L’Assassin Zéro - Джек Марс 6 стр.


Rutledge regardait dans le vide. Quand Tabby avait parlé de suspicion d’attaque terroriste, il avait pensé qu’une bombe avait explosé ou que quelqu’un avait ouvert le feu dans un lieu public. C’était quoi ces symptômes, la perte d’audition et tout le reste ? “Excusez-moi, Directeur, je ne suis pas sûr de vous suivre.”

“Monsieur,” dit la femme blonde à côté de lui. “Je suis la Directrice Adjointe Maria Johansson, du Groupe des Opérations Spéciales de la CIA.”

Johansson, voilà, c’est ça. Rutledge se rappela soudain l’avoir déjà rencontrée comme il le pensait, le jour de son investiture.

“Ce que le Directeur Shaw décrit,” poursuivit-elle, “indique l’usage d’une arme ultrasonique. Ce type de concentration sur une zone restreinte dans un laps de temps aussi limité crée des paramètres assez précis pour que nous puissions penser que c’était une attaque ciblée.”

Mais, pour Rutledge, ça n’expliquait pas grand-chose. “Je suis désolé,” dit-il à nouveau, se sentant comme le cancre de la salle. “Avez-vous dit arme ultrasonique ?”

Johansson acquiesça. “Oui, Monsieur. Les armes ultrasoniques sont généralement utilisées pour neutraliser sans tuer. La plupart des bateaux de notre Navy en sont équipés. Les navires de croisière les utilisent pour se défendre contre les pirates. Mais en se basant sur nos connaissances de ce qui s’est produit à Cuba, il s’agit de quelque chose à la portée bien plus large et bien plus puissante que ce qu’emploient nos militaires.”

Tabby se râcla la gorge. “La police de La Havane a collecté les rapports d’au moins trois témoins oculaires qui affirment avoir vu un groupe d’individus masqués charger un ‘objet étrange’ sur un bateau, juste après l’attaque.”

Rutledge se frotta les tempes. Une arme ultrasonique ? On aurait dit un truc tout droit sorti d’un film de science-fiction. Il ne cesserait jamais d’être étonné et déconcerté par la créativité dont les humains faisaient preuve pour se faire du mal et se tuer les uns les autres.

“Je suppose que vous ne croyez pas qu’il s’agisse d’un incident isolé,” dit Rutledge.

“Nous aimerions le croire, Monsieur,” dit Shaw. “Mais nous ne pouvons pas nous le permettre. Cette arme et les gens qui la possèdent sont quelque part dans la nature.”

“Et le lieu de cette attaque,” intervint Johansson, “nous apparait aléatoire. Nous ne voyons pas la motivation de cibler La Havane ou une autre destination touristique, à part la facilité d’accès et de fuite qui, dans un cas comme celui-là, indique généralement que c’est un coup d’essai.”

“Un coup d’essai,” répéta Rutledge. Il n’avait jamais servi dans l’armée, ni été employé dans le renseignement ou les opérations sous couverture, mais il comprenait parfaitement que la directrice adjointe suggérait qu’il s’agissait d’une première attaque et qu’il y en aurait d’autres. “Et je suppose que je dois comprendre que certaines des victimes étaient américaines.”

Tabby acquiesça. “En effet, Monsieur. Deux personnes ont perdu la vue. Et la seule victime décédée est une jeune femme américaine…” Elle consulta ses notes. “ Megan Taylor, du Massachusetts.”

Rutledge n’était pas préparé à gérer ça. C’était déjà bien assez fâcheux qu’il n’ait pas nommé de vice-président, une décision qu’il reportait parce qu’il n’avait pas assez confiance en lui pour ne pas démissionner immédiatement. C’était déjà bien assez fâcheux qu’il soit sous la lentille d’un microscope, non seulement de la part des médias, mais pratiquement du monde entier à cause des indiscrétions de ses deux prédécesseurs. C’était déjà bien assez fâcheux que le nouveau, et apparemment irrationnel, leader chinois ait initié une guerre commerciale contre les USA en imposant des tarifs toujours plus élevés sur la quantité massive d’exportations fabriquées là-bas, et qui laissait présager de causer une inflation galopante et de déstabiliser potentiellement l’économie américaine sur le long terme.

C’était déjà bien assez fâcheux que ça arrive le jour de Thanksgiving, bordel de Dieu.

“Monsieur ?” appela gentiment Tabby.

Rutledge n’avait pas réalisé qu’il était perdu dans ses pensées. Il revint à lui et se frotta les yeux. “Bien, venons-en à l’essentiel : avons-nous la moindre raison de croire que les États-Unis pourraient devenir une cible ?”

“À l’heure actuelle,” dit le Directeur Shaw, “nous devons agir dans l’hypothèse que les USA seront une cible. Nous ne pouvons pas nous permettre le contraire.”

“Est-ce qu’on a la moindre info sur qui se cache là-dessous ?” demanda Rutledge.

“Pas encore,” répondit Johansson.

“Mais ça ne ressemble pas vraiment au mode opératoire du moindre de nos amis du Moyen Orient,” fit remarquer General Kressley. “Si j’étais joueur, je parierais un joli paquet sur les russes.”

“Nous ne pouvons faire aucune sorte d’hypothèse,” intervint fermement Johansson.

“Étant donné notre récent passé,” rétorqua Kressley, “je dirais que c’est une hypothèse éclairée.”

“Nous sommes une agence de renseignement,” répliqua Johansson à l’autre bout de la table, avec un petit sourire narquois. “Et en tant que telle, nous collectons des renseignements et travaillons sur des faits, pas sur des suppositions ou des intuitions.”

Rutledge fut enthousiasmé par cette jolie blonde qui refusait de se laisser intimider par un général quatre étoiles hautain. Il se tourna vers elle et demanda, “Que proposez-vous, Johansson ?”

“Notre meilleur ingénieur élabore actuellement une méthode pour traquer ce type d’arme. En se basant sur La Havane, je dirais que les auteurs vont certainement rester près de l’eau et cibler une zone côtière. Avec votre approbation, Monsieur, j’aimerais envoyer une équipe des Opérations Spéciales pour les retrouver.”

Rutledge acquiesça lentement. Une opération de la CIA semblait bien préférable à l’idée de sonner le clairon d’une attaque potentielle. La discrétion avant tout, pensa-t-il. C’est alors qu’une idée lui vint, aussi soudaine qu’une ampoule qu’on allume.

“Johansson,” demanda-t-il, “l’un de vos agents est l’homme qui a dévoilé l’affaire Kozlovsky, n’est-ce pas ? Il a trouvé l’interprète et récupéré l’enregistrement ?”

Johansson eut un instant d’hésitation, mais acquiesça de la tête. “Oui, Monsieur.”

“Quel était son nom ?”

“C’était… eh bien, son nom de code est Zéro. Agent Zéro, Monsieur.”

“Zéro. Très bien.” Rutledge se frotta le menton. “C’est lui que je veux là-dessus.”

“Euh, Monsieur… il n’est pas vraiment prêt pour le terrain actuellement. Il est en transition pour redevenir apte aux opérations.”

Le président ne savait pas ce que ça voulait dire, mais ça sonnait comme une excuse ou un euphémisme pour lui. “C’est votre boulot de le rendre prêt, Madame la Directrice Adjointe.” Il n’avait aucune hésitation à ce sujet. Rutledge savait que c’était le bon choix. À lui seul, cet agent avait sauvé l’ancien Président Pierson de l’assassinat, et découvert le pacte secret entre Harris et les russes. Si quelqu’un pouvait retrouver les auteurs et ce machin ultrasonique, c’était bien lui.

“Si je puis me permettre,” dit Johansson, “la CIA dispose de l’un des meilleurs traqueurs au monde. C’est un ancien Ranger, et agent à part entière hautement décoré…”

“Parfait,” la coupa Rutledge, “envoyez-le aussi. Aussi vite que possible.”

“Oui, Monsieur,” dit doucement Johansson en baissant les yeux vers la table.

“Autre chose ?” demanda-t-il. Comme personne ne disait mot, Rutledge se leva de son siège et les quatre autres présents dans la Salle de Crise firent de même. “Tenez-moi au courant et, euh… essayez de profiter de ce jour férié, si tant est que ce soit possible.” Il leur fit un signe de tête et quitta la salle de conférence, les deux agents des Services Secrets s’en allant instantanément avec lui.

Toujours observé. Jamais vraiment seul.

En fait, il réalisa qu’il avait tort à ce propos. En ce moment il ressentait tout l’inverse… Peu importait le nombre de personnes autour de lui pour le conseiller, le protéger, l’orienter dans telle ou telle direction, il se sentait vraiment seul.

CHAPITRE CINQ

Zéro fut réveillé par le soleil qui filtrait à travers les persiennes, chaud sur son visage. Il s’assit et s’étira, se sentant bien reposé. Mais quelque chose ne collait pas : sa chambre était plus grande qu’elle ne l’aurait dû, même si elle lui semblait familière. Au lieu d’un seul bureau face à lui, il y en avait deux, un plus petit que l’autre et surmonté d’un miroir.

Ce n’était pas son appartement de Bethesda. C’était sa chambre à New York… leur chambre, dans la maison qu’ils avaient partagée. Avant… avant tout ça.

Et quand il tourna la tête lentement, il vit l’impossible : elle était là, allongée près de lui, son oreiller à moitié posé sur son torse, dormant tranquillement en débardeur blanc, comme c’était si souvent le cas. Ses cheveux blonds étaient parfaitement disposés sur l’oreiller et elle avait un léger sourire aux lèvres. Elle avait l’air angélique, rassurée, en paix.

Il sourit en reposant doucement l’oreiller sur le lit, l’observant dormir. Il regarda les contours parfaits de ses joues, la petite fossette sur son menton dont Sara avait hérité : sa femme, la mère de ses enfants, le plus grand amour de sa vie.

Il savait que ce n’était pas réel, mais il aurait voulu que ce soit le cas et que ce moment puisse durer pour toujours. Il tendit le bras et toucha doucement son épaule, faisant courir ses doigts le long de sa peau, jusqu’au coude…

Il fronça les sourcils.

Sa peau était froide. Sa poitrine n’était pas soulevée par sa respiration.

Elle ne dormait pas, elle était morte.

Tuée par une dose léthale de tétrodotoxine, administrée par un homme que Zéro avait considéré comme un ami, un homme que Zéro avait laissé vivre. Et cette décision, il la regrettait tous les jours.

“Réveille-toi,” murmura-t-il. “Je t’en prie, réveille-toi.”

Elle ne se réveillait pas. Elle ne se réveillerait plus jamais.

“Je t’en prie, réveille-toi.” Sa voix se brisa.

C’était à cause de lui qu’elle était morte.

“Réveille-toi.”

C’était à cause de lui si elle avait été assassinée.

“RÉVEILLE-TOI !”

Zéro prit une vive inspiration et s’assit tout droit dans son lit. C’était un rêve. Il était dans sa chambre de Bethesda aux murs blancs vides, avec un seul bureau. Il ne savait pas s’il avait crié pour de vrai ou pas, mais il avait mal à la gorge et un puissant mal de tête était en train d’arriver.

Il poussa un grognement et attrapa son téléphone pour savoir l’heure qu’il était. Le soleil s’était levé, c’était Thanksgiving. Il devait sortir de son lit. Il avait une dinde à enfourner. Il ne pouvait pas s’attarder sur ce cauchemar, parce que ça signifierait s’attarder sur le passé, et s’attarder sur…

Sur…

“Oh mon dieu,” murmura-t-il dans un souffle. Ses mains tremblaient et il avait l’estomac retourné.

Son prénom. Il n’arrivait pas à se souvenir de son prénom.

Pendant un long moment, il resta assis ainsi, regardant partout sur le lit comme si la réponse allait être écrite là, sur sa surface. Mais il n’y était pas, et il ne semblait pas non plus se trouver dans sa tête. Il ne parvenait pas se souvenir de son prénom.

Zéro rejeta sa couette et tomba quasiment du lit. Il se mit à genoux et attrapa quelque chose sous le lit, une boîte sécurisée et ignifugée de la taille d’une mallette.

“La clé,” dit-il à haute voix. “Où est cette putain de clé ?” Il se releva et ouvrit le tiroir supérieur de son placard, le sortant presque totalement du meuble. Il s’empara de la petite clé argentée qui se trouvait là, au milieu des chaussettes en boule et des ceintures enroulées. Puis il se laissa retomber au sol en déverrouillant sa boîte secrète.

Dedans, se trouvait un assortiment de documents importants et d’objets. Parmi eux, il y avait son passeport et ceux des filles, son certificat de naissance, sa carte de sécurité sociale, deux pistolets, mille dollars en espèces et son alliance. Il sortit tous ces éléments un par un et les disposa en pile au sol, car ce n’était pas ce qu’il cherchait. Il s’arrêta brièvement sur une photo d’eux quatre à San Francisco, un été, quand Maya avait cinq ans et Sara trois ans. La femme sur la photo lui était totalement familière. Il pouvait entendre son rire joyeux dans sa tête, sentir son souffle à son oreille, la chaude sensation de sa main dans la sienne.

“Putain, mais c’est quoi son prénom ?!” Sa voix tremblait, et il jeta la photo sur le côté pour continuer à fouiller. C’était forcément là-dedans. Beaucoup de ses affaires se trouvaient encore dans le sous-sol chez Maria, mais il était certain qu’il l’avait mis dans sa boîte sécurisée…

“Dieu merci.” Il reconnut le dossier et ouvrit le rabat. Il y avait une seule feuille à l’intérieur, imprimée sur du papier épais et en relief, avec un timbre du tribunal de New York : leur certificat de mariage.

Il eut la gorge sèche en regardant le prénom. “Katherine,” prononça-t-il. “Elle s’appelait Katherine.” Mais il n’y avait aucun soulagement là-dedans, il ne ressentait que de la terreur. Ce prénom ne déclenchait aucun souvenir en lui, rien de familier. C’était comme un mot étranger dans sa bouche. “Katherine,” répéta-t-il. “Katherine Lawson.”

Pourtant, ça ne sonnait pas bien, même si c’était imprimé là, juste sous ses yeux, noir sur blanc. Est-ce qu’elle était Katherine ? Est-ce qu’il l’appelait Katherine ? Ou peut-être était-ce…

“Kate.”

Il poussa un énorme soupir. Kate. Il l’appelait Kate. Les souvenirs affluèrent soudain, comme un robinet qui s’ouvre. Il se sentait maintenant soulagé, mais encore sous le choc du fait très réel que, pendant ces quelques minutes angoissantes, il avait totalement oublié le prénom de sa femme… Et ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait mettre sur le compte d’une erreur arbitraire.

Zéro attrapa son téléphone mobile et scrolla dans ses contacts. Au diable les frais internationaux, il avait besoin de réponses. Il était six heures de plus en Suisse. C’était le début d’après-midi là-bas. Il fallait juste espérer que le cabinet soit ouvert.

“Décroche,” supplia Zéro. “Décroche, décroche…”

“Cabinet du Dr. Guyer.” La voix féminine qui venait de répondre était douce, teintée d’un accent suisse-allemand. Il l’aurait trouvé sensuel s’il n’avait pas été totalement paniqué.

“Alina ?” demanda-t-il rapidement. “Il faut que je parle au Dr. Guyer, c’est très important…”

“Excusez-moi,” dit-elle, “puis-je vous demander qui vous êtes ?”

Ah oui. “C’est Reid. Je veux dire, Kent. Kent Steele. Zéro.”

“Ah, Agent Steele,” s’exclama-t-elle. “Quel plaisir de vous entendre.”

“Alina, c’est urgent.”

“D’accord.” Elle changea immédiatement de ton. “Je vais le chercher. Patientez un instant.”

Le Dr. Guyer était un brillant neurologue suisse, certainement parmi les meilleurs au monde, et également l’homme qui avait installé un suppresseur de mémoire de la taille d’un grain de riz dans la tête de Zéro quatre ans plus tôt, ce qui avait effacé tout souvenir de son affiliation avec la CIA. Mais Guyer avait agi à la demande même de Zéro et, par la suite, il avait également été le médecin ayant effectué la procédure de restauration de sa mémoire, même si celle-ci avait tardé à fonctionner.

Ils avaient tous deux été quelques fois en contact au cours de l’année écoulée. Le médecin avait été ravi d’apprendre que Zéro avait récupéré ses souvenirs, et il désirait lui faire passer d’autres tests, mais cela nécessitait qu’il se rende en Suisse, ce que Zéro n’avait pas le temps ou l’énergie de faire… même s’il fallait admettre qu’il lui devait bien ça. En tout cas, si quiconque pouvait lui dire ce qui se passait dans sa tête, c’était bien Guyer.

Назад Дальше