boue sur le bouclier de ton chevalier ferait de lui un bouffon, ou masquerait la marque sur ta main ? Tu es Royce, pas la peine de le nier.

L’homme le regarda fixement, et Royce ressentit le poids de l’attente dans son regard. Il estima qu’il n’était plus nécessaire d’essayer de cacher qui il était, mais même alors, il n’était pas à l’aise à l’idée de l’admettre.

— Qu’est-ce que ça peut te faire ? demanda Mark à côté de lui.

— Parce que je veux aider, dit le capitaine. Tu as dit que tu voulais aller dans les Sept Îles, mais c’est très vaste ici. Je pourrais t’emmener sur n’importe laquelle d’entre elles. Où veux-tu aller ?

— Je ne sais pas, admit Royce. S’il le savait, ce serait beaucoup plus simple.

— Nul besoin d’être timide, dit le capitaine. Je veux aider. Dis-moi juste où est ton père, et je t’emmène directement à lui. Dis-moi où il est.

Il y eut alors une note de dureté dans le ton du capitaine qui alerta les instincts de Royce. Royce le regarda, essayant de comprendre ce qui se passait, et fit appel à Ember pour utiliser ses sens. Il la ramena vers le navire et lui fit prendre un point de vue bien différent de celui auquel il l’avait habitué depuis leur départ ; il avait été trop occupé à attendre les îles devant lui ou à essayer de passer par Ember pour essayer de contacter Lori.

S’il avait regardé plus tôt vers l’arrière du navire, il aurait vu ses amis attachés, défaits de leurs armes et armures et retenus par une poignée de marins.

— Qu’est-ce que vous croyez faire ? dit Royce. Relâchez mes amis immédiatement !

Le capitaine le regarda avec un choc évident, comme s’il venait juste de réaliser ce que Royce était capable de faire.

— De la magie ! dit le capitaine en faisant un pas en arrière.

Royce attrapa l’épée de cristal et tituba. Trop tard, il se rendit compte à quel point il se sentait chancelant et incertain sur ses pieds. La flasque ! Il y avait certainement quelque chose dans la flasque ! Mark était déjà à moitié effondré contre le bastingage.

— Tu vas rejoindre tes amis, dit le capitaine, et nous trouverons peut-être un moyen de te faire parler en leur faisant assez de mal. Le roi paiera très cher pour toi, mais eux… quelques entailles ne feront aucune différence.

Il frappa des mains et quelques marins s’approchèrent, saisissant Mark et Royce et les ramenant vers l’arrière du navire.

— Pourquoi faites-vous cela ? demanda Royce, les mots semblant sortir d’un brouillard aussi épais que celui qui entourait les Sept Îles qui approchaient.

— Qu’est-ce qui nous pousse tous à faire quoi que ce soit ? demanda le capitaine en haussant les épaules. L’argent ! Je pourrais t’emmener jusqu’aux Sept Îles, et y risquer mon bateau, ou je peux simplement prendre ton argent et avoir une récompense pour t’avoir livré au roi Carris.

— Aidez-moi, et je trouverai un moyen de vous récompensez tout autant, tenta Royce. Cela semblait désespéré, même à ses oreilles.

Le capitaine rit.

— Avec quoi ? Tu n’as pas d’argent. Ah oui, tu prévois de devenir roi toi-même ? Déclencher une guerre ne me rapporterait rien, mon garçon. Je m’en sors assez confortablement comme ça, emmenant quelques personnes là où elles ont besoin d’aller, vendant quelques passagers là où ils valent quelque chose ou en détroussant les navires imprudents sortis seuls. Je me débrouille très bien avec mes petites habitudes.

Royce voulut faire ravaler son cynisme à ce capitaine de misère, mais les marins le tenaient fermement par les poignets, et la léthargie qui se répandait en lui interdisait tout combat contre eux.

— Oh, tu veux te battre ? demanda le capitaine. Crois-moi, après les efforts auxquels tu m’as contraint, je ne le ferai pas. Tout ce chemin… Je t’ai emmené jusque-là parce que je pensais qu’il y avait une chance de délivrer le vieux roi aussi bien que toi. Je ne briserai pas non plus mon vaisseau sur ces rochers.

Une pensée traversa l’esprit de Royce ; une pensée désespérée et dangereuse.

— Vous ne retrouverez jamais mon père si vous n’êtes pas prêt à y aller, dit-il.

— Alors tu nous diras où il est ? demanda le capitaine.

— Je… Royce fit semblant d’être à bout de force. Je peux vous montrer.

Le capitaine se frotta les mains l’une contre l’autre, hochant la tête aux marins avec lui. Il ouvrit le chemin jusqu’au pont du navire, où Matilde, Neave et Bolis étaient tous attachés pendant qu’un marin tenait la barre. Les marins jetèrent Mark avec les autres, tandis que Gwylim les accompagnait en fermant la marche.

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