L’Assassin Zéro - Джек Марс 8 стр.


Samara détacha la radio à sa ceinture. “Deux minutes,” dit-elle dedans en russe. “Allumez-la.” Elle avait elle-même appris le russe à l’équipe, insistant pour que ce soit la seule langue qu’ils parlent en public.

Un vieil homme avec un sweat polaire fronça les sourcils en passant à côté d’elle : entendre quelqu’un parler russe à Springfield, Kansas, était à peu près aussi étrange que d’entendre un chien Shar-Pei parler cantonais. Samara lui jeta un regard mauvais, et il se dépêcha d’avancer jusqu’au croisement pour observer la parade.

On aurait dit que la ville entière était sortie pour l’événement. Des chaises de jardin étaient alignées le long des trottoirs et les enfants attendaient avec impatience de rattraper les bonbons qui seraient jetés des seaux par poignées.

Samara jeta un coup d’œil à la fille par-dessus son épaule. Parfois, elle se demandait s’il restait la moindre réminiscence de son enfance en elle, si elle observait les autres enfants avec envie ou s’ils étaient des aliens pour elle. Mais les yeux de Mischa restaient froids et distants. S’il y avait le moindre doute derrière eux, elle était devenue experte dans l’art de le cacher.

La fanfare tourna à l’angle, avec force klaxons et roulements de tambours, de dos à Samara et au camion, alors qu’elle descendait la rue. Des jeunes en maillot suivaient à pied. C’était l’équipe de football de l’université qui jetait des bonbons à la foule. Les gamins se précipitèrent et s’accroupirent en groupes pour les ramasser, comme des charognards sur une carcasse.

Un minuscule objet vola vers Samara et atterrit près de ses pieds. Elle le ramassa précautionneusement à deux doigts. C’était un Tootsie Roll. Elle ne put s’empêcher de sourire ironiquement. Quelle tradition incroyablement bizarre que les jeunes des pays riches se bousculent les uns les autres pour récupérer les bonbons les moins chers qui soient, jetés n’importe comment sur la chaussée.

Samara rejoignit Mischa près de la cabine du camion, l’extrémité tournant le dos à la parade et à ses spectateurs. Elle lui tendit un bonbon. Un éclair d’intérêt passa sur le jeune visage passif de Mischa en le prenant.

Spasiba,” murmura la fille. Merci. Mais au lieu de déballer le papier et de le manger, elle le fourra dans la poche de son jean. Samara l’avait bien formée. Elle aurait sa récompense quand elle la mériterait.

Samara porta de nouveau la radio à ses lèvres. “Lancez dans trente secondes.” Elle n’attendit pas la réponse, et mit ses oreillettes, entendant un sifflement doux, mais aigu dans ses oreilles. Les quatre hommes dans l’espace de chargement du camion la déclencheraient de là. Ils n’avaient pas besoin d’exposer l’arme, ni même d’ouvrir la porte à l’arrière du camion. La fréquence ultrasonique était capable de traverser l’acier, le verre, et même la brique qui altérait toutefois légèrement son efficacité.

Samara croisa les bras et resta debout à côté de Mischa, faisant le compte à rebours dans sa tête. Elle ne pouvait plus entendre la fanfare ou les applaudissements des spectateurs. Elle n’entendait que le sifflement électronique des oreillettes. C’était étrange de voir tant de monde mais de ne rien entendre, comme une télévision quand on appuie sur muet. Pendant un moment, elle songea à cet adage ridicule : Si un arbre tombe dans la forêt et que personne n’est là pour l’entendre, fait-il tout de même un bruit ? Leur arme ne faisait aucun bruit. La fréquence était trop basse pour être détectée par le spectre de l’audition humaine. Mais ils tomberaient quand même.

Samara n’entendait plus la musique et la foule, et elle n’entendit pas non plus les cris quand ça commença. Mais quelques instants après que son compte à rebours eut atteint zéro, elle vit des corps tomber sur l’asphalte. Elle vit les habitants de Springfield, Kansas, paniquer, fuir, se piétiner les uns les autres comme tous ces enfants se ruant sur les bonbons. Certains d’entre eux se tordirent, plusieurs vomirent. Les instruments tombèrent au sol et les bonbons s’éparpillèrent par terre. À moins de vingt-cinq mètres d’elles, un joueur de football tomba à genoux et se mit à cracher du sang.

Il y avait une telle beauté dans ce chaos. Toute l’existence de Samara avait été basée sur le régime, le protocole, l’exercice… Et pourtant, peu de gens savaient comme elle à quel point tout ça n’était pas fiable quand le chaos pointait le bout de son nez de manière imprévisible. Dans ce genre de situation, seuls les instincts comptaient. C’était alors que les gens prenaient véritablement conscience d’eux-mêmes et de quoi ils étaient capables. Dans le chaos qui se déroulait silencieusement devant ses yeux, des membres d’une même famille piétinaient ceux qu’ils aimaient. Les maris et les femmes s’abandonnaient pour s’auto-préserver. La confusion régnait. Des corps étaient renversés. La foule allait finir par causer plus de dommages que l’arme en elle-même.

Mais ils ne pouvaient pas traîner là. Elle fit un signe à Mischa, qui contourna la cabine du camion et grimpa côté passager, tandis que Samara prenait le volant et mettait la clé dans le contact. Mais elle ne démarra pas tout de suite. Ils allaient attendre une minute de plus… assez longtemps pour que les conséquences de l’attaque soient considérées comme véritablement dévastatrices et laisser ceux qui voudraient les poursuivre totalement perplexes quant au choix de Springfield, Kansas.

CHAPITRE SEPT

Zéro pénétra dans le Centre du Renseignement George Bush, le quartier général de la CIA dans la communauté non incorporée de Langley en Virginie. Il s’avança sur l’onéreux sol en marbre, ses pas faisant écho alors qu’il foulait le grand emblème circulaire, un bouclier et un aigle en blanc et gris, entourés des mots “Central Intelligence Agency, United States of America,” et il se dirigea tout droit vers les ascenseurs.

Il n’y avait presque personne, seulement quelques gardes de sécurité et assistants administratifs bossant sur de la paperasse. Il était toujours fortement agacé d’avoir été appelé, d’avoir été obligé de laisser ses filles un jour de fête, et il espérait que le briefing, comme le suggérait son nom, serait bref.

Mais il ne comptait pas parier là-dessus.

“Tiens-moi la porte,” héla une voix familière, alors que Zéro appuyait sur le bouton du sous-sol où la réunion allait se tenir. Il tendit la main pour empêcher les portes de se refermer et, l’instant d’après, l’Agent Todd Strickland arriva à son niveau. “Merci, Zéro.”

“Tu as été appelé aussi, hein ?”

“Ouais.” Strickland secoua la tête. “Juste quand je partais pour l’hôpital des vétérans.”

“Tu allais passer Thanksgiving avec les vétérans ?”

Strickland hocha la tête d’un air distant que Zéro prit comme un signe indiquant qu’il n’avait pas envie d’en parler. Todd Strickland avait à peine trente ans, bien musclé avec un cou épais, arborant toujours la coupe de cheveux militaire qu’il avait portée pendant qu’il était à l’armée. Ses yeux vifs, ses traits charmants et ses joues bien rasées lui donnaient un air juvénile et avenant, mais Zéro savait que derrière cette façade se trouvait une force à ne pas négliger, l’un des meilleurs Rangers qu’il avait vus. Todd avait passé presque quatre ans de sa jeune existence à traquer des insurgés à travers les déserts du Moyen Orient, dormant dans le sable, pénétrant dans des grottes, et menant des raids sur des bases. C’était un combattant de la tête aux pieds, mais il avait pourtant réussi à garder une compassion qui était toute aussi forte que son sens du devoir.

“Tu as une idée de pourquoi ils nous ont convoqués ?” demanda Zéro pendant que les portes de l’ascenseur s’ouvraient.

“À mon avis, c’est à cause de l’attaque à La Havane de la nuit dernière.”

“Il y a eu une attaque à La Havane la nuit dernière ?”

Strickland émit un petit rire. “Tu ne regardes jamais les infos ?” Ils avancèrent dans le couloir vide. On aurait dit que tous les gens qui bossaient à Langley profitaient chez eux, en famille, de ce jour férié… sauf eux, bien sûr.

“J’ai été légèrement occupé ces derniers temps,” répondit Zéro.

“En parlant de ça, comment vont les filles ?” Strickland n’était pas un étranger pour Maya et Sara. Quand la vie des filles avait été menacée par un assassin psychopathe, le jeune agent avait fait vœu de garder un œil sur elles, que Zéro soit dans les parages ou pas. Jusqu’ici, il avait tenu parole.

“Elles…” Il allait répondre simplement “elles vont bien,” mais il s’interrompit. “Elles grandissent. Putain, elles sont déjà grandes en fait.” Zéro soupira. “Mais pour être honnête, si on est envoyés quelque part aujourd’hui, je ne sais pas ce que je vais faire au sujet de Sara. Je ne crois pas qu’elle aille assez bien pour la laisser seule.”

Strickland s’arrêta, alors qu’ils atteignaient les portes fermées de la salle de conférence derrière lesquelles le briefing aurait lieu. Mais au lieu de les ouvrir, il attrapa quelque chose dans la poche arrière de son jean. “Je pense la même chose que toi.” Il tendit une carte de visite à Zéro.

Ce dernier fronça les sourcils. “C’est quoi ?” La carte était simple, couleur ivoire, avec un site internet, un numéro de téléphone et le nom “Centre de Convalescence Seaside House ” inscrits en relief.

“Je connais un endroit à Virginia Beach,” expliqua Strickland, “où des gens dans son cas peuvent aller pour… récupérer. J’y ai moi-même passé quelques semaines, il y a longtemps. L’équipe est super, ils pourront l’aider.”

Zéro acquiesça lentement, un peu pris au dépourvu que tout le monde semble voir les choses ainsi, sauf lui. Maya lui avait déjà dit que Sara avait besoin d’une aide professionnelle, et ça paraissait évident pour Todd aussi. Il savait exactement ce qui l’avait aveuglé : il voulait être capable de l’aider lui-même. Il voulait être celui qui la tirerait d’affaire. Mais il savait déjà au fond de lui qu’elle avait besoin de plus que ce qu’il pouvait lui offrir.

“J’espère que je ne dépasse pas les bornes,” poursuivit Todd. “Mais, euh… je les ai appelés pour m’assurer qu’ils avaient de la place. Ils ont une place pour elle, si elle veut.”

“Merci,” murmura Zéro. Il ne savait pas quoi dire d’autre. Ce n’était sûrement pas dépasser les bornes que de faire quelque chose que Zéro n’aurait certainement pas résolu de faire lui-même. Il mit la carte dans sa poche et fit un geste pour désigner la porte. “Après toi.”

Il avait assisté à un paquet de briefings durant sa carrière d’agent de la CIA, et il n’y en avait pas deux pareils. Ils étaient parfois pleins de monde et chaotiques, avec des représentants des agences de coopération et des visioconférences avec des experts sur le sujet abordé. D’autres fois, ils étaient petits, discrets et confidentiels. Et même s’il était certain que celui-ci se déroulerait ainsi, il fut tout de même surpris en entrant dans la salle de n’y trouver qu’une seule personne assise à table, avec une simple tablette devant elle.

Strickland semblait également étonné, car il demanda, “On est en avance ou quoi ?”

“Non,” dit Maria en se levant. “Pile à l’heure. Asseyez-vous.”

Zéro et Todd échangèrent un regard et s’assirent de chaque côté de Maria, qui était au bout de la longue table.

“Eh bien,” murmura le jeune agent, “n’est-ce pas intime comme réunion ?”

“Je suis désolée de vous avoir appelés un jour férié,” commença-t-elle. “Vous savez que je ne l’aurais pas fait si j’avais eu le choix.” Elle avait dit ça plus à l’attention de Zéro. Maria savait précisément ce qui l’attendait chez lui. Après tout, elle avait été invitée elle aussi. “Je vais aller droit au but,” poursuivit-elle. “La nuit dernière, un incident est survenu sur le front de mer au nord de La Havane, et nous avons de fortes raisons de penser que c’était une attaque terroriste calculée.”

Elle leur raconta tout ce qu’elle savait, que plus de cent personnes avaient ressenti un large panel de symptômes, et que la proximité avec ceux qui avaient été le plus touchés suggérait l’usage d’une arme ultrasonique positionnée près du bord de l’eau. Pendant qu’elle expliquait tout ça, ses doigts glissaient sur l’écran tactile de la tablette, affichant des photos des services d’urgence de Cuba en train d’aider les victimes. Certaines d’entre elles avait besoin de soutien pour se tenir debout, d’autres avaient un mince filet de sang qui coulait de leurs oreilles. Quelques-unes étaient transportés sur des civières.

“Il n’y a eu qu’une seule perte humaine,” dit Maria pour finir, “une jeune américaine en vacances. Et l’arme n’a pas été retrouvée, d’où notre implication.”

Zéro avait déjà entendu parler de ce genre d’armes ultrasoniques, mais en dehors des minuscules grenades soniques concoctées par Bixby, il n’avait aucune expérience en la matière. Toutefois, il devait reconnaître que malgré l’absence de toute image de l’arme ou des auteurs, ça ressemblait vraiment beaucoup à une attaque terroriste… ce qui était d’autant plus perturbant.

“Kent ?” demanda Maria. “À quoi tu penses ?”

Il secoua la tête. “Honnêtement, je suis un peu perplexe. Pourquoi s’embêter à acheter ou construire ce type d’arme quand un seul fusil d’assaut et quelques balles auraient fait beaucoup plus de dommages ?”

“Peut-être que ce n’est pas une question de dommages,” suggéra Strickland. “Peut-être que c’était un message. Si ça se trouve, les auteurs sont cubains. Ils ont ciblé une zone touristique. Ce sont peut-être des nationalistes et c’était une sorte de protestation violente.”

“C’est possible,” admit Maria. “Mais nous devons travailler sur les faits… et les seuls faits que nous avons pour le moment, c’est que des citoyens américains ont été touchés, et qu’une américaine est morte, alors que cette arme est toujours dans la nature… Et c’est là que vous entrez en jeu.”

Zéro et Strickland se regardèrent, avant de tourner les yeux vers Maria. Pendant une minute, il avait commencé à croire que ce n’était peut-être qu’un briefing de renseignement pour les tenir au courant de ce qui s’était passé à Cuba. Mais, avec ces quelques mots, il comprenait maintenant ce que ça signifiait vraiment.

Il n’y avait aucun doute là-dessus : il était renvoyé sur le terrain.

“Attends,” dit Strickland. “Tu dis que quelqu’un, quelque part dans le monde, possède une puissante arme ultrasonique relativement portative. Et tu veux qu’on fasse quoi ? Essayer de la retrouver ?”

“Je me rends bien compte que c’est mince…” dit Maria.

“Nous n’avons rien du tout, tu veux dire.”

Zéro fut un peu surpris par l’attitude de Strickland. Dans son cœur, c’était un soldat. Et il n’avait jamais parlé ainsi à un supérieur, même à Maria. Mais il comprenait, parce qu’alors que Strickland exprimait son indignation, Zéro sentait monter la colère. C’était ça la raison pour laquelle on avait gâché son Thanksgiving en l’empêchant de se réunir en famille ? Il avait de l’empathie pour les victimes de l’attaque de La Havane, mais ses compétences étaient généralement utilisées pour stopper des guerres nucléaires et éviter des pertes humaines massives, non pour partir à la chasse au dahu chercher une arme qui n’avait emporté qu’une seule vie.

“Nous avons quelque chose,” dit Maria à Strickland. “Une poignée de témoins sur le port affirme avoir vu un groupe d’hommes, quatre ou cinq apparemment, portant une sorte de masque protecteur ou de casque, et chargeant un ‘objet à l’allure étrange’ sur un bateau, immédiatement après l’attaque. Les détails sont sommaires, au mieux, mais quelques personnes ont également rapporté avoir vu une femme aux cheveux roux flamboyants, peut-être caucasienne, parmi eux.”

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