Le lit est sur la droite, dit la bonne dun ton professionnel, comme si elle expliquait la disposition de la chambre à une nouvelle invitée qui était entrée de manière normale, avec une invitation.
Sil vous plaît, relâchez-moi, dit Margaret de sa voix la plus autoritaire. Que se passe-t-il, au juste ?
Je garantis votre paix et votre bonheur futurs, dit Maman avec un petit cri de joie. Nest-ce pas merveilleux ?
Margaret sentit son cœur salourdir.
Une idée lui vint.
Une idée abominable, atroce et alarmante.
À qui appartient cette chambre ?
La voix de Margaret tremblota, peinant dans une gorge soudainement sèche, comme si elle venait dentrer au Sahara, et pas dans une chambre somptueuse située dans la très humide et moite Angleterre.
Celle du duc de Jevington, déclara Maman. Votre futur mari.
Juste ciel.
Margaret ferma les yeux avec force. Malheureusement, quand elle les rouvrit, le monde demeurait le même quauparavant.
Vous plaisantez, dit Margaret. Vous devez être en train de plaisanter.
Maman navait peut-être jamais fait de plaisanterie auparavant, et elle avait peut-être enrôlé cette étrange bonne pour lassister dans sa blague, mais cela ne signifiait pas quelle nétait pas en train de plaisanter.
Sûrement pas.
Maman nallait pas réellement mettre en scène une situation compromettante, nest-ce pas ?
Le duc ma peut-être invitée à sa résidence, mais cela ne veut pas dire quil désire me trouver installée dans son lit, dit Margaret.
Maman éclata de rire et referma la porte. La bonne posa la lanterne sur la table avec un bruit métallique. La lumière dorée illumina un plafond à caissons. Latmosphère embaumait le cèdre et le citron, une odeur masculine bien différente de la senteur de lavande de la chambre de Margaret.
Une rosette tomba de sa robe sur le tapis visiblement coûteux juste en-dessous. Non pas que le duc doive en connaitre le coût. Le père de Margaret gagnait de largent, mais un noble conservait le sien, et personne nétait plus noble que le duc de Jevington. Ses ancêtres avaient probablement fait rapporter le tapis depuis lEmpire ottoman à dos dânes par-delà les Alpes durant les croisades.
Sapristi.
Le cœur de certaines femmes devait battre plus fort à lidée dêtre la femme du duc de Jevington. Contrairement à la plupart des ducs, il était en âge de se marier ; cependant, contrairement à la plupart des ducs, il nétait pas marié.
Maman souhaitait sans aucun doute changer ce fait précis.
Le physique séduisant du duc était de notoriété publique, suscitant chez les grands-mères potentielles dagréables visions de bébés aux visages symétriques, quand elles nétaient pas en train de penser aux vastes domaines de cet homme et à ses caisses convenablement remplies dargent. Le duc avait réussi à ne pas se laisser attraper, en dépit dune résidence à Mayfair lui donnant un accès aisé aux mères marieuses et à leurs filles débutantes désespérées.
En outre, le duc de Jevington nautoriserait personne à le compromettre. Elle lavait déjà rencontré auparavant : cétait le meilleur ami du mari de son amie, Lady Metcalfe. Elle avait passé deux très inconfortables semaines en présence du duc lors dune partie de campagne. Ils navaient même pas réellement eu la moindre conversation, mais assurément, si le duc avait dû, pour quelque étrange raison, déclarer sa passion pour elle, il aurait eu amplement loccasion de le faire alors.
Il accueillerait probablement le scandale avec plaisir même si la mère de Margaret faisait entrer la totalité des invités de la salle de bal pour admirer bouche bée Margaret sur le lit. Cétait le genre de situation qui pouvait assurer à un homme une place de choix sur la liste convoitée des Séducteurs à Adorer que Mariages pour Jeunes Filles Sages publiait chaque année.
Margaret sarcbouta contre lemprise de la bonne, mais celle-ci navait rien perdu de sa fermeté.
La bonne ricana, mais Margaret résista à lenvie de pleurer.
Tout se passerait bien.
Il le fallait.
Elle convaincrait sa mère et la bonne de la relâcher, ramasserait sa rosette sur le sol, et si le duc remarquait une odeur de champagne en entrant dans sa chambre ce soir, il lattribuerait à un agréable souvenir des festivités.
Margaret nallait pas accepter de devenir la risée de la haute société.
Pas à nouveau.
Margaret releva le menton.
Jexige de partir.
Maman la fixa du regard un instant. Ses sourcils et sa lèvre inférieure partirent dans des directions opposées, comme sils désiraient se séparer.
Margaret refusa de trembler.
Puis Maman partit dun rire juvénile.
Vous nallez rien exiger, dit-elle en se tournant vers la bonne. Où sont les entraves ?
Entraves ?
Margaret leva brusquement les sourcils.
La bonne retira un long ruban de la poche de son tablier. Le ruban avait lair affreusement solide, et Margaret recula. Sa mère resserra son étreinte sur Margaret.
Vous ne pouvez pas mattacher, dit vivement Margaret. En outre, personne ne croira quil mait compromise. Votre plan ne marchera pas.
La bonne eut un sourire narquois. Elle était plus que probablement consciente de labsurdité de ce plan. Combien dargent exactement Maman lui avait-elle promis ?
Ma chère enfant, dit Maman. Je suis très heureuse que votre innocence soit encore intacte, mais je vous assure que les gens croiront que vous avez été compromise sils vous découvrent attachée.
Maman força Margaret à sallonger sur le lit à baldaquin et sassit sur ses jambes. Margaret se débattit, mais Maman était lourde, et la bonne attacha un poignet de Margaret à chaque montant du lit. Des tentures couleur saphir en descendait majestueusement, enveloppant Margaret de leur somptuosité. Le lit serait considéré comme luxueux dans la plupart des circonstances, mais Margaret frissonna lorsque sa peau sappuya contre la couverture du duc. Elle ne devrait pas être ici. Sans aucun doute, dautres rosettes cousues sur sa robe étaient-elles en train de se dénouer.
Dois-je lui lier les chevilles, demanda la bonne.
Quoi ?
Margaret gigota sur le lit, essayant de se libérer.
On ne dit pas quoi, ma chère, dit Maman par automatisme. Jai appris que cétait assez grossier. Excusez-moi est de loin préférable. Il y a un nombre supplémentaire de syllabes, mais le but est toujours la politesse.
La courtoisie nest pas mon souci actuel, souffla Margaret.
Une mèche de cheveux séchappa de sa coiffure.
Et puis une autre.
Et puis une autre.
Margaret aurait aimé être un pirate pour avoir un large éventail de jurons à proférer.
Lorsque le duc reviendra dans sa chambre, dit Maman. Il vous découvrira.
Et il saura quil ne ma pas mise là.
Cela na aucune dimportance. Vous serez découverts ensemble. Un témoin maccompagnera. Je serai bouleversée.
Maman joignit les mains, et ses lèvres tremblèrent. Puis elle eut un sourire radieux, comme si elle se réjouissait de ses talents dactrice.
Margaret la regarda fixement.
Il y a un bon moment que vous avez réfléchi à tout ceci.
Jen ai rêvé toute éveillée. Et à présent, grâce à de généreux paiements, cela se réalisera, dit Maman en lançant un regard reconnaissant vers la bonne et en applaudissant. Oh, pensez au mariage que nous allons organiser pour vous. Toute la société y assistera.
Parce quils auront peine à croire que le duc et moi nous mariions jamais.
Votre impopularité ne sera plus quun lointain souvenir, dit Maman dune voix débordant de confiance.
Margaret fronça les sourcils.
Maman était impossible. Depuis que Papa les avaient rendus riches, Maman avait voulu marier Margaret à un excellent parti. Malheureusement, il semblait plus facile que Papa invente quelque chose et, à partir de cela, crée une entreprise toute entière, que pour Maman de piéger un beau-fils possédant un titre. Clairement, Maman ne devrait pas viser un duc. Même les plus expérimentées des mères marieuses devaient hésiter devant cet objectif.
Vous perdrez votre poste si vous faites cela, dit Margaret à la bonne. Je le raconterai au duc.
Son futur est assuré, dit Maman avec précipitation en hochant la tête vers la bonne. Notre résidence peut toujours être plus étincelante.
La mère de Margaret ouvrit son réticule en brocart de velours et en sortit un pot. Maman enleva le couvercle et une senteur florale agréable se diffusa dans la pièce.
Ce parfum ne me calmera pas, dit Margaret.
Très chère, ce ne sont pas de vos émotions dont je me soucie.
Maman voleta dans la pièce, passant du lit à baldaquin à la méridienne.
Elle répandit quelque chose en chantonnant.
Margaret écarquilla les yeux.
Êtes-vous en train de répandre des pétales de rose ?
Je pensais que cétait évident, dit Maman. Mieux vaut rendre cela romantique, ma chère.
Cétait insensé.
Margaret lutta contre la tentation de hurler. Selon toute vraisemblance, cela lui vaudrait uniquement dêtre bâillonnée. En outre, cet étage était désert, et le bruit des festivités avait pratiquement causé des vibrations.
Elle pourrait peut-être retirer ces liens. Cétait peu probable, mais pour linstant, cétait son seul espoir.
Vous souhaitez quelle garde ses vêtements ? demanda la bonne.
La réponse est oui. De toute évidence, sexclama Margaret.
Une déchirure suffira, dit Maman.
Bien sûr.
La bonne déchira le corsage de la robe de bal de Margaret avec efficacité.
Vous nêtes pas obligée de faire cela, Maman, supplia Margaret. Ce plan ne marchera pas. Ce nest pas le bon moyen pour me marier. Et nous pourrions simplement partir. Personne ne le saura. Et je ferai davantage defforts je le promets.
Maman pinça les lèvres, puis marcha dun pas décidé vers Margaret.
Margaret reprit espoir.
Maman allait peut-être vraiment la libérer. Peut-être que tout se passerait bien.
Au lieu de cela, Maman retira les épingles des cheveux de Margaret. Elle retira un peigne de son réticule et lui lissa les cheveux.
Ses yeux séclairèrent, et elle pinça les joues de Margaret.
Beaucoup mieux. Vous avez lair très indécente, comme si lon venait de vous ravir.
Puis Maman se retourna et sortit de la pièce avec la bonne.
Margaret fut seule.
Elle avait toujours su que Maman était enthousiaste à lidée de la marier, mais elle navait pas réalisé quelle se résoudrait à cela. Naurait-elle pas dû sy attendre ? Maman navait-elle pas soudoyé quelquun pour lassister quand le marquis de Metcalfe avait ouvertement cherché une épouse ?
La gorge de Margaret se teinta de nausée.
Si seulement elle avait travaillé plus dur afin de trouver un mari cette saison. La prochaine fois que quelquun de même vaguement convenable montrerait le moindre intérêt pour elle, Margaret jurait de lépouser.
Elle naurait probablement même pas ma chance de le faire. Margaret serait perdue une fois quelle serait découverte dans le lit du duc.
Son cœur trembla, et elle étudia son nouvel environnement.
Du tissu vert foncé habillait les murs, comme sil avait été choisi pour sassortir avec lhabit de chasse du duc. De lourds meubles des siècles passés garnissaient la pièce. Des bustes royaux dempereurs romains étaient perchés sur la table. Clairement, la personne qui les y avait placés navait pas prévu que des femmes puissent être trainées dans cette pièce par leurs mères marieuses.
En matière de literie, celui-ci surpassait les autres par sa somptuosité. Les coussins possédaient une plaisante densité de plumes, et le cordage du sommier ne saffaissait pas de façon intolérable. La courtepointe était confortablement moelleuse, et aucune brise de soufflait à travers la fenêtre. Le duc avait le bon nombre doreillers, et sa literie était convenablement douce. Aucun doute, les nuages pourraient en prendre exemple.
Mais en dépit de la texture soyeuse, le cœur de Margaret tambourinait toujours, comme si elle était une criminelle en fuite, et pas allongée sur lun des lits les plus luxueux de Grande-Bretagne.
Margaret méprisait la danse, mais elle navait que peu denvie de passer toute la durée du bal ici. Elle songea avec envie à la nourriture alignée sur la table de banquet. Geneviève et Juliette se demanderaient probablement où elle était.
À un moment donné, le duc de Jevington entrerait dans la pièce, et tout se passerait horriblement.
Margaret continua à tirer sur ses liens.
Malheureusement, ils ne montrèrent aucun signe de faiblesse.
Chapitre Deux
Jasper Tierney, duc de Jevington, navait jamais estimé quil excellait à grand-chose. Ses aptitudes sportives étaient acceptables, même sil nait jamais compris lintérêt de risquer de se briser la nuque pour plonger après une balle en jouant au rugby. Ses compétences scolaires étaient pires. Harrow nincluait aucun cours qui décernait de bonnes notes pour laptitude de quelquun à faire rire ses camarades de classe, et Jasper manquait denthousiasme, à parts égales, pour décliner les mots latins et diviser les fractions.
Mais Jasper sétait trompé : il excellait à organiser des réjouissances.
Les réceptions de Jasper étaient réputées, et il se tenait sur la mezzanine tandis que ses invités dansaient et plaisantaient, buvaient et se réjouissaient. Des valets de pied transportaient des plats en argent dune main, sans se démonter face aux hommes et aux femmes qui affluaient autour deux. Une musique enjouée flottait dans la salle de bal, et les gens se balançaient joyeusement, formant les figures complexes habituelles avec gaieté.
Un an auparavant, Jasper les aurait rejoints, mais à présent, observer lui suffisait. Lorganisation dune réception était épuisante, et le souvenir quil garderait de cet événement ne serait pas rehaussé par un mal de tête dû au brandy.
Il tambourina les doigts contre la rampe de la mezzanine. Quelques jeunes femmes levèrent la tête vers lui, les cils papillonnants, et donnèrent des coups de coude à leurs voisines. Des diamants et des rubis scintillaient à leur gorge et leurs boucles savamment coiffées demeuraient impeccables. Jasper leur envoya son grand sourire coutumier. Il ne dut pas attendre longtemps avant quelles ouvrent leurs éventails. Ce rituel lui avait paru plus intéressant quand il était nouveau à Londres. Normalement, il descendrait et ferait leur connaissance, ou, comme dans la plupart des cas maintenant, la referait, mais un ennui étrange enlisait ses actions coutumières.
Cependant, il ne pouvait rester sur la mezzanine toute la nuit. Il descendit les escaliers et se mêla à la foule.
Lun de ses valets de pied sapprocha de lui.
Jai un message pour vous, Votre Grâce.
Les bals nétaient pas lendroit habituel pour recevoir de la correspondance, mais Jasper tendit la main.
Les épaules du valet se détendirent, et il se dépêcha de partir.
Jasper lut le message. Il ne reconnut pas lécriture et se dirigea dun bon pas vers le valet, le rejoignant rapidement.
Il me faut aller dans ma chambre ?
Je euh suppose, dit le domestique en détournant les yeux.
Qui vous a donné ceci ?
Est-ce important ?
La voix du valet tremblait, et il se recroquevilla avec un curieux air de culpabilité.
Jasper soupira. Le valet était nouveau, et même si Jasper sévertuait à ne pas intimider son personnel, son titre rendait le processus difficile.
Ne vous inquiétez pas, le rassura Jasper.
Sa curiosité était, après tout, bel et bien piquée. Une veuve avait-elle arrangé un tête-à-tête ? Plus probablement, un de ses amis avait envie de vanter les charmes de lune des jeunes femmes présentes et détablir une stratégie pour pouvoir gagner son cœur.