Арсен Люпен – джентельмен-грабитель / Arsеne Lupin Gentleman-Cambrioleur. Книга для чтения на французском языке - Морис Леблан 3 стр.


Jhésitai une seconde. Dun coup sec, il me frappa sur lavant-bras droit. Je poussai un cri de douleur. Il avait frappé sur la blessure encore mal fermée que signalait le télégramme.

Allons, il fallait se résigner. Je me tournai vers miss Nelly. Elle écoutait, livide, chancelante.

Son regard rencontra le mien, puis sabaissa sur le kodak que je lui avais remis. Elle fit un geste brusque, et jeus limpression, jeus la certitude quelle comprenait tout à coup. Oui, cétait là, entre les parois étroites de chagrin noir, au creux du petit objet que javais eu la précaution de déposer entre ses mains avant que Ganimard ne marrêtât, cétait bien là que se trouvaient les vingt mille francs de Rozaine, les perles et les diamants de lady Jerland.

Ah ! je le jure, à ce moment solennel, alors que Ganimard et deux de ses acolytes mentouraient, tout me fut indifférent, mon arrestation, lhostilité des gens, tout, hors ceci : la résolution quallait prendre miss Nelly au sujet de ce que je lui avais confié.

Que lon eût contre moi cette preuve matérielle et décisive, je ne songeais même pas à le redouter, mais cette preuve, miss Nelly se déciderait-elle à la fournir ?

Serais-je trahi par elle ? perdu par elle ? Agirait-elle en ennemie qui ne pardonne pas, ou bien en femme qui se souvient et dont le mépris sadoucit dun peu dindulgence, dun peu de sympathie involontaire ?

Elle passa devant moi, je la saluai très bas, sans un mot. Mêlée aux autres voyageurs, elle se dirigea vers la passerelle, mon kodak à la main.

Sans doute, pensai-je, elle nose pas, en public. Cest dans une heure, dans un instant, quelle le donnera.

Mais, arrivée au milieu de la passerelle, par un mouvement de maladresse simulée, elle le laissa tomber dans leau, entre le mur du quai et le flanc du navire.

Puis, je la vis séloigner.

Sa jolie silhouette se perdit dans la foule, mapparut de nouveau et disparut. Cétait fini, fini pour jamais.

Un instant, je restai immobile, triste à la fois et pénétré dun doux attendrissement, puis je soupirai, au grand étonnement de Ganimard :

 Dommage, tout de même, de ne pas être un honnête homme

Cest ainsi quun soir dhiver, Arsène Lupin me raconta lhistoire de son arrestation. Le hasard dincidents dont jécrirai quelque jour le récit avait noué entre nous des liens dirai-je damitié ? Oui, jose croire quArsène Lupin mhonore de quelque amitié, et que cest par amitié quil arrive parfois chez moi à limproviste, apportant, dans le silence de mon cabinet de travail, sa gaieté juvénile, le rayonnement de sa vie ardente, sa belle humeur dhomme pour qui la destinée na que faveurs et sourires.

Son portrait ? Comment pourrais-je le faire ? Vingt fois jai vu Arsène Lupin, et vingt fois cest un être différent qui mest apparu ou plutôt le même être dont vingt miroirs mauraient renvoyé autant dimages déformées, chacune ayant ses yeux particuliers, sa forme spéciale de figure, son geste propre, sa silhouette et son caractère.

 Moi-même, me dit-il, je ne sais plus bien qui je suis. Dans une glace je ne me reconnais plus.

Boutade, certes, et paradoxe, mais vérité à légard de ceux qui le rencontrent et qui ignorent ses ressources infinies, sa patience, son art du maquillage, sa prodigieuse faculté de transformer jusquaux proportions de son visage, et daltérer le rapport même de ses traits entre eux.

 Pourquoi, dit-il encore, aurais-je une apparence définie ? Pourquoi ne pas éviter ce danger dune personnalité toujours identique ? Mes actes me désignent suffisamment.

Et il précise avec une pointe dorgueil :

 Tant mieux si lon ne peut jamais dire en toute certitude : Voici Arsène Lupin. Lessentiel est quon dise sans crainte derreur : Arsène Lupin a fait cela.

Ce sont quelques-uns de ces actes, quelques-unes de ces aventures que jessaie de reconstituer, daprès les confidences dont il eut la bonne grâce de me favoriser, certains soirs dhiver, dans le silence de mon cabinet de travail

Arsène Lupin en prison

Il nest point de touriste digne de ce nom qui ne connaisse les bords de la Seine, et qui nait remarqué, en allant des ruines de Jumièges aux ruines de Saint-Wandrille, létrange petit château féodal du Malaquis, si fièrement campé sur sa roche, en pleine rivière. Larche dun pont le relie à la route. La base de ses tourelles sombres se confond avec le granit qui le supporte, bloc énorme détaché don ne sait quelle montagne et jeté là par quelque formidable convulsion. Tout autour, leau calme du grand fleuve joue parmi les roseaux, et des bergeronnettes tremblent sur la crête humide des cailloux.

Lhistoire du Malaquis est rude comme son nom, revêche comme sa silhouette. Ce ne fut que combats, sièges, assauts, rapines et massacres. Aux veillées du pays de Caux, on évoque en frissonnant les crimes qui sy commirent. On raconte de mystérieuses légendes. On parle du fameux souterrain qui conduisait jadis à labbaye de Jumièges et au manoir dAgnès Sorel, la belle amie de Charles VII.

Dans cet ancien repaire de héros et de brigands, habite le baron Nathan Cahorn, le baron Satan, comme on lappelait jadis à la Bourse où il sest enrichi un peu trop brusquement. Les seigneurs du Malaquis, ruinés, ont dû lui vendre, pour un morceau de pain, la demeure de leurs ancêtres. Il y a installé ses admirables collections de meubles et de tableaux, de faïences et de bois sculptés. Il y vit seul, avec trois vieux domestiques. Nul ny pénètre jamais. Nul na jamais contemplé dans le décor de ces salles antiques les trois Rubens quil possède, ses deux Watteau, sa chaire de Jean Goujon, et tant dautres merveilles arrachées à coups de billets de banque aux plus riches habitués des ventes publiques.

Le baron Satan a peur. Il a peur non point pour lui, mais pour les trésors accumulés avec une passion si tenace et la perspicacité dun amateur que les plus madrés des marchands ne peuvent se vanter davoir induit en erreur. Il les aime, ses bibelots. Il les aime âprement, comme un avare; jalousement, comme un amoureux.

Chaque jour, au coucher du soleil, les quatre portes bardées de fer qui commandent les deux extrémités du pont et lentrée de la cour dhonneur, sont fermées et verrouillées. Au moindre choc, des sonneries électriques vibreraient dans le silence. Du côté de la Seine, rien à craindre : le roc sy dresse à pic.

Or, un vendredi de septembre, le facteur se présenta comme dordinaire à la tête-de-pont. Et, selon la règle quotidienne, ce fut le baron qui entrebâilla le lourd battant.

Il examina lhomme aussi minutieusement que sil ne connaissait pas déjà, depuis des années, cette bonne face réjouie et ces yeux narquois de paysan, et lhomme lui dit en riant :

 Cest toujours moi, monsieur le baron. Je ne suis pas un autre qui aurait pris ma blouse et ma casquette.

 Sait-on jamais ? murmura Cahorn.

Le facteur lui remit une pile de journaux. Puis il ajouta :

 Et maintenant, monsieur le baron, il y a du nouveau.

 Du nouveau ?

 Une lettre et recommandée, encore.

Isolé, sans ami ni personne qui sintéressât à lui, jamais le baron ne recevait de lettre, et tout de suite cela lui parut un événement de mauvais augure dont il y avait lieu de sinquiéter. Quel était ce mystérieux correspondant qui venait le relancer dans sa retraite ?

 Il faut signer, monsieur le baron.

Il signa en maugréant. Puis il prit la lettre, attendit que le facteur eût disparu au tournant de la route, et après avoir fait quelques pas de long en large, il sappuya contre le parapet du pont et déchira lenveloppe. Elle portait une feuille de papier quadrillé avec cet en-tête manuscrit : Prison de la Santé, Paris. Il regarda la signature : Arsène Lupin. Stupéfait, il lut :

« Monsieur le baron,

« Il y a, dans la galerie qui réunit vos deux salons, un tableau de Philippe de Champaigne dexcellente facture et qui me plaît infiniment. Vos Rubens sont aussi de mon goût, ainsi que votre plus petit Watteau. Dans le salon de droite, je note la crédence Louis XIII, les tapisseries de Beauvais, le guéridon Empire signé Jacob et le bahut Renaissance. Dans celui de gauche, toute la vitrine des bijoux et des miniatures.

« Pour cette fois, je me contenterai de ces objets qui seront, je crois, dun écoulement facile. Je vous prie donc de les faire emballer convenablement et de les expédier à mon nom (port payé), en gare des Batignolles, avant huit jours faute de quoi, je ferai procéder moi-même à leur déménagement dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre. Et, comme de juste, je ne me contenterai pas des objets sus-indiqués.

« Veuillez excuser le petit dérangement que je vous cause, et accepter lexpression de mes sentiments de respectueuse considération.

« ARSÈNE LUPIN. »

« P. S. Surtout ne pas menvoyer le plus grand des Watteau. Quoique vous layez payé trente mille francs à lHôtel des Ventes, ce nest quune copie, loriginal ayant été brûlé, sous le Directoire, par Barras, un soir dorgie. Consulter les Mémoires inédits de Garat.

« Je ne tiens pas non plus à la châtelaine Louis XV dont lauthenticité me semble douteuse. »

Cette lettre bouleversa le baron Cahorn. Signée de tout autre, elle leût déjà considérablement alarmé, mais signée dArsène Lupin !

Lecteur assidu des journaux, au courant de tout ce qui se passait dans le monde en fait de vol et de crime, il nignorait rien des exploits de linfernal cambrioleur. Certes, il savait que Lupin, arrêté en Amérique par son ennemi Ganimard, était bel et bien incarcéré, que lon instruisait son procèsavec quelle peine !

Mais il savait aussi que lon pouvait sattendre à tout de sa part. Dailleurs, cette connaissance exacte du château, de la disposition des tableaux et des meubles, était un indice des plus redoutables. Qui lavait renseigné sur des choses que nul navait vues ?

Le baron leva les yeux et contempla la silhouette farouche du Malaquis, son piédestal abrupt, leau profonde qui lentoure, et haussa les épaules. Non, décidément, il ny avait point de danger. Personne au monde ne pouvait pénétrer jusquau sanctuaire inviolable de ses collections.

Personne, soit, mais Arsène Lupin ? Pour Arsène Lupin, est-ce quil existe des portes, des ponts-levis, des murailles ? À quoi servent les obstacles les mieux imaginés, les précautions les plus habiles, si Arsène Lupin a décidé datteindre tel but ?

Le soir même, il écrivit au procureur de la République à Rouen. Il envoyait la lettre de menaces et réclamait aide et protection.

La réponse ne tarda point : le nommé Arsène Lupin étant actuellement détenu à la Santé, surveillé de près, et dans limpossibilité décrire, la lettre ne pouvait être que lœuvre dun mystificateur. Tout le démontrait, la logique et le bon sens, comme la réalité des faits. Toutefois, et par excès de prudence, on avait commis un expert à lexamen de lécriture, et, lexpert déclarait que, malgré certaines analogies, cette écriture nétait pas celle du détenu.

« Malgré certaines analogies » le baron ne retint que ces trois mots effarants, où il voyait laveu dun doute qui, à lui seul, aurait dû suffire pour que la justice intervînt. Ses craintes sexaspérèrent. Il ne cessait de relire la lettre. « Je ferai procéder moi-même au déménagement ». Et cette date précise : la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre !

Soupçonneux et taciturne, il navait pas osé se confier à ses domestiques, dont le dévouement ne lui paraissait pas à labri de toute épreuve. Cependant, pour la première fois depuis des années, il éprouvait le besoin de parler, de prendre conseil. Abandonné par la justice de son pays, il nespérait plus se défendre avec ses propres ressources, et il fut sur le point daller jusquà Paris et dimplorer lassistance de quelque ancien policier.

Deux jours sécoulèrent. Le troisième, en lisant ses journaux, il tressaillit de joie. Le Réveil de Caudebec publiait cet entrefilet :

« Nous avons le plaisir de posséder dans nos murs, voilà bientôt trois semaines, linspecteur principal Ganimard, un des vétérans du service de la Sûreté. M. Ganimard, à qui larrestation dArsène Lupin, sa dernière prouesse, a valu une réputation européenne, se repose de ses longues fatigues en taquinant le goujon et lablette. »

Ganimard ! voilà bien lauxiliaire que cherchait le baron Cahorn ! Qui mieux que le retors et patient Ganimard saurait déjouer les projets de Lupin ?

Le baron nhésita pas. Six kilomètres séparent le château de la petite ville de Caudebec. Il les franchit dun pas allègre, en homme que surexcite lespoir du salut.

Après plusieurs tentatives infructueuses pour connaître ladresse de linspecteur principal, il se dirigea vers les bureaux du Réveil, situés au milieu du quai. Il y trouva le rédacteur de lentrefilet qui, sapprochant de la fenêtre, sécria :

 Ganimard ? mais vous êtes sûr de le rencontrer le long du quai, la ligne à la main. Cest là que nous avons lié connaissance, et que jai lu par hasard son nom gravé sur sa canne à pêche. Tenez, le petit vieux que lon aperçoit là-bas, sous les arbres de la promenade.

 En redingote et en chapeau de paille ?

 Justement ! Ah ! un drôle de type, pas causeur et plutôt bourru.

Cinq minutes après, le baron abordait le célèbre Ganimard, se présentait et tâchait dentrer en conversation. Ny parvenant point, il aborda franchement la question et exposa son cas.

Lautre écouta, immobile, sans perdre de vue le poisson quil guettait, puis il tourna la tête vers lui, le toisa des pieds à la tête dun air de profonde pitié, et prononça :

 Monsieur, ce nest guère lhabitude de prévenir les gens que lon veut dépouiller. Arsène Lupin, en particulier, ne commet pas de pareilles bourdes.

 Cependant

 Monsieur, si javais le moindre doute, croyez bien que le plaisir de fourrer encore dedans ce cher Lupin lemporterait sur toute autre considération. Par malheur, ce jeune homme est sous les verrous.

 Sil séchappe ?

 On ne séchappe pas de la Santé.

 Mais, lui

 Lui, pas plus quun autre.

 Cependant

 Eh bien, sil séchappe, tant mieux, je le repincerai. En attendant, dormez sur vos deux oreilles, et neffarouchez pas davantage cette ablette.

La conversation était finie. Le baron retourna chez lui, un peu rassuré par linsouciance de Ganimard. Il vérifia les serrures, espionna les domestiques, et quarante-huit heures encore se passèrent pendant lesquelles il arriva presque à se persuader que, somme toute, ses craintes étaient chimériques. Non, décidément, comme lavait dit Ganimard, on ne prévient pas les gens que lon veut dépouiller.

La date approchait. Le matin du mardi, veille du 27, rien de particulier. Mais à trois heures, un gamin sonna. Il apportait une dépêche.

« Aucun colis en gare Batignolles. Préparez tout pour demain soir.

« ARSÈNE. »

De nouveau, ce fut laffolement, à tel point quil se demanda sil ne céderait pas aux exigences dArsène Lupin.

Il courut à Caudebec. Ganimard pêchait à la même place, assis sur un pliant. Sans un mot, il lui tendit le télégramme.

 Et après ? fit linspecteur.

 Après ? mais cest pour demain !

 Quoi ?

 Le cambriolage ! le pillage de mes collections !

Ganimard déposa sa ligne, se tourna vers lui, et, les deux bras croisés sur sa poitrine, sécria dun ton dimpatience :

 Ah ! ça, est-ce que vous vous imaginez que je vais moccuper dune histoire aussi stupide !

 Quelle indemnité demandez-vous pour passer au château la nuit du 27 au 28 septembre ?

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